Note valant avis sur la suspension de peine pour raisons médicales
Adoptée en séance plénière du 11 mars 2003 :
L’attention du Conseil national du sida a été attirée par les associations de lutte contre le sida sur l’application de l’article 10 de la loi du 4 mars 2002[[Loi n° 2002-303 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.]] concernant les personnes incarcérées atteintes de pathologies graves, les nouveaux aménagements étant susceptibles de concerner directement les détenus malades du sida.
Ces dispositions, insérées dans le code de procédure pénale à l’article 720-1-1, autorisent la suspension des peines privatives de liberté pour « les condamnés dont il est établi qu’ils sont atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention ». La suspension de peine peut être décidée par le juge d’application des peines ou par la juridiction régionale de la libération conditionnelle (selon la durée de la peine prononcée ou restant à subir) si deux expertises médicales distinctes établissent de façon concordante que le détenu se trouve dans l’une des situations énoncées. Le juge est saisi soit par le détenu (ou son avocat), soit par le procureur de la République ; il peut également se saisir d’office. Il faut souligner à cet égard le rôle essentiel des personnes intervenant auprès des prisonniers : les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), les travailleurs sociaux, les visiteurs de prisons, les membres d’associations, le personnel pénitentiaire, en particulier la direction des établissements, et le personnel soignant qui peuvent effectuer des signalements.
Pour le Conseil national du sida, la mise en place d’une suspension de peine pour raisons médicales constitue une importante avancée pour les droits des personnes malades incarcérées. Il existait déjà antérieurement des possibilités d’individualisation de la peine pour motif de santé telles que la libération conditionnelle, la semi-liberté ou le fractionnement de la peine. Cependant, leurs conditions de mise en œuvre étaient relativement restrictives et avant tout envisagées comme des outils de réinsertion du détenu. L’article 10 de la loi du 4 mars 2002 institue désormais un aménagement de peine conçu spécifiquement pour assurer la prise en charge de la maladie.
Satisfait de ces dispositions, le CNS estime néanmoins que les pouvoirs publics doivent veiller à deux points fondamentaux pour une application effective et efficace de ce nouveau dispositif, dans un domaine où la France a récemment été condamnée par la Cour européenne des Droits de l’Homme [[CEDH arrêt Mouisel c. France, 14 novembre 2002. Dans cette affaire concernant un détenu atteint d’une leucémie, alors même que la loi du 4 mars 2002 n’était pas encore applicable, la Cour a considéré que le maintien en détention de celui-ci avait porté atteinte à sa dignité et causé une souffrance allant au-delà que celle que comporte inévitablement une peine d’emprisonnement et un traitement anticancéreux et avait en conséquence constitué un traitement inhumain et dégradant.]].
1 – Pour une application effective de la loi : information et droit d’alerte
Les possibilités de suspension de peine offertes par l’article 720-1-1 du code de procédure pénale, un an après son entrée en vigueur, apparaissent encore peu utilisées par les autorités judiciaires[[Seuls 21 détenus ont bénéficié d’une telle mesure à ce jour.]] et méconnues dans l’univers carcéral. Le CNS souhaite que les pouvoirs publics prennent des mesures afin que ce texte connaisse une application à la hauteur des ambitions du législateur.
Les modalités de la suspension de peine pour raisons médicales doivent être largement diffusées, non seulement auprès des détenus, mais également, compte tenu de la situation d’exclusion et de manque d’appui familial et juridique caractérisant une partie d’entre eux, à tous leurs interlocuteurs qui doivent constituer des relais d’application de la loi.
Le CNS a pris note des circulaires adressées par la Chancellerie aux services déconcentrés de l’administration pénitentiaire ainsi que de la volonté affichée du ministre de la Justice en ce qui concerne la mise en œuvre de cette loi[[Circulaire DAP n° 515 du 28 octobre 2002, « Présentation de la suspension de peine pour raisons médicales prévue par l’article 720-1-1 du code de procédure pénale » ; circulaire DAP n° 590 du 25 novembre 2002, « Signalement des personnes détenues susceptibles de bénéficier d’une suspension de peine pour raisons médicales ». Ces circulaires ont été adressées aux directeurs régionaux des services pénitentiaires, aux chefs d’établissements et, pour la seconde, également aux directeurs des services pénitentiaires d’insertion et de probation. Communiqué de presse du ministère de la justice, 6 mars 2003.]]. Plus largement, le CNS considère que toutes les personnes intervenant dans les prisons doivent être associées à l’application des dispositions de ce texte afin qu’elles soient en mesure, d’une part, d’informer à leur tour les détenus et, d’autre part, d’exercer leur rôle de signalement auprès des autorités judiciaires. A cette fin, les pouvoirs publics doivent soutenir la diffusion de l’information auprès des organismes institutionnels, professionnels et associatifs concernés dans les domaines sanitaires, sociaux et juridiques. Le CNS préconise en particulier que le personnel soignant dans le cadre des unités de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) reçoive les directives appropriées.
Par ailleurs, une application effective de la loi implique que les autorités judiciaires soient tenues de donner suite aux signalements concernant l’état pathologique des détenus, et d’en tirer les conséquences juridiques. Dans ce but, il s’avère indispensable que les proches du détenu malade, ainsi que les personnes quotidiennement à son contact, disposent d’un véritable droit d’alerte auprès des autorités judiciaires, incluant la faculté de solliciter un examen médical du détenu. Seule la reconnaissance d’un tel droit, véritablement contraignant pour le juge, conduira à une réelle prise en compte de situations humainement dramatiques.
2 – Pour une application égalitaire et efficace de la loi : l’encadrement des expertises médicales
Il convient de souligner le rôle fondamental de l’expertise médicale dans l’application des dispositions de l’article 720-1-1 du code de procédure pénale puisque la suspension de peine ne peut être prononcée sans les avis positifs concordants de deux experts indépendants l’un de l’autre. Le CNS invite les pouvoirs publics à examiner certaines difficultés relatives à ces expertises.
En premier lieu, il faut constater que les termes de la loi, en ce qui concerne l’état pathologique du détenu, sont extrêmement vagues. Dans la première hypothèse visée par le texte, la pathologie du détenu doit « engager le pronostic vital » et dans la seconde hypothèse, l’état de santé doit être « durablement incompatible avec le maintien en détention ». Ces notions laissent libre champ à de nombreuses interprétations. Sans occulter la diversité des situations tenant à la fois aux malades, aux pathologies et à l’hétérogénéité des établissements pénitentiaires, le CNS estime qu’il conviendrait d’harmoniser les pratiques des experts médicaux en cette matière. Un cadre d’analyse commun apparaît indispensable pour une application égalitaire de la loi sur l’ensemble du territoire dans un domaine qui concerne directement les libertés publiques. Des groupes de travail ayant pour but de définir les critères de la suspension de peine pourraient être réunis afin d’harmoniser les pratiques des experts. Dans l’attente d’une conférence nationale de consensus, ils pourraient, dans un premier temps, être mis en place dans chaque ressort de cour d’appel.
En second lieu, le problème des délais de réalisation des deux expertises requises se révèle crucial dans le cas de personnes précisément atteintes de pathologies graves. Des instructions doivent en conséquence être données pour que les expertises soient réalisées dans des délais très brefs, cela afin que le but poursuivi par la loi puisse être effectivement atteint. Un délai d’une quinzaine de jours pour le traitement complet du dossier semble raisonnable en ce qui concerne des personnes dont les jours restant à vivre sont comptés. Ce délai devrait encore être raccourci pour les cas les plus graves, par exemple dans le cadre d’une procédure d’urgence.