La hausse des incarcérations constatée depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement annonce une catastrophe en matière d’accès aux soins dans les prisons. Nous disposons maintenant de nouveaux outils législatifs pour lutter contre le maintien en détention des détenus malades. Nous entendons tout faire pour que soient libérées ces personnes.
Depuis que le gouvernement Raffarin est en place, nous affrontons une conjoncture inédite. La hausse alarmante du nombre des incarcérations et des gardes à vue s’accompagne d’un vaste programme « immobilier » de construction de prisons, incluant notamment des centres pour mineurs. Nous le savions, nous le craignions : du discours ultra sécuritaire d’une droite majoritaire découle un recours massif aux pratiques d’incarcération menaçant principalement les minorités comme les prostituéEs, les étrangèrEs, les usagèrEs de drogue, etc. Pourtant, au moment où le gouvernement joue de façon effrayante la carte de la répression sous couvert de lutte contre l’insécurité, des solutions existent pour lutter contre ces pratiques meurtrières.
Au niveau de la loi, d’abord, depuis l’adoption le 4 mars 2002 de l’article 10 de la loi sur les droits des malades. Cet article stipule qu’une suspension de peine peut être accordée « aux condamnés dont il est établi qu’ils sont atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou dont l’état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention ». Cette suspension de peine peut être décidée par le juge d’application des peines sur la foi de « deux expertises médicales distinctes ».
Au niveau de la jurisprudence ensuite, depuis que la cour d’appel de Paris a ordonné, le 18 septembre dernier, la libération de Maurice Papon sur la base de ce texte. La réaction d’Act Up-Paris fut immédiate : le cas de Papon ne nous intéresse pas. En revanche, ce qui nous met en colère, c’est que touTEs les détenuEs malades qui n’ont pas les moyens de s’offrir, comme lui, une bonne défense sont condamnéEs à rester au fond de leur cellule, une cellule ne se trouvant pas en quartier VIP. Pour chacun d’entre eux, pourtant, la suspension de peine est une urgence absolue. Nous n’accepterons pas qu’ils meurent en prison. Tous les malades gravement atteints doivent être libérés, et pas seulement en fin de vie.
C’est d’ailleurs ce que recommande avec force le rapport du groupe d’experts dirigé par le Professeur Delfraissy sur la prise en charge des personnes infectées par le VIH (voir article p.). Les médecins exerçant en milieu pénitentiaire portent également une responsabilité dans cette situation. Sur la mise en liberté et l’aménagement de la peine, les experts précisent que « si un médecin exerçant en milieu pénitentiaire estime que l’état de santé de l’un de ses patients détenus justifie d’une mise en liberté ou d’un aménagement de peine, il lui appartient de saisir, les autorités judiciaires compétentes afin qu’une expertise puisse être ordonnée. ». Les médecins doivent donc prendre leurs responsabilités ou accepter d’être responsables du décès des détenus malades
Fin juillet 2002, Act Up-Paris reçoit l’appel alarmant d’une femme dont le mari incarcéré est gravement atteint par un cancer. Les services médicaux et l’IGAS restent indifférents à ses appels en faveur d’une libération. Au mois d’août, il meurt. L’article 10 de la loi sur les droits des malades était en vigueur depuis déjà quatre mois.
À Fleury, très récemment, un détenu est mort avant même que son avocate n’obtienne la libération pour laquelle elle se battait. A Fresnes, un détenu, gravement malade, a été transféré de « l’hôpital » à un centre de détention ; il y est retourné un mois après, en réanimation cette fois, pour y mourir peu de temps après. Dans cet « hôpital » pénitentiaire, des dizaines de détenus meurent chaque année. Tous auraient dû pouvoir finir leur jour près de leur famille, hors de leur cellule. Combien de morts faudra-t-il ?
TouTEs les détenuEs malades doivent être libéréEs
Il reste que le Ministre de la Justice, les juges et les médecins pénitentiaires ne doivent pas seulement libérer les personnes en fin de vie. Toute pathologie grave est en soi incompatible avec la détention. Cela à cause du régime de l’isolement physique et psychique, des conditions de détention insalubres, qui ne répondent pas au minimum d’hygiène nécessaire (eau chaude indisponible, quota de trois douches maximum par semaine, nourriture imposée) et enfin à cause d’une prise en charge médicale insatisfaisante.
La loi du 18 janvier 1994 et la circulaire du 18 décembre de la même année, relatives à la prise en charge des détenus et à leur protection sociale, formulent la nécessité d’une « qualité et d’une continuité de soins équivalents à ceux offerts à l’ensemble de la population ». Les faits montrent que cette exigence sanitaire est sans cesse bafouée pour des impératifs sécuritaires. L’information sur la maladie et les traitements est souvent indisponible ; le secret médical est mal gardé ; le choix du médecin est impossible ; l’accès à des soins la nuit est impossible dans 95 % des prisons françaises. Gérer les effets secondaires d’une trithérapie paraît inimaginable lorsqu’on est enfermé dans quelques mètres carrés.
Les examens médicaux et l’hospitalisation sont également incompatibles avec la détention : les escortes sont difficiles à obtenir, quand les examens ont lieu, c’est avec menottes, entraves et surveillant.
Jacques Chirac déclarait en mai 2002 que « tous les droits d’un citoyen, à l’exception de ceux dont il a été privé par acte de justice, devaient être garantis aux personnes détenues ». La nécessité de suspendre les peines de tous les détenus atteints de pathologies graves a été reconnue par la loi du 4 mars 2002. Une telle loi n’a de sens que si elle est appliquée rapidement. De plus, elle reste insatisfaisante, parce qu’elle doit s’étendre à toutes les personnes atteintes de pathologie grave. Supprimer la liberté de quelqu’un n’a plus aucun sens lorsque cette personne va mourir ou lorsqu’elle est handicapé au point de ne plus pouvoir bouger. Abolir la peine de mort n’a aucun sens si on laisse mourir les détenus en prison.
Tant que le Président de la République et le ministre de la Justice n’examineront pas en urgence toutes les demandes de grâces médicales, ils seront complices d’assassinat. Tant que les juges d’application des peines ne formuleront pas des demandes de suspension de peine pour les détenus qu’ils voient mourir devant eux, ils seront directement responsables des morts en prison. Tant que les médecins ne saisiront pas les autorités judiciaires compétentes à la vue de l’état de santé de leurs patients, comme l’exige le rapport Delfraissy, ils seront responsables des morts en prison auxquelles ils assistent.
Act Up-Paris exige :
– l’examen en urgence de toutes les demandes de grâces médicales ;
– la libération immédiate de toutEs les détenuEs atteintEs de pathologies graves ;
– la mise à disposition, dans les prisons, de l’information relative aux dispositions de la loi sur les droits des malades ;
– l’accès aux soins, aux médicaments et aux examens médicaux de même qualité et dans les mêmes délais qu’en dehors de la détention ;
– l’amnistie et la libération de tous ceux qui n’ont rien à faire en prison : mineurEs, sans papierEs, usagerEs de drogue, prostituéEs.