Près de 10 000 personnes meurent chaque jour du sida. Aujourd’hui nous connaissons les solutions pour contrecarrer l’épidémie, nous savons que la mort des personnes atteintes dans les pays en développement n’est pas une fatalité mais peut être évitée, nous savons quelles sont les mesures à mettre en oeuvre. Pourtant, l’épidémie continue de progresser, chaque année des millions de personnes sont contaminées et meurent. Une seule chose explique cet état de fait : les responsables politiques internationaux refusent d’engager les financements nécessaires.
Les solutions existent
Lorsque les multithérapies sont apparues il y a maintenant 6 ans et que les malades ont demandé l’accès aux antirétroviraux partout dans le monde la réaction des bailleurs a été unanime : cette demande a été rejetée en bloc, jugée inacceptable, utopique, démagogique.[[Lors de la CISMA qui s’est tenue à Abidjan en décembre 1997.]] Au fil des années, nous avons levé un à un les obstacles qui nous étaient opposés. – Il est enfin reconnu qu’une politique efficace de lutte contre l’épidémie articule prise en charge et prévention. Et que l’exclusion d’une des ces deux composantes pour des raisons économiques s’avère catastrophique non seulement en termes sanitaires, mais aussi en termes de développement. Le discours selon lequel des mesures de prévention seules pouvaient endiguer l’épidémie a prévalu durant près de 20 ans. Il s’est soldé par la contamination et la mort de millions de personnes. Les experts sont formels, une prévention efficace passe par une reconnaissance de la maladie et donc une prise en charge médicale des malades. A l’heure actuelle, seuls les antirétroviraux permettent de lutter contre le virus et d’éviter la mort ; ils changent ainsi fondamentalement le rapport à la maladie. Mais il aura fallu 20 ans d’aveuglement, de pingrerie, des millions de personnes mortes, la propagation sans frein de l’épidémie pour que les poncifs éculés qui dominaient et la réflexion et l’action soient revus. – ONG et chercheurs ont prouvé la faisabilité de l’accès aux traitements antirétroviraux dans des pays à faible ressource économique. La prise en charge médicale à l’aide d’antirétroviraux est possible, les molécules sont naturellement aussi efficaces sur les malades du Sud que sur les malades du Nord, les malades inclus dans les programmes d’accès se montrent parfaitement compliants pour peu qu’ils soient informés des enjeux. La XIVème conférence internationale contre le sida, qui se tient du 7 au 12 juillet 2002, rassemble près de 10 000 personnes. 10 000 personnes, c’est également le nombre de malades qui meurent chaque jour du sida. Barcelone ne peut pas être une conférence internationale de plus, pendant laquelle nous entendrons ressasser des slogans tels que réduire l’écart, briser le silence, savoir et engagement pour agir, sans que rien de plus déterminant n’en ressorte. Barcelone ne peut pas être une conférence de plus pendant laquelle nous réaffirmerons que les malades, quel que soit l’endroit où ils vivent, doivent accéder aux traitements leur permettant de rester en vie, pendant laquelle nous redonnerons les preuves de la faisabilité de cet accès, pendant laquelle nous répèterons que les médicaments peuvent être produits et vendus à très bas prix, pendant laquelle nous redémontrerons qu’il est possible d’alléger les modes de prise en charge et les régimes thérapeutiques, alors que sur le terrain, pour les personnes malades, pour ceux qui chaque jour s’acharnent à sauver des vies, la mort et l’épuisement sont omniprésents faute de moyens. Il y a maintenant plus d’un an que la guerre contre le sida a été officiellement déclarée par les puissants de ce monde. Des engagements ont été pris, mais n’ont pas été respectés. Où sont les 10 milliards de dollars promis par les États du G8, par ceux des Nations Unies ? Où sont les 10 milliards qui pourraient changer radicalement la donne, permettre à des millions de malades de rester en vie, à des millions de personnes d’éviter la contamination ou encore permettre à l’ensemble des acteurs de terrain de travailler dans des conditions décentes ? Cette question ne cessera d’être posée au cours de la Conférence de Barcelone. Elle exprime notre détermination et l’indignation légitime qui s’élève. Elle porte la honte sur ceux qui s’obstinent à tenir serrés les cordons de la bourse. Aujourd’hui, États et bailleurs doivent faire face à leurs responsabilités. Leur inaction, leur refus de donner l’argent promis condamnent des pays entiers, menacent l’ensemble des continents et sèment la mort, notre mort, celle de nos familles, de nos amis. Nous avons depuis longtemps franchi les limites du supportable. Une conférence pour rien sera une conférence de trop. Depuis 1998, la mobilisation d’associations de lutte contre le sida, de médecins, la création de fonds nationaux, ainsi que le soutien financier de quelques rares bailleurs, ont permis d’initier la mise sous traitements antirétroviraux de malades dans les pays pauvres. Les ONG se sont mobilisées et assurent le lien indispensable entre le corps médical et les malades, de façon à permettre un suivi régulier et adapté, ainsi qu’une bonne compliance des patients dans des conditions de ressources limitées. A partir de 1998, à l’initiative de gouvernements ou d’ONG (Côte d’Ivoire, Ouganda, Brésil, Sénégal, Maroc, Bénin, Chili, Cameroun, Malawi, Kenya, Cambodge, Thailand, South Africa, Guatemala, etc.), des programmes d’accès aux soins et aux médicaments antirétroviraux ont été lancés. Cependant l’approvisionnement en médicaments et le suivi des malades sont menés par des acteurs locaux qui manquent de moyens pour développer leur action, éviter les ruptures de stock, soigner un nombre croissant de patients avec la palette thérapeutique la plus large possible. Comme en témoigne Joseph Essombo, médecin prenant en charge des séropositifs à Bouaké en Côte d’Ivoire, « les hôpitaux, cliniques et instances de travail dans ce domaine peuvent d’ores et déjà augmenter en proportion les traitements et les soins efficaces, si on leur donne les médicaments anti-VIH/sida qu’ils ne peuvent payer ». Ainsi, si des lieux de prise en charge existent dans quasiment tous les pays, ils ne concernent qu’un nombre très restreint de malades, faute de moyens. En 1997, pour la première fois, la nécessité de fournir des antirétroviraux aux malades des pays pauvres est abordée publiquement par des chefs d’Etat1. Quatre ans plus tard, seules 35 000 personnes sont sous antirétroviraux dans les pays en développement. Or, ce sont plus de 6 millions de personnes qui devraient être immédiatement mises sous traitement compte tenu de leur état de santé. Le nombre de malades traités stagne et ne représente qu’une infime minorité des personnes en attente de médicaments. – Nous avons prouvé que le prix des médicaments pouvait être réduit de façon drastique avec l’émergence de médicaments génériques produits en Inde, en Thaïlande ou au Brésil. Depuis l’avènement des multithérapies, les bailleurs internationaux utilisent l’argument du prix trop élevé des médicaments pour justifier leur refus de s’engager dans la prise en charge médicale des malades du sida dans les pays pauvres. Pourtant depuis deux ans, des médicaments « génériques »[[les médicaments que nous appelons ici « génériques » ne sont pas réellement des génériques au sens propre du terme dans la mesure où les brevets ne sont pas échus. Mais il s’agit de copies de médicaments, vendues moins chers que les versions de marque, et qui sont donc assimilées à des génériques.]] d’antirétroviraux particulièrement coûteux ont commencé à être produits par des producteurs gouvernementaux (Brésil, Thaïlande) ou par des compagnies privées (Inde) et sont vendus à des prix très largement inférieurs à ceux des multinationales qui possèdent les médicaments de marques. En octobre 2000, un producteur indien lance une trithérapie générique à 800 dollars US par an, ce qui représente une économie de plus de 90% par rapport aux prix des multinationales. En février 2001, le prix qu’il propose tombe à 350 dollars US. En octobre 2001, un autre producteur descend à 295 dollars US. Actuellement, les prix les plus bas se rapprochent de 200 dollars US contre 10 à 15 OOO US$ dans les pays riches). L’apparition de ces médicaments génériques vendus à très bas prix a immédiatement entraîné un alignement des tarifs proposés par les laboratoires occidentaux qui, malgré les sollicitations des agences des Nations Unies, refusaient jusqu’alors d’accorder des réductions de prix significatives aux pays en développement. L’apparition d’antirétroviraux génériques a ainsi prouvé deux choses : – Que les médicaments peuvent être vendus à des prix largement inférieurs à ce que l’industrie occidentale a toujours prétendu (on ignore toujours ce qu’est le prix coûtant, mais il est assurément encore inférieur aux prix proposés par les producteurs de génériques) ; – Que la mise en concurrence des producteurs est le mécanisme le plus efficace pour obtenir une baisse drastique et durable des prix des médicaments. Cette mise en concurrence est bien plus crédible et plus efficace que les actions de charité ponctuelles menée par les laboratoires de marques en situation de monopole. En décembre dernier, à l’occasion de la Conférence Interministérielle de l’Organisation Mondiale du Commerce à Doha, les 142 Etats membres ont signé une déclaration reconnaissant la possibilité pour les pays de produire ou d’importer des médicaments génériques bon marché[[A Doha, la reconnaissance de la possibilité pour les pays producteurs de génériques d’exporter vers des pays qui ne disposent pas de capacité de production a été refusée par les pays développés. La majorité des malades du sida, et la majorité des malades en général, vivent dans des pays qui ne sont pas en mesure de produire eux-même les médicaments dont ils ont besoin. L’exportation à partir des pays émergeants est donc une nécessité pour tous les médicaments qui sont actuellement protégés dans ces pays. Au sortir de la Conférence de Doha, le conseil de TRIPS à l’OMC a reçu mandat pour apporter une solution à ce problème avant fin 2002.]]. Désormais, les malades doivent pouvoir accéder à ces médicaments, les pays doivent pouvoir s’approvisionner massivement.Chaque État doit aujourd’hui engager 0,05% de son PNB dans la guerre contre le sida.
L’OMS doit être le fer de lance de la promotion des médicaments génériques contre le sida : Pour que les prix des médicaments soient abordables, plusieurs mesures sont indispensables : – le développement d’achats groupés au niveau international comme au niveau régional qui permettent de négocier de meilleurs prix sur la base de l’achat de médicaments en grande quantité ; – le renforcement des capacités et un transfert de technologie afin de favoriser la production locale dans les pays en développement ; – le recours aux licences obligatoires pour permettre la production comme l’importation de médicaments génériques ; – le recours aux importations parallèles ; – et d’une façon générale la mise en compétition systématique entre médicaments de marques et génériques. L’accès aux génériques est un enjeu majeur pour les pays en développement, et la seule perspective à long terme de pouvoir accéder à la palette thérapeutique la plus large possible aux prix les plus bas. L’OMS ne peut impliquer les pays en développement dans des partenariats avec des compagnies privées, tels que Accelerating Access, sans garantir un cadre de négociations transparent, le respect de principes éthiques et un minimum d’obligation de résultats. Elle doit revoir d’urgence sa politique et développer une approche fondée avant tout sur la mise en compétition des producteurs. L’OMS doit être en mesure de fournir en permanence aux pays une information la plus exhaustive possible sur les sources d’approvisionnement en médicaments contre le VIH/sida et leurs prix, incluant obligatoirement les producteurs de génériques. L’OMS doit accélérer le processus de préqualification des antirétroviraux génériques afin d’en faciliter l’accès dans les pays en développement ; L’OMS doit apporter aux pays l’expertise et le soutien technique nécessaire pour la mise en place de législations sur la propriété intellectuelle incluant toutes les flexibilités prévues par les accords TRIPS et la déclaration de Doha pour accéder aux génériques. L’OMS doit soutenir les pays pour développer l’achat groupé de médicaments au meilleur prix, ainsi que la production locale et le transfert de technologie. L’OMS doit fournir une assistance technique digne de ce nom aux pays qui souhaitent mettre en place des programmes d’accès aux traitements.Aujourd’hui l’enjeu est d’élargi en urgence l’accès aux médicaments dans les pays en développement, de multiplier les pôles de prise en charge et d’étendre l’accès dans les pays où la mise sous traitements est limitée à qqs centaines de personnes.
Les leaders internationaux responsables de l’échec
Dès lors que le prix des médicaments peut être réduit significativement, plus rien ne devrait empêcher l’indispensable engagement des pays riches à financer l’achat de traitements en masse et le renforcement des structures sanitaires de façon à étendre l’accès aux médicaments pour les malades du sida dans les pays pauvres. Pourtant, les moyens financiers nécessaires sont absents. En avril 2001, lors du Sommet africain consacré au VIH/SIDA, à la tuberculose et à d’autres maladies infectieuses, à Abuja, Kofi Annan annonçait la création d’un Fonds mondial destiné à collecter 10 milliards de dollars par an pour la lutte contre le sida et déclarait : « il est inacceptable que les malades les plus pauvres ne puissent avoir accès à des médicaments qui ont changé la vie des malades dans les pays riches ». Un an plus tard et malgré les engagements pris par les Etats membres des Nations Unies en juin 2001, les États du G8 en juillet 2001, les annonces de financement pour 2002 n’atteignent que 2,08 milliards de dollars et les financements qui devraient être déboursés cette année ne totaliseront que 700 à 800 millions de dollars. Lors de la Session spéciale des Nations Unies en juin dernier à New York, puis à l’occasion du G8 à Gênes (Italie) en juillet, les pays du Nord se sont donc engagés à alimenter le Fonds mondial. Les malades des pays pauvres, les ONG et les activistes ont alors pu croire que le Fonds mondial allait marquer un tournant décisif dans la lutte contre l’épidémie : permettre enfin un changement d’échelle en matière de financement et la prise en charge des millions de malades qui n’ont toujours pas accès aux médicaments. Pourtant, l’état actuel du Fonds mondial illustre le refus de s’engager des bailleurs et des responsables politiques internationaux. En outre, les réticences à financer les médicaments demeurent. Ainsi, Richard Feachem, directeur exécutif du Fonds mondial, ignore ou nie les réalité du terrain l’ampleur des besoins dans les pays du Sud et se refuse à considérer l’achat de traitements comme une priorité. Ainsi, si l’épidémie continue de tuer des millions de malades chaque année, si des millions de personnes sont contaminées chaque année, c’est avant tout parce que les financeurs internationaux se refusent à engager les moyens nécessaires pour stopper l’hécatombe. Aujourd’hui à Barcelone une question se pose et reste en suspend : où sont les 10 milliards ?Sida & G8 : Où sont les 10 milliards de dollars ?
Un an après l’annonce tonitruante par les États du G8 de la création d’un Fonds mondial contre le sida, la contribution des pays les plus riches n’a pas atteint le dixième des objectifs fixés. Où sont les 10 milliards de dollars promis ? Les caisses du Fonds mondial sont pour ainsi dire vides. Au cours des 12 derniers mois près de 3 millions de personnes sont mortes du sida, et l’épidémie continue inexorablement de s’étendre. En 2000, après plus de 15 ans d’épidémie, le Conseil de Sécurité de l’ONU, puis le Conseil National de Sécurité américain annonçaient que la pandémie de sida représentait l’une des plus graves menace à la stabilité internationale. Quelques mois plus tard, la Banque mondiale avertissait la communauté internationale que les ravages du sida dans les pays pauvres étaient sur le point de réduire à néant 50 ans de développement. Dans le même temps, Jeffrey Sachs, directeur de l’Institut Harvard et chargé de la Commission Santé et Macro-économique de l’OMS, publiait un rapport d’experts estimant les montants nécessaires pour contrôler la pandémie à 10 milliards de dollars par an, soit 0,05% du PNB des 8 pays les plus riches – une somme inférieure à ce que les pays du G8 continuent de percevoir des pays pauvres au titre du service de la dette. En avril 2001 au Sommet d’Abuja au Nigeria, Kofi Annan, Secrétaire Général des Nations-Unies, en appelait à une mobilisation financière internationale « sans commune mesure avec les ressources que nous consacrons actuellement […] pour remporter la guerre contre le sida ». Un objectif que l’Assemblée Spéciale des Nations Unies reprenait à son compte en juin 2001 lors de la Session Spéciale sur le sida. En juillet 2001, les 8 États les plus riches du monde annonçaient alors à Gênes la création d’un Fonds mondial destiné à recueillir 10 milliards de dollars par an. Or, à ce jour, leurs contributions n’atteignent pas 500 millions de dollars par an, soit moins de 5% des objectifs fixés. Où sont les 10 milliards de dollars promis ? Au cours de ces 12 derniers mois près de 3 millions de personnes sont mortes du sida. En 2015, si la tendance n’est pas inversée, 100 millions de personnes seront séropositives, 95 millions d’entre elles seront condamnées à mort. Au fil des années, les acteurs de terrain, les malades, les ONG, les médecins se sont mobilisés, jour après jour, pour combattre l’épidémie et sauver les personnes atteintes. Pourtant, sans moyens supplémentaires ils ne pourront ni maintenir leur action, ni l’étendre. Les Etats du G8 portent la responsabilité de la mort de 10 000 personnes chaque jour, la responsabilité d’une progression ininterrompue de l’épidémie qui menace le développement et la stabilité de continents entiers. C’est pourquoi, ils doivent s’engager sans délai à consacrer un minimum de 0,05% de leur PNB au financement de la lutte contre le sida.