La neuvième conférence annuelle sur les rétrovirus qui s’est déroulée à Seattle (USA) du 24 au 28 février 2002 ne fut pas spécialement à marquer d’une pierre blanche. Il faut se souvenir que cette conférence, considérée par de nombreux spécialistes comme celle dont le niveau scientifique est certainement le plus élevé, est aussi un modèle de ce que la prétendue suprématie américaine sait organiser pour s’en persuader.
clinique contre fondamentale
Plus que jamais peut-être, cette édition de la CROI a été particulièrement consacrée à la recherche fondamentale. Pour preuve, deux éléments : d’une part, l’absence remarquée de cliniciens célèbres, Antony Faucy en particulier, car jusque là, il était de tradition pour lui d’avoir » sa » session particulière. D’autre part, dans les rencontres faites au hasard des couloirs de la conférence, nombreux sont les chercheurs à nous avoir fait part de leur satisfaction alors que les cliniciens se sont montrés plus réservés. En fait, la tendance est à la recherche fondamentale.
En effet, après l’avènement des trithérapies en 1996, c’est à dire en fait depuis l’apparition des antiprotéases, et après les annonces fracassantes de théories de l’éradication du virus, les cliniciens ont commencé à freiner un peu leur triomphalisme et à renvoyer les chercheurs à leurs recherches car beaucoup de questions sont restées sans réponses : l’éradication n’est plus au programme, l’usage de traitements au long cours est générateur d’effets secondaires plutôt difficiles à endiguer, les hypothèses d’immunothérapie ne se vérifient pas facilement, les choses apparaissant plus compliquées que dans les modèles théoriques, l’immunité naturelle dirigée contre le virus n’est pas aussi évidente à retrouver.
Fort de toutes ces interrogations, la clinique se cantonne à affiner le modèle thérapeutique actuel et intègre, quand c’est le cas, les nouvelles molécules tandis que la recherche essaie de comprendre les mécanismes encore obscurs du fonctionnement de l’infection virale afin de mieux réussir, qui la mise au point d’un vaccin efficace, qui la mise au point de médicaments actifs, moins toxiques et surtout moins générateurs de ces mutations virales qui peu à peu grignotent la panoplie de médicaments efficaces chez les malades.
Voilà ce qui a fait de cette édition de la conférence sur les rétrovirus 2002 un rassemblement particulièrement axé vers la recherche.
hégémonie quand tu nous tiens
Cependant il faut aussi souligner quelques facettes inhabituelles de cette édition.
D’abord, la présence d’un invité local, certes, mais surprenant dans le milieu médical : Bill Gates himself. L’habitude était déjà prise de donner la parole en ouverture à un personnage hors milieu médical. La CROI 2002 a fait fort en invitant le magnat de l’informatique à venir parler de sa fondation pour le sida et à défendre la participation financière des pays riches pour le salut des pays en développement.
Ensuite, on a noté l’absence de certains travaux d’origine européenne pourtant attendus, tout particulièrement dans des sessions dont le sujet aurait pu en être utilement alimenté. Typiquement, l’essai GIGHAART de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, qui fait autorité en matière de thérapies de sauvetage aurait du avoir une place de choix dans la session consacrée à ces problématiques. En fait, pas même une présentation en poster n’a été acceptée par le comité scientifique. Faut-il y voir un signe de protectionnisme américain ? C’est ce que certains européens n’ont pas manqué de souligner.
Enfin, une nouveauté, une session consacrée aux pratiques cliniques des pays en développement où se sont succédés des intervenants de terrain. On ne peut que souligner l’intérêt énorme de la communauté scientifique présente pour ces présentations. Seuls les américains ont majoritairement préféré la session parallèle sur la pathogenèse virale. Faut-il commenter cela ?
quand monte le sud
Ce symposium sur les » promesses et les défis des traitements antirétroviraux dans les pays en développement » fut un grand moment de cette conférence. Il a permis à Elly Katabira de l’université Makarere de Kampala (Ouganda), Catherine Wilfert (Elisabeth Glaser Pediatric AIDS Foundation, USA) travaillant sur des programmes de transmission mère – enfant en Afrique, John Nkengasong clinicien en Côte d’Ivoire et Praphan Phanuphak de la croix rouge thaïlandaise de faire partager à leurs collègues les conditions de dénuement presque invraisemblables dans lesquelles ils essaient de mettre en pratique les enseignements et les découvertes de l’opulente et nantie recherche clinique occidentale. Le clinicien thaïlandais fut particulièrement activiste et conclut sa présentation sur un véritable programme de 12 mesures d’urgence très actupiennes, fruit de son expérience quotidienne, allant de la nécessité d’une baisse drastique des prix que seule la concurrence des médicaments génériques peut créer à la nécessité de techniques et de matériel de laboratoire à moindre coût, aussi indispensables, dit-il, que les traitements.
stratégies thérapeutiques
Plus traditionnel, la session de discussion sur les pratiques cliniques était, cette année organisée en séance » de nuit « . Le mardi soir (19h – 21h) a été l’occasion précisément pour les cliniciens de discuter et de faire le point sur les usages cliniques actuels. Les conclusions vont vers l’affirmation qu’il n’y a pas d’augmentation visible du risque à initier un traitement tardivement tant que l’on ne franchit pas le seuil fatidique des 200 lymphocytes T CD4. Même une charge virale élevée ne semble pas prédictive de la réussite d’un futur traitement. La décision de commencer un traitement doit donc être basée sur le compte de CD4 et, affirme R.E. Chaisson de Baltimore, sur la capacité des patients à accepter les contraintes d’un traitement potentiellement toxique.
B. Hirschel tente de faire le point sur les interruptions de traitement et conclut que les principales attentes sont la réduction de la toxicité et la diminution du coût sans risque supplémentaire, ce qui, souligne-t-il, est à prendre en compte dans les pays où l’accès aux traitements est difficile pour des raisons économiques. Il souligne par ailleurs l’intérêt démontré par plusieurs études de l’arrêt de traitement chez les personnes en échappement avant de redémarrer une thérapie dite de sauvetage et de citer GIGHAART.
J.S. Curier (Los Angeles) tente de faire le point sur une question particulièrement épineuse, celle du traitement des femmes séropositives lorsqu’elles sont enceintes et conclut surtout à une trop grande absence de données et donc à un large besoin d’études dans ce domaine.
Enfin, D. Back (Liverpool) réaffirme que les dosages plasmatiques sont, malgré toutes les critiques, un outil utile pour limiter la toxicité des antirétroviraux.
nouvelles molécules
Parmi les classes de médicaments déjà connues :
– Le TMC 125, présenté récemment à Athènes (Conférence européenne sur les traitements, oct-2001) est un NNRTI (analogue non-nucléosidique de la transcriptase inverse) nouveau mis au point par une petite firme belge : Tibotec-Virco. Les essais présentés sont des phases préliminaires destinées tant à connaître l’efficacité du produit qu’à déterminer la tolérance. La prise de traitement est très courte, une semaine, et a permis de montrer une efficacité tout à fait remarquable dans différents schémas de traitement et chez des personnes aux contextes de la maladie variés.
– Le DPC 083-203 est aussi un NNRTI nouveau de BMS. Les résultats des essais de phase II proposés à des personnes en échappement d’un traitement comprenant un autre NNRTI ou en traitement de première intention montre dans les deux cas des résultats encourageants tant sur le plan virologique que de la tolérance du produit. Ces essais avaient aussi pour objet de déterminer les doses optimales de produit.
Les nouveautés :
– SCH-C est une molécule capable de se fixer sur les récepteurs aux chimiokines CCR5 que le VIH utilise comme co-récepteur pour entrer dans la cellule hôte. En utilisant ce produit, on empêche le virus de pénétrer car il ne trouve plus de ces co-récepteurs disponibles à la surface des cellules. Or ce mécanisme est incontournable. Le virus est donc ainsi bloqué à l’extérieur où il ne peut survivre ni surtout se reproduire. Le Dr Mark-Laughlin de Shering-Plough a présenté les résultats du premier essai clinique de ce produit. Il s’agit bien sur dans ce cas de tests qui s’effectuent sur un tout petit nombre de personnes, une durée très courte (une semaine) et tant sur des personnes saines que sur des malades afin de déterminer que le produit n’a pas de caractère délétère. Cet essai a permis de démontrer l’intérêt de ce traitement et a été bien toléré jusque là.
– AMD-3100. Les choses ne sont jamais aussi simples avec le VIH et évidemment certaines souches virales n’utilisent pas le co-récepteur CCR5 mais un autre, nommé CXCR4. Aussi échappent-ils au traitement précédent. C’est pourquoi une équipe multinationale de chercheurs a-t-elle mis au point et testé cette molécule, antagoniste des récepteurs CXCR4. Il s’agit là aussi d’un petit essai auquel ont participé 40 personnes et qui a permis de démontrer l’intérêt de la méthode. Pas mal de travail encore en perspective pour arriver à une pilule en pharmacie, mais il s’agit là vraiment de techniques totalement nouvelles.
– S-1360 est, lui, un inhibiteur d’intégrase. Il s’agit aussi d’une piste non explorée jusque là. L’intégrase est la protéine du virus qui lui permet d’intégrer son patrimoine génétique dans celui de la cellule hôte. La présentation faite par T. Fujiwara du laboratoire Shionogi permet de constater que le Japon se met aussi dans la course aux antiviraux. Ils se sont tout de même associés au géant Glaxo pour la distribution du produit. Ces essais préliminaires ont permis de démontrer l’efficacité du produit in vitro et concluent la partie pré-clinique, donnant maintenant l’accès de cette nouvelle technique aux malades pour les essais cliniques.
autres pistes
La compréhension des mécanismes de résistance du virus aux médicaments est un des éléments permettant de mettre au point des médicaments plus performants. C’est ce qu’ont bien montré J. Mellors (Univ de Pittsburgh) et S. Tuske à travers des exposés d’une remarquable précision. A l’aide de modélisation moléculaire, il est ainsi possible de mieux comprendre et expliquer comment les mutations du virus peuvent produire une défense contre les médicaments. A partir de là, avec l’exemple du Tenofovir DF, on comprend ce qui fait un médicament de la nouvelle génération qui est capable de rester actif contre sa cible malgré des mutations virales.
D. Kabat (Univ de Portland) nous a présenté les résultats des travaux de son équipe qui s’est intéressé à une protéine du virus bien mystérieuse jusque là. VIF (Viral Infectivity Factor) est en effet une arme redoutable du virus capable de désactiver les mécanismes antiviraux de nos cellules censés nous protéger justement contre les infections virales. En mettant à jour ce genre de mécanismes, la recherche lève un peu plus du voile sur les étonnants dispositifs que possède le VIH pour piéger les cellules hôtes et qui ont laissé perplexes plus d’un clinicien depuis la découverte du virus. C’est aussi grâce à cette connaissance qu’on pourra mettre à jour de nouveaux moyens de combattre l’infection plus efficaces car plus précis.
effets handicapants
Le célèbre clinicien australien Andrew Carr a tenté d’établir une définition de la lipodystrophie. En rassemblant les données de 1081 personnes sur 32 sites d’Europe, des Etats Unis et d’Australie il a établi le profil précis des signes cliniques de la lipodystrophie. Ce modèle, qui permet de diagnostiquer le syndrome de lipodystrophie lié à l’infection à VIH est simple et objectif. Il s’obtient par l’analyse d’images DEXA ainsi que de divers paramètres sanguins, cholestérol et enzymes du foie. Ce type de diagnostic pourrait permettre de dépister plus précocement l’apparition de lipodystrophies liées à l’infection et à ses traitements et donc de prendre des mesures sans attendre.On peut regretter qu’une fois de plus, l’amalgame des troubles de la répartition des graisses soit total ; les mécanismes de l’atrophie et de l’hypertrophie sont pourtant bien différents.
Dans la recherche des médicaments responsables des effets secondaires, la palme appartient vraisemblablement à la d4T. Elle est mise en cause notamment par une étude californienne sur l’apparition d’hyperlactatémies qui conclut que plus on utilise d’INTI (analogue nucléosidique de la transcription inverse) plus on voit apparaître ce type d’effet secondaire et les associations incluant la d4T sont environ 10 fois plus néfastes que les autres. Par ailleurs, d’autres présentations ou commentaires de cliniciens font état de la responsabilité accrue de ce médicament dans l’apparition de troubles bien que son activité antivirale soit reconnue.
réservoirs
Encore un thème qui devient récurrent dans les conférences scientifiques sur le VIH. En effet, si avec les HAART (traitement antirétroviral hautement actif) on est arrivé à une réduction de la réplication virale suffisante pour contrôler la maladie, la situation reste bloquée parce que des cellules infectées persistent. Elles constituent un réservoir prêt à s’étendre en cas d’arrêt du traitement ou d’échappement du virus à la pression des médicaments. C’est pourquoi l’étude permettant de comprendre en quoi consistent ces réservoirs et de découvrir la manière de les atteindre, voir de les détruire devient primordiale. Dans les conclusions des nombreux travaux présentés à Seattle sur ce thème, on peut relever que :
– la réplication virale se poursuit dans les cellules macrophages de la muqueuse intestinale qui sert de réservoir. Cette étude (Univ. of Washington, Seattle) permet de comprendre que le risque de transmission, chez les homosexuels notamment, est réel et même l’usage de traitements n’est pas suffisant pour supprimer cette réplication.
– La pénétration des antiviraux dans certains organes étant inégale, on sait depuis pas mal de temps que ceux-ci peuvent constituer des réserves de virus. Plusieurs équipes ont montré la réalité de ce phénomène mais surtout que l’évolution du virus dans ces compartiments peut se faire avec une relative indépendance et qu’il peut y subsister des souches résistantes. La décroissance du virus y est beaucoup plus lente que dans le sang, la persistance de niveaux détectables se prolongeant jusqu’à 9 mois à un an au delà de l’indétectabilité dans le sang. C’est le cas notamment pour le système nerveux et pour l’appareil génital tant masculin que féminin.
– Le traitement précoce réduit l’importance de ces réservoirs mais pour autant ne change pas grand chose au cours de la maladie. Tout au plus pourrait-
on en attendre des bénéfices dans une hypothèse
d’éradication.
vaccins
Le Dr Emilio Emini (Centre de recherches vaccinales de Merck) propose un nouveau vecteur de vaccination : un adénovirus. Ce nouveau type de vaccin va être proposé à des volontaires sains ainsi que séropositifs après les résultats sur l’animal qui montrent un réel intérêt de ce nouveau vecteur. Notre égérie nationale de l’immunologie, Brigitte Autran, lors d’une séance plénière a, par ailleurs, fait le point sur les avancées de la recherche en immunologie, soulignant le fait maintenant largement consensuel que les interruptions de traitement ne peuvent résolument pas provoquer de stimulation immunitaire spécifique contre le VIH, essentiellement parce que le virus détruit au moins aussi vite qu’il stimule les défenses. Elle conclut donc que cette stimulation ne peut se faire efficacement que par l’usage d’un vaccin à usage thérapeutique et compte bien mettre à profit le nouveau vecteur pour poursuivre ses travaux.
bon, mais
Il est clair que la CROI 2002 ne satisfait pas énormément nos attentes de résultats capables de faire évoluer rapidement le sort des personnes atteintes. Ce n’est pas étonnant de voir que les plus satisfaits parmi les français présents furent à compter dans les rangs des chercheurs. Néanmoins cette conférence a apporté sa contribution raisonnable à l’avancée de la connaissance sur le virus de l’immuno-défiscience humaine et sur la manière de combattre l’infection.
Pour les internautes anglophones désireux de creuser le sujet, le site de la conférence est particulièrement riche et intéressant ; il propose la plupart des sessions en diffusion sonore accompagnée des images diffusées par les conférenciers. Ce site propose par ailleurs les éditions précédentes de la CROI.