«Empoisonnement», «mise en danger de la vie d’autrui» sont les deux motifs invoqués pour poursuivre des personnes séropositives. Juridiquement, pourtant, ces termes ne sont pas valables. La Cour de Cassation l’a clairement établi.
En France, jusqu’à l’hiver dernier, aucun texte de loi criminalisant les séropositifs n’avait été adopté. À plusieurs reprises, aux débuts des années 1990, des propositions ont été faites par des sénateurs pour lever le secret médical dans certaines situations ou pour imposer des tests de dépistage. Des sénateurs de droite ont défendu cette mesure, en décembre 1992. La pression associative a permis d’arrêter les différents projets à temps.
En matière de lobby, c’est l’Académie de médecine, et notamment le professeur Roger Henrion, qui est au fondement des principales propositions. De leur côté, le Conseil national du sida (CNS) s’est toujours opposé à ce type de dispositions, en présentant des arguments tant éthiques que sanitaires. Les principales associations de lutte contre le sida sont par ailleurs d’accord entre elles pour condamner ces mesures.
Du côté de la justice, enfin, si de nombreuses plaintes pour transmission volontaire du VIH ont été déposées, la jurisprudence restait favorable aux personnes atteintes mises en cause. Les plaintes étaient classées, soit parce que les plaignants étaient décédés durant l’instruction, soit parce que les qualifications des crimes supposés (tournant le plus souvent autour de l’empoisonnement) n’avaient pas convaincu les tribunaux. Le 2 juillet, 1998, saisie à la suite d’une de ces affaires, la Cour de Cassation a mis un terme aux rêves de ceux qui souhaitent enfermer les séropositifVE, en établissant enfin une jurisprudence claire. L’arrêt très technique, dit en substance ceci : l’«empoisonnement» doit être caractérisé par l’intention de tuer. Or, avoir des relations sexuelles non protégées en se sachant porteur du VIH ne relève pas de cette intention. Pourquoi ? Parce que les sécrétions sexuelles (l’arrêt parle du sperme, mais tout permet de croire que l’équivalent féminin est aussi valable) ne peuvent être légalement considérées comme une substance mortifère. En clair, le sperme ou les sécrétions vaginales ne sont pas comparables à de l’arsenic. Cet arrêt a depuis fait jurisprudence et, en théorie, il permet de prévenir toute plainte pour «empoisonnement» à l’encontre des séropositifVEs.
Automne – Hiver 2002
Tout change à partir d’octobre 2002. L’Académie de médecine, via Roger Henrion, fait une énorme campagne auprès des députés de droite pour qu’on impose à une personne suspectée de viol un test de VIH et de IST. Le député UMP Alain Marsaud dépose un amendement en ce sens dans le cadre de la loi sur la sécurité intérieure, définitivement adoptée en janvier 2003. Malgré les réactions des associations et du CNS, la majorité et quelques parlementaires PS ont approuvé cette mesure.
Rappelons le prétexte : il s’agirait, en connaissant le statut sérologique du violeur, de savoir s’il est pertinent pour la victime de continuer le traitement d’urgence, destiné à éviter une contamination, mais qui est lourd et contraignant. Or, entre les délais de mise à disposition des suspects à la justice et la fenêtre de séroconversion imposée par les tests de dépistage, on sait très bien que cette information n’arrivera jamais à temps pour qu’elle représente une quelconque utilité pour la femme. Par ailleurs, un suspect peut être innocent : quel intérêt aurait alors le résultat pour la victime ?
On voit donc bien que, même dans le cas du viol, le dépistage obligatoire est une mesure condamnable. Comme elle n’améliore pas la prise en charge de la victime, son unique but est de connaître le statut sérologique du suspect dans la perspective d’aggraver sa peine s’il se trouve atteint par le VIH. Roger Henrion a affirmé à plusieurs reprises qu’il fallait œuvrer en ce sens. Un tabou a donc été brisé, qui revient sur une vingtaine d’années de lutte contre le sida fondée sur le dépistage volontaire. Aujourd’hui, ces menaces sont inscrites dans les textes.