Les pouvoirs publics consultent les malades : rapports d’experts, groupes de travail, réunions d’information, les pouvoirs publics font mine de s’intéresser aux besoins des malades. C’est une bonne idée, mais leurs efforts s’essoufflent bien vite.
Depuis la création d’Act Up-Paris, les malades hurlent leur besoin d’aide. Nous demandons à être traités, à être bien soignés, à éviter d’alimenter l’épidémie, alors que les autorités s’attendaient à nous voir attendre nos ordonnances et mourir en silence, comme dans d’autres pathologies. Devant nos revendications, l’État se défile. Exemple : nous demandons une prévention ciblée depuis des années et quand enfin une évolution semble émerger dans la manière de représenter la prévention sexuelle, c’est un retour en arrière paniqué qu’a effectué le gouvernement Jospin. Lâcheté. Qu’attendre de l’équipe actuelle ? Autre exemple : nous luttons pour obtenir des médicaments dont nous avons un besoin vital. Nous avons notre seule force de militants associatifs pour nous. Lorsqu’un Ministre de la Santé se prononce, comme Kouchner il y a un an et demi, c’est pour faire des remontrances polies, sans esquisser la moindre mesure concrète pour nous aider : « l’accès compassionnel est à l’initiative du laboratoire, c’est la loi ». Et l’État est incapable d’y changer quoi que ce soit, par lâcheté. Résultat, aujourd’hui encore le T20 reste dans les tiroirs de Roche alors que des centaines de malades meurent.
Une diffusion nulle
Alors qu’il reste sourd à nombre de nos revendications, l’État, parfois, nous consulte. Ainsi, le rapport Delfraissy sur les recommandations de prise en charge des personnes infectées par le VIH a-t-il fait une large place à l’expertise associative. C’est une avancée, et pas des moindres. Mais là encore, l’État se fiche des malades. Alors que les pouvoirs publics sont capables de démonstrations de force incroyables pour empêcher Act Up de réclamer la libération des détenus malades devant le Ministère de la Justice, les autorités de Santé nous expliquent que cet outil tellement utile qu’est le rapport Delfraissy ne sera diffusé par l’Etat qu’à 1 000 exemplaires. Juste de quoi en distribuer à ceux qui ont participé à son élaboration. Autant dire une diffusion nulle. Quelle mesquinerie ! On voit où sont les priorités… La DGS[[Direction Générale de la santé]] nous demande notre avis sur le projet de réforme européenne du médicament. Mais en retour et de manière sidérante, il est impossible d’avoir un avis du Ministre de la Santé sur des dispositions qui vont mettre en danger 350 millions de personnes en Europe. Clairement, le lobbying européen se joue à 1 contre 100, associations de malades contre industriels pharmaceutiques. La directive est dangereuse et le Ministre se tait. Qui ne dit mot consent.
Irresponsabilité d’Etat
Aujourd’hui, les structures de recherche médicale et les compétences scientifiques sont mobilisées sur la lutte fondamentale contre le virus. Le véritable obstacle aux avancées de la lutte contre la maladie dans l’ensemble des domaines où nous intervenons, c’est la manière dont l’État n’assume pas ses responsabilités. Davantage qu’à des contraintes scientifiques, c’est de plus en plus à des contraintes politiques que nous nous heurtons pour survivre :
– Les traitements d’urgence sont efficaces, mais l’information sur le dispositif est déficiente. Aucune amélioration ne se profile.
– Les pharmacies hospitalières font pression sur les malades, la DHOS[[Direction des Hospitalisations et de l’Organisation des Soins]] lance une enquête et des mesures : était-ce un simple effet d’annonce ?
– L’ANRS[[Agence Nationale de Recherche sur le Sida]] est une fois de plus menacée dans son fonctionnement : en voulant l’intégrer à l’INSERM[[Institut National de la Santé et de Recherche Médicale]], on menace un pôle de compétence unique de recherche publique sur une pathologie. On semble préférer l’homogénéité des structures à l’efficacité de la recherche, et on opère dans la discrétion.
Nous nous battons avec nos armes : nous tentons de rendre visibles ces problèmes et la manière dont ils sont traités par le gouvernement. Quand l’État demande que nous formulions des recommandations et qu’il les range dans un coin sans les prendre en compte, est-ce pour se donner bonne conscience ? Quand les officiels s’indignent de situations qu’ils ont contribué à créer, assument-ils leur cynisme ? Quand les politiques se déclarent plus faibles que les puissances industrielles et renoncent à nous protéger, y a-t-il conflit d’intérêt ? Vous allez trouver que décidément, l’État est habillé pour l’hiver. Nous sommes au 1er décembre. C’est de saison.