L’épidémie du sida a sans doute eu pour seul effet bénéfique le changement des rapports médecin/malade. Cette maladie étant aussi peu connue des cliniciens, chercheurs et malades, nous nous sommes tous trouvés au même niveau de connaissances et de compétences pour lutter contre le virus. Les malades se sont regroupés, les associations se sont formées, et le niveau d’information s’est élevé des deux côtés, soignants et soignés. Ce n’était plus le médecin seul qui décidait de la stratégie à suivre mais elle se construisait dans un relatif dialogue et non dans une relation de subordination. L’arrivée des trithérapies, la prise en charge de plus en plus complexe ont changé la donne. Les médecins ont repris un peu de leur superbe et nous recevons à nouveau des témoignages de malades confrontés à des cas “ d’inhumanisme ” médical.
florilèges
Chaque jour, nous prenons des traitements lourds, contraignants, chaque jour nous souffrons de leurs effets handicapants, chaque jour nous ne pouvons oublier. Et pourtant certains praticiens s’autorisent à dire qu’on “ s’installe avec son traitement ”, d’autres que “ ceux qui échappent sont ceux qui lèvent le pied sur la thérapeutique ”, ou mieux “ que les thérapeutiques lourdes ne sont pas pour n’importe qui. C’est pour des gens motivés. Quand les gens ont envie de se battre et bien on y arrive ” (propos tenus par une pointure lors de la journée du TRT-5 sur les échappements thérapeutiques). Ainsi l’attitude de certains médecins varient d’une condescendance énervante à de l’indifférence inhumaine.
Nos médecins oublient un peu vite le quotidien de la prise de traitements : neuropathies, lipodystrophies, ostéonécrose, nausées, diarrhées, céphalées, pancréatites, rashs, etc. Le système français de pharmacovigilance prévoit que malades et médecins signalent les effets secondaires, mêmes “ légers ”, aux Centres Régionaux de PharmacoVigilance (CRPV) ou au laboratoire fabriquant du médicament. Or ce système d’alerte est inconnu de la plupart des malades, et les médecins l’oublient tellement souvent que trop peu d’effets secondaires sont rapportés. C’est ce qui a poussé les associations à se battre pour faire reconnaître certains effets toxiques, car les témoignages des malades n’étaient pas pris en compte et n’entraient bizarrement pas dans le circuit normal des CRPV.
réceptifs les médecins ?
Pour les médecins, les effets secondaires se classent par gravité relative, mais il est difficile pour les patients de relativiser. Notre vie est souvent bouleversée et doit être repensée en fonction des effets secondaires que nous subissons. La plupart des médecins confrontés à des cas difficiles se blindent, et perdent ainsi la sensibilité qui leur permettrait d’écouter les problèmes de leurs patients dont les conditions de vie sont difficiles pour certains. “ Vous avez des effets secondaires ? C’est normal, vous savez, avec les traitements que vous prenez ”.
Récemment, nous avons reçu un témoignage écœurant d’un malade dénonçant l’attitude de son médecin. Clinicienne réputée, elle a refusé de lui établir un certificat médical nécessaire au renouvellement d’une carte d’invalidité, prétextant un état de santé “ suffisant ”. Ce patient est pourtant sous pentathérapie. Il a donc du changer de médecin pour obtenir un certificat qui a lui a permis d’enclencher le renouvellement de sa carte d’invalidité à 80% (station debout pénible). Le rôle d’un médecin est d’établir un certificat médical réglementaire et non de se substituer à la COTOREP. Cette praticienne l’avait manifestement oublier.
Rétention du dossier médical, impatience face aux questions posées pourtant essentielles pour la compréhension de sa maladie, lacunes dans le relationnel, etc. telles sont souvent les reproches exprimés par le biais de la ligne téléphonique, par les courriers reçus ou les témoignages de malades qui viennent nous rencontrer.
quels réflexes ?
Actuellement près de la moitié des personnes qui se découvrent séropositives sont déjà au stade sida. Cette découverte tardive est généralement synonyme d’une mise sous traitement. Comme pour les personnes en primo-infection à qui on propose de démarrer un essai «en frappant tôt et fort», c’est une période difficile, pleine de doutes où la masse d’information à ingérer est énorme. Mieux vaut alors tomber sur un médecin qui prendra le temps de parler avec vous et de vous expliquer.
Beaucoup de médecins de ville ne réagissent qu’au moment d’une infection opportuniste suffisamment typique, mais il est déjà trop tard. Car une partie au moins de ces personnes dépistées tardivement a dû faire une primo infection symptomatique plusieurs mois avant ce stade. De plus, une baisse importante du taux de CD4 occasionne souvent d’autres manifestations plus discrètes que les infections caractéristiques. Tout cela devrait alerter nos soignants. Bien sûr, les médecins ne peuvent pas tout savoir, tout tester. Trop souvent, les personnes ne consultent pas quand elles se sentent malades. Et on sait qu’une primo infection symptomatique peut se confondre avec une grippe. Mais la question de la vigilance des médecins se pose comme celle de la formation continue d’ailleurs.
retour en arrière
Les premières années de l’épidémie ont vu se construire de nouvelles dynamiques chez les soignants et les malades : une plus grande solidarité des uns envers les autres, la volonté de partager son savoir scientifique et de construire à deux une stratégie efficace pour lutter contre le VIH. L’existence aujourd’hui de traitements efficaces, mais aussi complexes a pris le pas sur ce partage. Le médecin voudrait redevenir celui qui décide de ce qui va ou ne va pas, le patient n’ayant qu’à se taire et subir. Nous ne voulons pas de cette répartition des rôles. Le médecin ne doit opposer son pouvoir à la vie de ses patients.