Une étude américaine récente établissait qu’aux USA les statisticiens du sida avaient omis une communauté spécifique parmi les communautés les plus touchées par la
pandémie : la communauté transgenre (le terme désigne une personne vivant sous une identité opposée à son identité biologique, sans nécessairement être passée par un processus chirurgical).
En France, aucune étude n’a été publiée à ce sujet, mais chaque trans a perdu assez de copines (dans un milieu si petit !) pour que l’on puisse imaginer que les résultats seraient les mêmes. À notre grande colère, la récente vague de nouvelles contaminations s’est soldée ces dernières années par de nouvelles amies prises au piège. Certes pour la sodomie, elles se protégeaient, mais pas pour la fellation. Dire à une trans : « sucer, c’est moins dangereux que se faire enculer », c’est ignorer que, pour beaucoup, ce qui est pour les autres une entrée, est chez elles un plat de résistance : le moyen idéal d’avoir un rapport sexuel avec un homme sans sortir de leur genre. Il faut juste leur dire et redire qu’il vaut mieux faire ses pipes avec préservatif que de bouffer des pilules toute la journée et puis mourir. Le terme «groupe à risque» comportant trop de sous-entendus potentiellement discriminatoires, on préfèrera ici utiliser le terme de «communauté menacée» pour les femmes trans.
Si les cultures amérindiennes ou polynésiennes sont articulées sur un rapport souple au genre, la société judéo-islamo-chrétienne entretient depuis toujours un rapport violemment rigide quant aux fantaisies identitaires. Pour la Thora, l’homme qui met les vêtements de la femme doit être mis à mort, les conquistadores chrétiens faisaient dévorer par leurs chiens les «berdaches» et autres «mujeradores» amérindiennes. Pas question pour autant de réduire une religion aux caricatures qui les déshonorent : d’autres croyants tiennent des langages plus humains. Beaucoup de catholiques haussent les épaules avec nous quand Jean-Paul II catalogue les transsexuels au rang des malades mentaux et leur interdit l’accès au sacerdoce (le cas s’est posé : un transgenre canadien qui avait voulu se faire ordonner prêtre). L’ennui, c’est que l’obscurantiste Jean-Paul II reprenait les termes de l’Organisation Mondiale de la Santé, (qui, jadis, reléguait aussi l’homosexualité au rang des maladies mentales).
Transophobes
La plupart des spécialistes de la question trans sont en fait des transophobes, la palme revenant à Colette Chilland (Act Up-Paris a zappé les éditions Odile Jacob pour un de ses livres) qui ne trouve, pour dénoncer l’Etat français qui octroie des papiers conformes à leur nouveau sexe aux transsexuelLEs opéréEs, que l’effarant « c’est une attaque aux fondements de la civilisation ! ». La messe est dite !
Chaque école de psychanalyse a sa théorie sur la chose. Et personne ne parle de liberté individuelle, de droit à disposer de son corps. La France a été un des derniers pays d’Europe à permettre aux transsexuels opérés d’obtenir un changement de sexe légal (en 1994), elle a même dû payer une amende à la communauté européenne à ce sujet. Pour les transgenres non opérées, la situation n’a pas changé depuis trente ans. Elle s’est même aggravée : depuis Charles Pasqua, le sexe doit être inscrit obligatoirement sur la carte d’identité (avant il suffisait d’adopter un prénom neutre pour obtenir un peu de respect de la vie privée). La sécurité sociale refuse d’octroyer un numéro correspondant au sexe social, ce qui équivaut le plus souvent à une interdiction de travail, et il est impossible d’obtenir sur ses papiers d’identité le prénom de son choix. Allez voyager dans certains pays avec un M ou un F qui ne correspondent pas à votre apparence, vous allez vous amuser aux postes de douane !
Sur d’autres plans, en trente ans, la situation s’est arrangée. S’il y a toujours eu des trans au départ des mouvement gays, certains, conformistes, ont ensuite décidé qu’il serait plus profitable d’oublier ces sœurs compromettantes. Aujourd’hui pour les jeunes homosexuels des deux sexes, c’est un signe de ringardise que de ne pas prendre en compte la dimension T du problème. Un stéréotype discriminatoire voudrait qu’une trans ait forcément envie d’être prostituée. Grâce au RMI, à la Cotorep, ou leur équivalent dans la Communauté européenne, la plupart des trans démontrent qu’il suffit d’une modeste allocation pour qu’elles s’échappent de la prostitution : il faudrait juste qu’elles aient plus largement accès au monde de l’éducation, des formations et du travail. C’est évidemment la discrimination, à commencer par la discrimination étatique dont elles sont l’objet, qui fait de trop de transgenres des excluEs plus vulnérables que les autres à la pandémie. Lutter contre ces discriminations, c’est aussi lutter contre la maladie.