Depuis quelques années, les associations qui défendent le droits des migrants vont de désillusions en succès. Cette alternance est jalonnée par des textes de loi successifs et contradictoires, mais surtout par leur interprétation et leur application chaotiques, arbitraires, parfois même cyniques.
La lutte inter-associative énergique contre le sida a cru parfois obtenir des avancées législatives en faveur des personnes sans papiers atteintes de pathologies graves.
L’article 10 I de la loi Debré spécifie que «leur état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour eux des conséquences d’une exceptionnelle gravité, et sous réserve qu’ils ne puissent effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays de renvoi […]». Les étrangers concernés pouvaient prétendre à l’inexpulsabilité.
L’article 5 de la loi Réséda (dite loi Chevènement du 11 mai 1998) précise les modalités de la délivrance d’un titre de séjour temporaire pour soins, en insérant un article 12 bis 11 dans l’ordonnance de 1945. Mais, au mois de septembre 2002, Nicolas Sarkozy, estimant que beaucoup trop d’étrangers bénéficiaient de ce dispositif, commande un rapport. Le 19 décembre, une circulaire est envoyée à l’ensemble des préfectures, visant à renforcer les contrôles et à restreindre les conditions d’accès au séjour des étrangers, en particulier des étrangers malades. Cette circulaire prévoit la création d’un nouveau motif de refus, «la demande infondée», avec la possibilité de procéder à l’interpellation des étrangers aux guichets.
Cette circulaire est illégale (elle exige une preuve de l’entrée en France, ce que la loi ne prévoit pas) et beaucoup plus restrictive que l’ordonnance de 45. Elle laisse le choix (de par sa nature juridique) à chaque préfet, de l’interpréter comme il l’entend. Le GISTI en a demandé l’annulation devant le Conseil d’Etat. Une action d’Act Up auprès du Conseil de l’Ordre des médecins a été menée afin d’obtenir son positionnement officiel. Il a demandé une modification de la première version de la circulaire : cette dernière a effectivement été rectifiée, mais dans l’intérêt des médecins, pas dans celui des étrangers malades.
«Caractère exceptionnel»
Désormais, les préfectures ont donc pour mission de mettre en œuvre tous les moyens de contrôle nécessaires afin de limiter la portée de l’application de l’article 12 bis 11. La circulaire va jusqu’à accuser les médecins habilités, lesquels abuseraient de leurs facultés à délivrer les certificats médicaux utiles, et charge le Conseil de l’Ordre des médecins de les dénoncer auprès des préfectures.
La circulaire insiste sur le «caractère exceptionnel» de ce dispositif, déclenchant une véritable suspicion, autant à l’encontre des étrangers malades concernés qu’envers les médecins. Mais le gouvernement ne s’arrête pas là. Le ministère de l’Intérieur invite le ministère de la Santé et des Affaires Sociales à effectuer un recensement des pays d’origine dans lesquels les demandeurs pourraient bénéficier des structures sanitaires et des offres de soins nécessaires, mais aussi à préciser la notion « d’exceptionnelle gravité ». Un tel listing est inconcevable et irréalisable. Le gouvernement envoie un nouveau signal fort : les objectifs du ministère de l’Intérieur priment sur le droit à la santé. Les étrangers doivent donc repartir et mourir dans leur pays ou rester en France, mais dans la clandestinité. Et nous savons bien que l’éloignement des structures sanitaires et sociales est synonyme de progression de l’épidémie. Faudra-t-il, tous les cinq ans, se battre de nouveau pour obtenir les mêmes choses ?
Act Up-Paris a exigé, exige et exigera du gouvernement :
– le retrait immédiat de la circulaire du 19 décembre 2002 ;
– l’abandon de tout projet de liste et de toute disposition visant à restreindre l’application de l’article 12bis11 ;
– la régularisation de tous les étrangers ou sans-papiers malades ;
– la primauté du droit à la santé sur toute autre considération politique.
Les principaux textes
02 novembre 1945 Ordonnance relative aux conditions d’entrée et de séjour en France des étrangers
24 avril 1997 Loi Debré sur l’immigration rectifiant l’ordonnance de 45
11 juin 98 Loi Chevènement introduisant des dispositions nouvelles à l’ordonnance de 45
19 décembre 2002 Circulaires Sarkozy modifiant les conditions d’application de cette loi
10 janvier 03 Circulaire rectificative de la précédente