Les laboratoires Roche et Triméris ont lancé récemment leur nouvelle molécule : le T-20, ou Fuzéon®, de son nom commercial. Que ce soit au niveau de son prix, de la posologie ou de ses effets, le T-20 n’est pas le médicament miracle attendu. Décryptage.
Le T-20, également désigné par enfuvirtide ou Fuzéon® appartient à la classe des inhibiteurs de fusion et répond au nom de T-20. C’est un peptide de 36 amino-acides qui mime une partie du domaine HR2 de la protéine gp41 (lire notre article sur les inhibiteurs d’entrée du VIH). C’est le seul inhibiteur d’entrée commercialisé, depuis peu, aux Etats-Unis. En s’associant avec le domaine HR1, il va empêcher le rapprochement des peptides transmembranaires et de fusion et par conséquent inhiber la fusion des membranes virales et cellulaire. Le mécanisme d’action du T-20 est donc unique puisqu’il cible une protéine virale accessible sur une très courte période de temps débutant par la liaison aux CD4 et s’arrêtant par l’engagement des co-récepteurs.
Le T-20 est issu de la recherche universitaire américaine, puisqu’il a été découvert au Département de chirurgie du centre médical de l’université de Duke à Durham en 1993. La puissante activité «anti VIH» de ce peptide, largement explorée durant les deux années suivantes, a finalement attirée l’attention d’une petite entreprise de biotechnologie, Triméris, qui s’est appropriée la molécule en déposant un
brevet en 1994. Ensuite, Triméris, n’ayant pas les reins financiers assez solides pour mener à terme les études cliniques devant aboutir à la commercialisation du T-20, s’est associé aux laboratoires Roche. Ensemble, les deux firmes ont mis en place Toro, essai clinique international de phase III dont les résultats ont été publiés en juillet 2002.
Cet essai montre, qu’après 24 semaines, il existe une différence modérée, de 0,93 log en terme de charge virale en faveur des participants ayant pris T-20 en association avec 3 à 5 antirétroviraux en comparaison du groupe contrôle n’ayant pas bénéficié du T-20. L’augmentation moyenne du nombre de CD4 était de 76 dans le groupe T-20, qui en avait 75 en moyenne contre une augmentation de 32 dans le groupe contrôle, qui en avaient 87. Le T-20 a finalement obtenu l’autorisation de mise sur le marché (AMM) au Etats-Unis le 14 mars dernier. Pour l’Europe, la commercialisation devrait intervenir au cours du second semestre 2003. En France, le système d’autorisation temporaire d’utilisation (ATU) nous permet d’en disposer actuellement. Concernant le coût du traitement, Roche a brillamment mis en application l’adage selon lequel ce qui est rare est cher. Effectivement, arguant des difficultés de fabrication de ce peptide, la firme américaine a fixé un prix absolument prohibitif pour ce médicament soit 25 000 $ annuels pour les Etats-Unis et probablement 19 000 euros pour l’Europe. Un autre argument mis en avant par Roche pour justifier d’un prix aussi élevé est le caractère novateur du T-20, tant d’un point de vue du mécanisme d’action que thérapeutique.
Résistances
Qu’en est-il en réalité ? Le Fuzéon® ne remplacera pas les autres antirétroviraux. Une étude de phase I a montré que le T-20 pris en monothérapie induisait l’apparition de résistances au bout de 14 jours. D’ailleurs, en matière de résistance, l’essai Toro a montré qu’à 48 semaines, et malgré l’association du T-20 à une multithérapie, l’apparition de souches résistantes à ce nouveau médicament intervenait chez plusieurs patients. Roche se veut rassurant et dispose déjà d’un successeur au T-20, le T-1249, mais pour lequel il faudra attendre jusqu’en 2007 pour qu’il soit commercialisé.
Outre son processus de fabrication et le concept thérapeutique qu’il met en jeu, le T-20 présente une autre originalité que Roche peut difficilement mettre en avant : il s’agit de sa formulation galénique. Fuzéon® ne se présente effectivement pas sous forme de comprimés, mais en poudre. La mise en solution pour permettre l’injection par voie sous-cutanée est longue, il faut 45 minutes. Elle est particulièrement délicate et doit être réalisée deux fois par jour. Ce mode d’administration occasionne chez 98% des personnes une irritation au site d’injection qui peut être douloureuse. Dans de rares cas, le T-20 peut également entraîner de graves réactions allergiques. Les signes de ces réactions incluent notamment des troubles respiratoires, de la fièvre accompagnée de vomissements et d’éruptions cutanées, du sang dans l’urine et des œdèmes au niveau des pieds. Le fait que certains utilisateurs puissent développer une pneumonie bactérienne constitue une autre préoccupation de l’emploi du T-20. Même si cette affection ne s’est déclarée que dans de rares cas au cours des essais cliniques, elle y est intervenue avec une incidence plus importante que dans le groupe contrôle. Cette pneumonie bactérienne se caractérise par une toux accompagnée de fièvre, une respiration accélérée et un essoufflement. Le caractère innovant du T-20 n’est donc pas aussi flagrant que Roche veut bien nous le laisser croire et ne justifie en aucun cas un prix aussi exorbitant.
Certes le T-20 est le premier agent d’une nouvelle classe thérapeutique, il est difficile à produire à grande échelle et permettra bien sûr d’aider des patients en échec thérapeutique. Mais, l’attitude mercantile de Roche est d’autant plus inadmissible qu’il s’agit d’un produit destiné en premier lieu à des malades en échappement thérapeutique. La demande est donc assurée. Il ne faudra donc pas attendre longtemps pour engranger des bénéfices. Mais, c’est là que le bât blesse ; le T-20 développant rapidement des résistances, son utilisation risque d’être limitée dans le temps. D’autres inhibiteurs d’entrée vont être commercialisés, ils seront probablement de plus petite taille, moins chers et plus faciles à administrer, ils permettront aux laboratoires de faire ce qu’ils ont fait avec les antirétroviraux précédents : réaliser des profits colossaux. Il ne faudrait pas que Roche poursuive la surenchère en matière de prix, sous prétexte de haute technicité concernant la production du médicament. Alors que 95% des personnes atteintes n’ont pas accès aux traitements, alors que nous nous battons pour la commercialisation de génériques en faveur des pays du Sud, il est vraiment détestable que, sous couvert de progrès, Roche apporte une contribution pour le moins indécente à l’élargissement du fossé existant entre ceux qui bénéficient des thérapies et ceux qui se contentent de les espérer.