La directrice générale de l’Organisation Mondiale de la santé ne se représentera pas. Tant mieux, au vu de ses échecs.
Gro Harlem Brundtland, directrice générale de l’Organisation Mondiale de la Santé ne briguera pas un second mandat. Son entourage s’est déclaré « choqué et attristé » à cette annonce. Cet avis n’est pas partagé par tous.
Aujourd’hui, l’OMS est en permanence sous la menace de coupes budgétaires des pays riches – les Etats-Unis en sont le premier débiteur – et est également de plus en plus dépendante de bailleurs privés (à hauteur de 2/3 du budget). Cette situation a été nettement renforcée par les partenariats public/privé encouragés par Gro Harlem Brundtland. Rien d’étonnant alors que l’OMS développe une action plus encline à satisfaire certains Etats ou certains lobbing industriels plutôt qu’à favoriser l’accès aux soins et aux traitements des populations. En attendant le choix du prochain directeur général par l’Assemblée mondiale de la Santé en mai 2003 (sur proposition du Conseil exécutif de l’OMS), retour sur un parcours jalonné d’échecs et de promesses non tenues.
Liste des médicaments essentiels
Il aura fallu plusieurs années de lutte pour obtenir enfin que l’OMS reconnaisse le caractère essentiel de traitements aussi vitaux que les antirétroviraux et qu’elle les inscrive dans la liste des médicaments essentiels. De même, sans la pression des ONG, les versions génériques de certains de ces traitements n’auraient vraisemblablement ni été prises en compte, ni préqualifiées. Aujourd’hui, seules 11 versions génériques sont pré-qualifiés par l’OMS, alors qu’indubitablement les prix et formules (lire notre brève sur le GPO-vir) représentent l’alternative aux médicaments de marque.
Accelerating Access
Lancée en 2000 par l’ONUSIDA et poursuivie depuis la fin de l’année 2001 sous l’égide de l’OMS, cette initiative était supposée permettre un accès aux médicaments aux prix les plus bas pour les pays en développement. Elle était aussi supposée apporter le soutien technique à la mise en place d’un accès national aux traitements antirétroviraux.
Plus de deux ans après son lancement, seules quelques 25 000 personnes dans le monde ont, à un moment ou un autre, eu accès à des antirétroviraux par l’intermédiaire d’«Accelerating Access» – soit 0,25% des 10 millions de personnes séropositives dont l’état de santé nécessite une mise sous traitement. L’échec est patent. En outre, l’OMS s’est montrée incapable de garantir un cadre de négociations transparent entre pays en développement et laboratoires pharmaceutiques, le respect de standards éthiques minimum, ainsi qu’une quelconque obligation de résultats.
Les compagnies pharmaceutiques ont mené leurs négociations directement avec les gouvernements, pays par pays, de façon indépendante les unes des autres et sans aucun contrôle des agences des Nations Unies. Ces compagnies pharmaceutiques ont proposé des rabais lorsqu’une concurrence avec les génériques existait, tandis que ces mêmes traitements lorsqu’ils étaient en situation de monopole restaient inabordables pour les malades du sida de ces pays. Elles ont pu imposer des conditions inacceptables aux gouvernements comme l’obligation de ré-achat de stock sur plusieurs années ou l’exclusion des producteurs de génériques. Enfin, l’OMS n’a pas joué son rôle d’assistance technique auprès des pays.
Fonds mondial contre le sida, le paludisme et la tuberculose
On n’est jamais mieux servi que par soi-même. Gro Harlem Brundtland répondait récemment à un journaliste : «je crois que j’ai participé à sa création (du Fonds mondial) parce que j’ai réussi à mettre en avant la santé à l’agenda politique et faire que le secrétaire général de l’ONU qui, plus que jamais, fait de l’enjeu de santé qu’est le sida, un élément essentiel de son agenda.» Pourtant, en tant qu’organisme fondateur, l’OMS ne bénéficie plus que d’une place de simple observateur sans droit de vote. Gro Harlem Brundtland a laissé faire, comme elle laisse, par exemple, les pays riches limiter par tous les moyens l’utilisation du Fonds mondial pour l’achat de traitements antirétroviraux et de versions génériques.
Trois millions de personnes sous traitement antirétroviraux en 2005
Lors de la conférence mondiale de Barcelone, Gro Harlem Brundtland se fixait un objectif précis : 3 millions de personnes sous ARV pour 2005. Quand nous l’avons interpellé sur qui était impliqué dans ce projet et quels étaient les moyens mis en place par l’OMS, sa seul réponse a été : «Vous savez, nous lançons l’initiative ; ce qui est sûr, c’est que seuls nous n’y arriverons pas. Il faut que toutes les dynamiques entrent en synergie, blablabla, etc.»
Aujourd’hui, l’OMS a uniquement achevé la rédaction d’un guide de recommandations. L’organisation « espère que les Etats-membres se serviront (de ce guide) pour atteindre l’objectif mondial de 3 millions de personnes sous thérapie antirétroviral en 2005 ». Mais au-delà de cette parution, quels seront les engagements de l’OMS pour atteindre cet objectif ?
Négociations à l’OMC
Lors des dernières négociations à l’OMC sur la question de l’accès aux génériques pour les pays n’ayant pas de capacité de production, Gro Harlem Brundtland n’est jamais intervenue pendant que les pays riches menaient une véritable politique d’intimidation et de pression sur les pays en développement. Alors qu’un accord clairement en opposition avec un objectif de santé publique mondiale se profile, Gro Harlem Brundtland s’est laissée écarter des négociations.
Le principe, théoriquement et symboliquement acquis à Doha il y a un an, de refuser la soumission de la santé publique aux intérêts commerciaux est à nouveau menacé. Et avec lui, la vie de millions de personnes.
La seule vraie réussite de Gro Harlem Brundtland, c’est sans doute la mise en place de la convention contre le tabac qui prend valeur d’obligation dans tous les pays qui la ratifient. Dommage que l’OMS n’ait pas cherché à mettre en place une initiative similaire permettant d’imposer le droit à l’accès aux soins et aux médicaments.