Marie-José Mbuzenakamwe est médecin et milite à l’Association nationale de soutien aux séropositifs et sidéens (ANSS, Burundi). Nous reproduisons ici le discours qu’elle a lu dimanche 13 juillet lors de l’ouverture de la conférence de l’International Aids Society qui s’est tenue à Paris jusqu’au 16 juillet.
Depuis plusieurs années, nous avons pu entendre de nombreux responsables politiques prendre publiquement position sur la gravité de l’épidémie de sida, et s’engager à agir. Dès 1997, de très forts messages nous ont été envoyés :« La parole dont je suis porteur se veut celle d’une France qui ne peut rester silencieuse devant le cataclysme humain que l’épidémie du sida est en train de provoquer. Une parole d’engagement aussi, fraternelle, active et fidèle, solidaire de l’Afrique. Comment pourrions-nous continuer à invoquer les droits de l’homme et la dignité humaine dans les enceintes internationales si, dans le même temps, à l’abri des meilleures raisons, nous acceptions que des millions de malades restent privés pour toujours des thérapies les plus efficaces ? » Jacques Chirac, Abidjan décembre 1997Le gouffre qui sépare le Nord et le Sud en matière d’accès aux nouvelles technologies de santé a été à de nombreuses reprises signalé :
« 95% of people with HIV are in developing countries, Africa especially. So far, only a small minority of people is benefiting from new technologies. Rich countries can morally no longer accept this situation. » Joshka Fischer, Ministre Allemand des Affaires Étrangères Novembre 2001Les plus grands bailleurs internationaux ont pris le problème à bras-le-corps :
« HIV/AIDS is killing more poor people than ever before. I want to see the EU playing a large and effective role in assisting developing countries to confront this epidemic. We are going to increase our work and improve our results. We must not abandon those who are ill. » Romano Prodi, Président de la Commîssion eu péenne Septembre 2000Pour contrer l’impact dévastateur du sida, de la tuberculose et du paludisme les décideurs politiques engagent de nouvelles stratégies en terrne de politique de santé publique, en terme d’outil financier et d’accès aux produits de santé :
« The developing world faces a health crisis that threatens to reverse the development gains of the last 50 years. Three diseaes – HIV/AIDS, TB and malaria – kill over 5 million people a year and debilitate a further 250 million sufferers. The economic and social consequences for the poorest countries are desvastating. This is why the leaders of the G8 countries committed themselves last year to work in partnership to achieve by 2010 substantial reductions in the burden of death and disease associated with HIV/AIDS, TB and maIaria. Vaccines, drugs and other health products to prevent and treat the diseases need to be made available Io those who need them at a price they can afford » Tony Blair, mai 2001Le sida est considéré comrne une crise internationale sans précédent :
« HIV/AIDS is a catastrophe far worse by orders of magnitude than any problem or crisis we have on the face of the earth right now… a catastrophe worse than terrorism. » Colin Powell, Avril 2002Les instances internationales ont fixé des objecfifs clairs pour inverser la tendance :
« The question is no longer whether people living with HIV/AIDS in low income settings should have access to treatment, but when at what cost ? The total additional sum riquired each year for an adequate global response to the AIDS epidemic is in the order of $10 billion. Without these resources, the prospects for an effective scale up in service provision are slim. The consequences of failure to invest will be millions more people dying. These deaths could be prevented if wealthy nations were prepared to invest an additional 0.1 % of their gross domestic product in health outcomes. There is no choice : ressources must be made available now. HIV/AIDS is a top priority for WHO. We are aiming for 3 million people world-wide to be able to access ARVs by 2005. » Dr. Gro Harlem Brundtland, DG OMS, Barcelone, juillet 2002Ainsi, on peut penser que les décideurs politiques et les instances internationales ont pris la mesure de la gravité de la situation, qu’ils ont trouvé la volonté de s’engager enfin, et qu’ils sont prêts à débloquer les moyens nécessaires pour trouver les personnes malades et stopper la propagation de l’épidémie. D’autant plus que les stratégies et les actions mises en oeuvre sur le terrain à une échelle locale sont désormais connues et ont été validées scientifiquement. Par exemple, au Burundi : un programme de prise en charge globale a débuté en 1999, Il comprend un volet de prévention articulé à une prise en charge médicale et psychosocîale, c’est à dire le dépistage, le conseil, le traitement des infections opportunistes et l’accès aux médicaments de base, le suivi médical, l’accès aux traitements antirétroviraux, la prévention de la transmission maternofœtale, la prise en charge psychosociale. Plusieurs types d’éléments indiquent l’efficacité cette action : – les gens viennent plus facilement se faire dépister, et ont moins peur de connaître leur statut sérologique, – les messages de prévention sont mieux entendus parce que les gens ne sont plus dans un contexte de fatalité, – la stigmatisation des personnes atteintes est moins forte parce que la perception de la maladie est différente, – la mortalité des malades a radicalement chuté chez les personnes qui sont traitées (plus de 90% de décès en moins), On pourrait poursuivre la liste des effets bénéfiques que l’on observe depuis que l’ANSS a mis en place ce programme. Ces résultats, nous pouvions les imaginer il y a quelques années, nous pouvons maintenant les mesurer concrètement sur le terrain. Mais, cette action a une limite majeure : elle ne concerne que 1 800 personnes à Bujumbura. 1800 personnes suivies régulièrement, dont 600 personnes sous antirétroviraux. Et l’on estime qu’au total 1000 personnes ont accès à ces traitements dans le pays. Bien sûr cette limite n’est pas inhérente au programme. Elle est inhérente aux ressources. Au Burundi, au moins 90 000 personnes ont besoin d’un traitement antirétrovîral. Ici, on se rend compte que la réalité de l’engagement des pays riches et de leurs leaders est bien différente de ce qu’ils décrivent dans leurs discours. Il y a deux réalités : l’une faite de mots, qui finissent par n’avoir plus aucun sens, nourrie d’annonces jamais suivies d’effet. L’autre, celle que nous vivons, dans laquelle le nombre de morts et de contaminations augmente chaque jour un peu plus. – Il y a deux ans, les États du G8 annonçaient la créafion d’un Fonds mondial pour lutter contre le sida, la tuberculose et la malaria, destiné à mobiliser plusieurs milliards de dollars par an. – Aujourd’hui, le Fonds mondial est quasiment en situation de faillite. Il est incapable de financer son troisième appel d’offre en octobre prochain. – Jusqu’à présent seuls 1,24 milliards de dollars US ont été versés par les 8 pays les plus riches du monde. – Malgré les déclarations faites à Doha en décembre 2001, ces mêmes pays continuent de bloquer l’utilisation de médicaments génériques dans les pays en développement. A l’OMC, ils refusent que ceux qui ne fabriquent pas eux-mêmes de médicaments puissent librement les importer des pays producteurs. Dans le cadre de tractations bilatérales ils essaient d’imposer des restrictions plus contraignantes encore que celles de l’OMC. Il est facile de calculer ce que chaque pays devrait engager pour alimenter le Fonds mondial et permettre sur le terrain la mise en place d’actions d’envergure. Il est également facile de voir que chacun de ces pays est aujourd’hui loin de ce que l’on pourrait appeler une contribution équitable. Cette contribution équitable est calculée sur la base des 10 milliards de dollars nécessaires chaque années au prorata du PNB de chacun des pays. Tous les pays du G8 ont su faire des discours à la mesure de l’ampleur de l’épidémie, aucun n’a respecté ses engagements. Pourtant. lorsque les annonces ont été faites par les uns et les autres, dans les pays, les malades, et les professionnels de santé y ont cru. Pour beaucoup d’entre eux, la création du Fonds mondial signifiait l’arrivée de traitements, le renforcement des structures en place, l’accessibilité aux soins pour le plus grand nombre, la perspective de vivre, d’élever ses enfants, et de trouver ou de retrouver une place dans sa communauté. Je pense par exemple à Rwasa, une jeune femme qui été membre de l’ANSS depuis 1996. A partir de 2001, son état de santé a commencé à se dégrader considérablement. Chaque fois qu’elle était hospitalisée, nous la voyions un peu plus faible. Elle répétait de ne pas s’inquiéter, qu’elle tiendrait. qu’elle attendait les traitements, qu’elle tiendrait jusqu’à ce qu’ils soient là, que les traitements allaient arriver bientôt. Elle avait entendu différentes annonces à la radio. Elle a attendu… Elle a tenu jusqu’en mars 2002. Au moment de mourir, elle parlait encore de l’arrivée des médicaments. L’exemple de Rwasa est un exemple parmi beaucoup d’autres. Nous venons ici parler des avancées thérapeutiques. Je suis médecin, Il est important pour moi de participer à une conférence comme celle-ci. Je sais aussi que je suis, comme beaucoup de mes collègues, dans une situation où notre exercice de la médecine ne consiste pas simplement à soigner des malades, mais où il faut aussi, par la force des choses, décider de qui vivra et qui mourra. Parce que I’on n’a que 30 traitements à donner et 120 malades, on sait qu’il va falloir faire un choix. Avez-vous déjà fait ce choix en face d’un malade ? En parallèle, de la conférence de l’IAS, se tient à Paris « La conférence internationale de soutien au Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme ». Pour moi, cet événement pourrait être encore plus déterminant que l’IAS. Obtenir enfin les moyens financiers de pouvoîr agir en tant que médecin, de donner accès aux traitements et aux innovations de santé. Voir enfin la réalité des discours et celle du terrain ne faire qu’une. Pourtant, nous savons déjà que cette « conférence des donateurs », un meeting de plus de plus, ne sera qu’un événement de communication, pour satisfaire les bailleurs et endormir l’opinion publique internationale. Accepterez-vous alors de cautionner cette hypocrisie en applaudissant lors de la cérémonie de clôture des discours vides de tout engagement financier véritable ? C’est la question que je me pose.