A Doha, lors de la conférence interministérielle de l’OMC, et suite à la mobilisation de plus de 70 pays en développement, l’ensemble des États membres a adopté une déclaration prenant clairement position en faveur de l’accès aux médicaments pour les pays en développement.
Ainsi, les gouvernements sont à présent, théoriquement, libres de produire et d’importer les versions génériques des médicaments sous brevets dont ils ont besoin.
Pourtant, des réglementations régionales ou nationales risquent aujourd’hui de priver les pays pauvres de ces avancées.
Ainsi, l’accord de Bangui, engageant seize pays africains à des obligations plus strictes que celles prévues dans l’Accord sur la propriété intellectuelle de l’OMC, restreint dangereusement leurs possibilités d’accès à des médicaments génériques.
A la création de l’OMC, les Etats membres ont adopté les accords ADPIC (ou TRIPS en anglais) qui doivent être intégrés dans les lois nationales à des échéances variant en fonction de l’état de développement de chaque pays.
En matière de propriété intellectuelle, seize pays d’Afrique francophone (Bénin, Burkina Faso, Cameroun, République Centrafricaine, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Guinée Bissau, Guinée Equatoriale, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad et Togo) sont organisés au niveau régional et suivent une loi commune régie par l’OAPI (Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle) : l’Accord dit « de Bangui » signé en 1977. Cet accord n’étant pas conforme aux standards minimums imposés par l’OMC sur les ADPIC a fait l’objet d’une révision qui a abouti en 1999 à un nouveau texte dit « Accords de Bangui 1999 ». À ces accords ont été adjoint plusieurs éléments, dont l’annexe I qui traite de la question des brevets sur les médicaments. Les Accords de Bangui révisés sont en vigueur depuis fin février 2002. L’Annexe I, elle, entrera en application à une date que le conseil d’administration de l’OAPI doit déterminer lors de sa prochaine réunion.
C’est cette annexe I qui pose problème en matière d’accès aux génériques et limite les droits des pays africains concernés.
Tout d’abord, lors de la conférence de Doha en décembre dernier, il a été décidé que les pays dits les « moins avancés » n’étaient pas tenus de se mettre en conformité avec les accords de l’OMC avant 2016. Onze des seize pays membres de l’OAPI devraient donc pouvoir bénéficier de ce délai et ne pas mettre en oeuvre les Accords de Bangui révisé avant 2016.
Ceci signifie, par exemple, que ces pays ne sont pas dans l’obligation d’appliquer dès maintenant le passage de la durée des brevets de 10 ans à 20 ans, prévu par les accords de l’OMC. Ils pourraient donc importer ou produire librement des génériques une fois échus les 10 ans de protection du brevet sur un médicament. Pourtant, l’entrée en vigueur de l’annexe I des Accords de Bangui les privera de cette possibilité.
Par ailleurs, les deux principales marges de manœuvre autorisées dans le cadre de l’Accord ADPIC de l’OMC (les licences obligatoires et les importations parallèles), qui permettent de faire jouer la concurrence, et donc de bénéficier de prix de médicaments plus bas, sont pratiquement exclues par l’annexe I des Accords de Bangui.
En effet, selon l’annexe, les licences obligatoires, dénommées aussi licences d’office (qui confèrent la possibilité, sous certaines conditions, de ne pas reconnaître un brevet), ne peuvent être attribuées qu’à des opérateurs produisant le médicament au sein de la région OAPI. Ceci interdit donc le recours aux licences obligatoires pour importer un médicament produit hors de la zone OAPI. Avec cette limitation, les pays s’imposent une restriction qui n’est pas prévue par les accords de l’OMC. Sachant que la capacité industrielle est limitée dans la plupart des pays concernés, ceux-ci sont, dans les faits, privés du recours à des médicaments génériques.
Par ailleurs, contrairement au texte de Bangui 77, l’Annexe I de Bangui 99 prévoit que l’exploitation de l’invention brevetée peut désormais être satisfaite par l’importation. Avant Bangui 99, l’absence de production locale d’une spécialité pouvait constituer un motif permettant au pays d’octroyer une licence obligatoire. Les Accords de Bangui 77 précisaient en effet que, si dans les 5 ans suivant la délivrance du brevet, le titulaire n’avait pas exploité, ou fait exploiter localement son invention, sans excuses légitimes, » aucune action en contrefaçon » ne sera recevable devant un tribunal. Ce n’est plus le cas dans l’Annexe I de Bangui 99. Or, les 11 pays les moins avancés membres de l’OAPI devraient pouvoir bénéficier de cette disposition jusqu’en 2016.
Les importations parallèles (possibilités d’aller acheter un médicament breveté dans le pays où il est le moins cher), quant à elles, sont limitées à la région OAPI. Ainsi, les pays ne peuvent y avoir recours pour importer des produits vendus moins chers dans des pays ne faisant pas partie de l’OAPI.
Ainsi les Accords de Bangui desservent clairement l’intérêt des pays concernés et des malades qui y vivent. Alors que ces pays devraient être les premiers bénéficiaires des flexibilités prévues dans les accords de l’OMC (qui ne sont pas si importantes au demeurant), ils s’en trouveront privés par la mise en œuvre de l’annexe I.
C’est pourquoi le processus de mise en application de l’Annexe I doit être suspendu. En outre, cette annexe doit être d’urgence révisée, et inclure toutes les recommandations émises à Doha par l’OMC, le 14 novembre 2001.
Au Burkina Faso, 150 associations ont adressé à leur gouvernement une pétition. Dans tous les pays membres de l’OAPI les malades se mobilisent pour bloquer la mise en application de ces Accords de Bangui.