Pour écrire un livre, aujourd’hui, trois conseils :
1) Mettez-vous au centre, racontez-vous, dites «je». De n’importe quelle manière : journal, auto-fiction, introspection philosophique, là n’est pas la question. L’important est que, directement ou implicitement, vous apportiez votre contribution au problème qui nous taraude touTEs : «qu’est-ce qu’une vie réussie ?».
2) Si pourtant, au fond de vous-même, vous doutiez de l’intérêt de votre existence, alors avouez une grosse bêtise : vous êtes devenu ministre de Jean-Pierre Raffarin, vous détestez les lesbiennes, vous pratiquez le sexe sans capote, etc. Pas pour vous faire pardonner, juste pour montrer qu’à défaut d’être extraordinaire, vous êtes sincère, vertu cardinale du moment : pensez au Loft.
3) Si néanmoins cet aveu ne suffisait pas à vous rassurer, si vous sentiez que vos transgressions sont trop petites, trop sottes ou trop sinistres, alors allez-y carrément : appelez au meurtre. Bête, ça ne le ferait pas, mais bête et méchant, ça marche à coup sûr. Eric Rémès l’a parfaitement compris. A l’ombre des géants qui lui ont ouvert la voie (Michel Houellebecq, Guillaume Dustan, Christine Angot, Luc Ferry, pour ne citer que les plus grands), il nous propose son Serial Fucker, journal d’un barebacker. On sent dès le titre que tout y est : il s’agit d’un journal (ma vie en vaut la peine), d’un aveu (je pratique le bareback), et d’une menace (je peux tuer plein de gens). La lecture confirme : ego, sexe, mort – Serial Fucker est plus qu’un livre, c’est l’épure d’un genre. Certes, le texte publié n’est qu’une version édulcorée du texte initial. Les censeurs – en l’occurrence, une association de lutte contre le sida – sont toujours prompts à prendre la littérature au pied de la lettre. On ne trouvera donc pas dans la version finale l’appel à la contamination des militantEs d’Act Up retiré par les éditions Blanche à notre demande. Mais, et c’est là le signe d’une grande écriture et d’un grand éditeur, l’essentiel est sauf.
Exemples :
1) Il est toujours possible de faire sienne la délectation avec laquelle l’auteur rapporte le récit d’un de ses amis, fier – on le comprend – d’avoir sciemment contaminé un militant d’Act Up.
2) Il est toujours possible, pour qui veut marcher sur les pas d’Eric Rémès, de trouver dans son travail, non seulement une puissante source d’inspiration, mais aussi de précieux conseils techniques : pour plomber une dinde, il suffit de couper le bout de la capote, qui achèvera de se déchirer pendant le rapport sexuel.
3) Il est toujours possible d’applaudir à l’audace des images, notamment à celle-ci : le sida, c’est «Palavas les flots». Superbe, deux fois superbe, dans la virtuosité littéraire comme dans le courage politique. Il ne fallait pas laisser Nicolas Sarkozy seul dans son combat contre ces salauds de séropos étrangers qui, sous prétexte de sida, débarquent chez nous comme en villégiature. Plus largement, il fallait une plume à tous ceux qui pensent que les effets secondaires des traitements n’ont aucune importance, que l’échappement thérapeutique n’existe pas, que l’épidémie est finie, que les contaminations diminuent, que la vie on s’en fout, que c’est la mort qui est belle. Bref, même censuré, Eric Rémès parle, et son sujet est inépuisable : la transgression par le sexe, sa punition par la mort.
D’ailleurs plus il parle, plus on a envie de l’entendre. Lisons cette interview accordée à un site gay, par exemple : « il est presque dommage que Le Pen ne soit pas passé. On aurait eu une bonne guerre civile, et hop.» Et hop ? En deux mots, Eric Rémès a réussi à synthétiser sa pensée. Chapeau.