Il y a 5 ans, lorsqu’on a vu nos corps se transformer, on pressentait qu ‘il s’agissait d’un problème hormonal. Quand on posait le problème aux médecins il nous répondaient : «faites un régime, vous les femmes, vous aimez ça les régimes !» Aujourd’hui, on parle de lipodystrophies.
L’avancée de la recherche et l’arrivée des trithérapies font que les séropositifVEs sont désormais face à des traitements «au long cours». Avant 1996, ils devaient, soit vivre dans l’urgence, ne pouvant imaginer être «socialement correct» (à quoi bon envisager l’avenir, puisqu’il n’y en a pas), soit vivre dans l’angoisse du moindre symptôme et avoir une hygiène de vie sans faille, une manière de gagner du temps, de repousser l’échéance le plus loin possible. Mais, dans le cadre d’une espérance de vie plus longue, la recherche sur les traitements et leurs effets intolérables ne peut continuer à ignorer les femmes car des différences biologiques existent et elles doivent être prises en compte.
Auujourd’hui, lors des conférences et des colloques, une constatation fait au moins l’unanimité parmi les médecins : il existe très peu de résultats d’essais cliniques sur les femmes infectées, hormis celles concernant la transmission mère-enfant. Et lorsque les chercheurs se penchent sur les rares résultats, ils sont forcés de constater qu’il existe des différences entre les sexes.
Il est essentiel pourtant que les études menées apportent des réponses, tant au niveau de l’infection elle-même qu’au niveau de l’évolution de la maladie, des traitements et de leurs effets intolérables.
L’ostéoporose est un exemple flagrant de cette absence de données différenciées, mais pourtant essentielles. Les femmes sont naturellement sujettes à une progression de la décalcification des os avec la ménopause. Quand on sait que des hommes séropositifs, jeunes et sans antécédents souffrent d’ostéoporose, on est en droit d’exiger des données concernant les femmes, dont le processus naturel, les traitements et le virus lui-même, forment un cocktail inquiétant.
Actuellement, la spécificité des femmes séropositives n’est étudiée que dans une dimension sociale. Elles sont prises en compte comme faisant partie d’un grand tout. On cible alors pour les aborder des groupes de population : droguées, africaines, prostituées. Elles ne deviennent un sujet de recherche que dans la mesure où elle sont utiles à la société : la femme en tant que mère. Mais c’est en partant de ce même principe qu’elles peuvent en être exclues. La crainte qu’elles soient enceintes pendant le déroulement de l’essai, rend leur enrolement difficile. Il arrive aussi, qu’on les élimine des essais, sous pretexte qu’elles en fausseraient les données. Mais de quelles données s’agit-il dès lors qu’elles excluent le corps de la femme du champ de la recherche médicale ? Il est temps de changer cette perception des choses.
La recherche biomédicale a progressivement affirmé l’importance d’un recrutement massif de femmes dans les essais cliniques afin de déterminer et de mesurer les différences, notamment en matière d’effets intolérables. Il est plus que temps aujourd’hui de le mettre en pratique, de considérer que les posologies des médicaments ne tiennent pas compte du poids des patientEs, que le système hormonal représente une différence fondamentale entre les hommes et les femmes, que leur cycle influence les marqueurs virologiques et immunologiques, que ce cycle peut être perturbé par les effets intolérables des traitements, que les dérèglements lipidiques feront qu’elles ne vieilliront sans doute pas comme les hommes, etc.
En janvier 2001, les résultats d’une étude américaine sur la névirapine (Viramune®) ont montré que les effets intolérables sont plus fréquents et plus graves chez les femmes que chez les hommes. Cette étude a été menée suite à la prescription massive de névirapine dans le cadre de la transmission mère – enfant. Force a été de constater alors que les femmes subissaient des réactions différentes de celles des hommes, telles que des éruptions cutanées (sept fois plus élevées chez les femmes, pour des raisons encore inconnues à ce jour), et des atteintes hépatiques importantes. Avant cette étude, les femmes ont une fois de plus découvert à leur dépend l’impact des traitements sur elles : non seulement les réactions sont différentes, mais elles sont plus violentes et ont abouti à la mort de plusieurs d’entre elles.
Un an après, les résultats d’une étude comparative confirment cette nette tendance à la surexposition de névirapine chez les femmes. L’étude a été réalisée sur peu de patientEs, mais en parfaite parité de sexes. Elle était destinée à comparer les profils pharmacocinétiques de cet antiviral entre hommes et femmes. Les chercheurs en ont déduit que l’application d’une posologie standardisée est à l’origine de cette surexposition. Aussi conseillent-ils aux prescripteurs de l’adapter en fonction du poids des patientEs. Depuis peu, les communications se multiplient sur les complications neuropsychiatriques, les dépressions, les troubles du sommeil de patientEs soumisES à la névirapine… Que va-t-on encore découvrir ? Les conclusions de cette étude nous rappellent que le modèle du corps étudié par la médecine, est celui de l’homme.