Vendredi 16 mai, le congrès américain a validé le plan budgétaire proposé par George Bush en janvier dernier concernant la lutte contre le sida dans le monde. À Évian, ce sont 15 milliards de dollars sur 5 ans que le président américain viendra mettre sur la table du G8 face à ses homologues.
Après avoir démontré la suprématie américaine dans le champ militaire, et pour tenter de redorer le blason des États-Unis, c’est maintenant dans le domaine de l’humanitaire que le George Bush veut marquer la toute puissance américaine. «À Évian, ces 15 milliards seront le symbole de la grande compassion de notre pays envers ceux qui souffrent» déclarait George Bush vendredi dernier, en affirmant espérer que ses homologues en feront autant [[«Senate Approves AIDS Bill, Pleasing White House», New York Times, 17 mai 2003.]]. «Avec ces 15 milliards, nous venons de donner au président Bush le levier dont il a besoin pour amener les autres pays riches à rejoindre l’Amérique dans son combat pour juguler la crise du sida» commentait vendredi le président du groupe républicain au Sénat Bill Frist.
En affichant un tel montant, les États-Unis se placent très loin devant les autres pays du G8, notamment les Européens, qui n’ont absolument pas respecté l’engagement pris en 2001 de rassembler 10 milliards de dollars par an au niveau mondial pour la lutte contre le sida [[Le 27 juin 2001 les pays riches s’engageaient aux Nations Unies à «à atteindre un montant annuel de dépenses globales de 7 à 10 milliards de dollars pour la lutte contre l’épidémie de sida dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire» (Déclaration sur le Sida de l’Assemblée Générale des Nations Unies). Le 22 juillet suivant, à Gênes, les chefs d’Etat du G8 déclaraient s’engager «en réponse à l’appel de l’Assemblée Générale des Nations Unies» à «faire un progrès décisif dans la lutte contre les maladies infectieuses» grâce à «un nouveau Fonds mondial» (Déclaration des Chefs d‚Etat et de Gouvernement du G8 du 22 juillet 2001). A ce jour la contribution de l’UE au Fonds Mondial reste inférieure à 200 millions d’euros annuels (Rapport du Fonds Mondial contre le Sida, la Tuberculose et le Paludisme, Pledges and Contributions to the Global Fund 2001-2003‚ 31 mars 2003).]].
Finançant ainsi 90% du total mondial dévolu à la lutte contre le sida, George Bush se trouve désormais en position d’imposer sa logique en matière de relations Nord/Sud et de lutte contre la pandémie de sida. En effet, sur les 15 milliards promis, seule une partie infime bénéficiera au Fonds mondial créé par le G8 de Gênes. Opposé par principe aux mécanismes multilatéraux, le gouvernement américain privilégie les tractations bilatérales dans le cadre desquelles il peut exiger toutes sortes de conditions des pays en développement. En outre, devenant de très loin le premier financeur international, il lui sera possible de faire prévaloir une approche de la lutte contre le sida idéologiquement très marquée, excluant le préservatif au profit de l’abstinence sexuelle, luttant contre l’avortement sous couvert d’aide sanitaire, et limitant le recours aux médicaments génériques au profit des produits des multinationales américaines.
Le président français, qui s’est pendant des années posé comme le champion de la lutte contre le sida dans le monde [[Discours d’Abidjan, 5 décembre 1997, «Nous n’avons pas le droit d’accepter qu’il y ait désormais deux façons de lutter contre le sida : en traitant les malades dans les pays développés, en prévenant seulement les contaminations dans les pays du Sud […]. Devant vous, je veux prendre solennellement l’engagement d’y contribuer de tout le poids de mon pays».]], et le défenseur d’une certaine politique de solidarité internationale, n’a que peu de choix. Soit Jacques Chirac laisse George Bush s’imposer à Evian comme seul maître à bord, soit il répond à l’offensive américaine et annonce une augmentation massive de la contribution française à la lutte contre le sida.
Depuis 1997, le chef de l’État français exhorte la communauté internationale à se mobiliser contre l’épidémie [[<3>]], mais la France a toujours refusé de s’impliquer réellement sur le plan financier [[Lancement avec Bernard Kouchner du Fonds de Solidarité Thérapeutique Internationale suite au discours d’Abidjan, pour un financement de seulement 7 millions d’euros ; échec du FSTI en 2000. Lancement du Fonds mondial au G8 de Gênes en 2001, contribution française de 50 millions d’euros annuels. Crise budgétaire au Fonds mondial en 2003.]]. Aujourd’hui, le président français est mis face à des responsabilités. Jacques Chirac est aujourdhui le seul, au sein du G8, à pouvoir déclencher une réaction de l’Europe pour permettre un rééquilibrage international [[Jacques Chirac peut, en engageant la France, influer sur les pays européens et ainsi contrecarrer l’offensive américaine. En effet, la décision de l’Allemagne et la France de rapprocher leur politique étrangère inclue officiellement la solidarité internationale. Ainsi une contribution française d’ampleur au Fonds mondial sida serait suivie par Gerhardt Schröder. La Grande-Bretagne, sous pression américaine, allemande et française, serait obligée de mettre sa propre contribution à niveau, ce qui entraînerait à son tour l’Italie, et ensuite le Canada et le Japon. La contribution américaine, budgétairement indexée depuis le 16 mai dernier sur l’effort des autres pays riches, serait alors automatiquement augmentée d’autant.]], et la mise en oeuvre d’une politique de lutte contre le sida adaptée à l’urgence et aux besoins de cette crise planétaire.
C’est pourquoi à Évian Jacques Chirac doit annoncer une contribution française comparable au nouvel effort américain, soit 500 millions d’euros [[Selon le rapport ‘PNB OCDE 2002’, le rapport des PNB américain et français, selon que l’on le corrige ou non des variations de prix et de taux de change, se situe entre 5 et 7. Sur cette base, la France devrait contribuer à la lutte contre le sida à hauteur d’1/6 de la contribution américaine, soit 2,5 milliards sur cinq ans ou 500 millions par an.]]. La vie de plus de 40 millions de personnes en dépend.