Nous nous sommes battus pour l’obtention des articles de loi définissant les droits des étrangerEs atteints de pathologie grave. Depuis décembre, l’UMP a décidé de mettre à mal ces articles, alors que nous avons encore à nous battre pour leur application effective.
L’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée régit l’entrée et le séjour des étrangers en France. Les articles 25-8 et 12 bis 11° définissent les droits des étrangers atteints de pathologie grave. Le 25-8, adopté dans le cadre de la loi Debré en 1997, met en place l’inexpulsabilité des personnes atteintes de pathologie grave. Le 12 bis 11°, voté par le biais de la loi Chevènement en 1998, prévoit la délivrance d’une carte de séjour temporaire (CST) «vie privée et familiale» avec droit au travail pour l’étranger «résidant habituellement en France dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve qu’il ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement dans le pays dont il est originaire».
Nous nous sommes battus pour l’obtention de ces deux articles. Nous avons encore à nous battre pour leur application effective. Des préfectures n’hésitent pas à passer outre ces dispositions et refusent à des personnes séropositives un titre de séjour (voir page 11 le rapport de l’ODSE).
Depuis décembre, l’UMP a décidé de mettre à mal le 12 bis 11°. Tout d’abord, par voie de circulaire, en janvier dernier (lire Action n°87, Aide médicale d’État : une victoire incomplète), puis par voie législative, dans le cadre du projet de loi sur l’immigration, Thierry Mariani, député UMP et rapporteur du projet de loi Immigration/Séjour, téléguidé par le ministère de l’Intérieur, a rédigé, sans consulter les associations compétentes, un amendement à l’ordonnance de 1945, qu’il a souhaité faire passer début juillet lors des discussions à l’Assemblée nationale. Le rapporteur de l’UMP se fonde sur un rapport de l’Inspection générale de l’administration (IGA) qui estime, sur la base de chiffres fantasmatiques et qui n’ont pas été publiés, que la procédure du 12 bis 11° «est détournée de ses objectifs».
On peut lire dans l’amendement Mariani que l’avis rendu par le médecin des DDASS dans le cadre de la procédure du 12 bis 11° «peut faire l’objet, à la demande du préfet, d’une contre-expertise par une commission médicale régionale dont la composition est fixée par décret en Conseil d’Etat». En bref, Thierry Mariani donnait aux préfets le pouvoir de contester l’avis d’un médecin inspecteur des DDASS, qui émet un avis favorable ou défavorable en fonction du certificat médical du médecin traitant. Avec quelle compétence le préfet peut-il contester l’avis d’un médecin ? Selon quels critères ? Avec quel respect du secret médical ? Thierry Mariani et l’UMP ne s’encombrent pas de ce genre de questions.
Après première lecture à l’Assemblée nationale, le texte a été sous-amendé. Il prévoit que «le médecin inspecteur ou le médecin chef peut convoquer le demandeur pour une consultation médicale. L’avis peut faire l’objet, à la demande du médecin inspecteur ou du médecin chef, d’une contre-expertise par une commission médicale régionale dont la composition est fixée par décret en Conseil d’État.»
Ce n’est plus le préfet qui prend la décision d’une contre-expertise, et le secret médical reste aussi «intact» que dans les procédures actuelles ‘ et on sait que les atteintes à la confidentialité sont déjà assez nombreuses. Il n’en reste pas moins que ce sous-amendement continue à faire peser sur le demandeur le sempiternel soupçon de fraude, ce qui ne manquera pas de se traduire dans les pratiques administratives : allongement des délais d’obtention, contrôle et contre-expertise, etc. Ces modifications ont été obtenues grâce à notre travail de lobby et d’action publique. Voici ce que nous avons fait.
Rions un peu avec la droite
Le mercredi 2 juillet 2003, nous envoyions à l’ensemble des parlementaires un communiqué intitulé «Assumerez-vous les conséquences sanitaires de cette loi ?». Sans même évoquer le 12 bis 11°, nous leur rappelions que des lois répressives, comme celle qu’ils discutaient sur l’immigration, éloignent des populations entières de tout système de santé (prévention, dépistage, soins). Le lendemain, nous harcelions par téléphone et par fax une dizaine de députés UMP et UDF pour obtenir une réponse. Celle, orale, de l’attaché parlementaire de Christian Estrosi restera dans les mémoires : «cette loi ne pose aucun problème sanitaire. Vous êtes des alarmistes. Et ne me donnez pas de leçon de militantisme, j’ai moi-même été militant aux petits frères des pauvres».
La réponse écrite de Jacques Barrot, président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, arrivera le lendemain, soit le vendredi 4 juillet : «le groupe UMP considère que, loin de favoriser la précarité des étrangers en France, ce projet de loi apporte une base juridique qui permettra aux étrangers en situation régulière de bénéficier de l’accès aux structures de prévention, de dépistage et de soins. Il ouvre la voie à la mise en place d’une réelle politique d’immigration et permet de lutter contre le phénomène des personnes “ni régularisables, ni expulsables” qui est créateur d’inégalité et de précarité».
Jacques Barrot ment. L’amendement Mariani, même sous-amendé, prolonge encore les délais d’obtention d’un titre de séjour pour des sans-papiers malades, puisqu’ils les soumettent à un recours de l’administration. Comment Jacques Barrot peut-il dès lors affirmer lutter contre le phénomène “ni régularisables, ni expulsables” ?
Action publique
Le jeudi 3 juillet, les militants d’Act Up rejoignaient le rassemblement du GISTI devant l’Assemblée nationale. Nous étions 150 à contester la loi Sarkozy sur l’immigration. Le lundi suivant, à midi, 15 militants d’Act Up picketaient devant le Palais Bourbon, exigeant qu’une délégation soit reçue par des députés de droite, pour défendre l’accès au séjour pour soins. L’action a été suivie par les médias : Beur FM, France 3, RFI l’ont relayée. Le lendemain, l’Humanité et l’Agence de presse médicale (APM) parlaient de la remise en cause du 12 bis 11°. Et les députés que nous avions harcelés depuis quatre jours ne pouvaient plus ignorer les questions que nous posions, juste avant le début du débat.
Lobby tous azimuts
A partir du vendredi 4 juillet, nous avons commencé un travail de lobby portant précisément sur l’amendement Mariani. Un fax est envoyé à l’Elysée, particulièrement à Marie-Claire Carrère-Gée, conseillère de Jacques Chirac sur les questions sociales. Nous y laissions savoir qu’à une semaine de la Conférence internationale sur le sida qui se tenait à Paris, et de la conférence des donateurs pour le Fonds mondial, il était scandaleux que le chef de l’Etat laisse passer un dispositif qui remettait en cause les droits des étrangers malades sur le sol français. Le fax fut envoyé en copie au directeur de l’ANRS, Michel Kazatchkine, co-organisateur de la conférence. A chacun de nos interlocuteurs gouvernementaux, nous avons fait savoir qu’aucun représentant politique français ne pourrait s’exprimer publiquement à cette conférence tant que l’amendement Mariani resterait en l’état. Nous avons harcelé Marie-Claire Carrère-Gée au téléphone, de façon à ce qu’elle prenne contact avec les responsables du ministère de l’Intérieur et qu’elle nous communique les numéros du directeur de cabinet.
Act Up propose…
Pendant le week-end, nous envoyions à l’ensemble des parlementaires, aux ministres concernés et aux DDASS, un argumentaire contre l’amendement Mariani, et nous proposions un sous-amendement : «l’avis du médecin inspecteur ou du médecin chef doit être transmis au préfet dans un délai d’un mois. L’avis est communiqué à l’intéressé en même temps que lui est notifiée la décision relative à sa demande de titre de séjour».
C’est une des différences entre des députés de droite et une association de malades du sida : les députés légifèrent sur le soupçon de fraude sans savoir de quoi ils parlent et limitent les droits des étrangers en utilisant la rhétorique de Jean-Marie Le Pen ; Act Up, elle, se bat pour faciliter les procédures des personnes précaires, en situation d’urgence, et leur donner accès à un dispositif de droit commun (accès au séjour, mais aussi à l’information, au recours, etc.) qui prend réellement en compte le droit à la santé.
Suite à nos multiples courriers aux parlementaires, nous avons reçu du soutien de la part de députés de gauche (Jack Lang, Simon Renucci, Dominique Strauss-Kahn, Ségolène Royal, etc. pour le PS ; Patrick Braouzec et Jean-Claude Lefort pour le PC ; Martine Billard et Noël Mamère pour les Verts). Après notre rassemblement devant l’Assemblée nationale le lundi 7 juillet, Noël Mamère a proposé de reprendre notre proposition de sous-amendement lors du débat parlementaire.
A droite, seul le député UMP Etienne Pinte a proposé son propre sous-amendement. Ce sous-amendement, comme celui de Noël Mamère, avait peu de chance d’être adopté ; de plus, Christophe Caresche ayant proposé à la gauche un amendement pour annuler l’ensemble de l’article dans lequel se trouvait la réforme Mariani, Noël Mamère n’a finalement pas présenté notre sous-amendement. De son côté, le ministère a proposé sa propre modification de l’amendement Mariani. C’est ce texte qui a finalement été retenu le mardi 8 juillet.
Et l’Intérieur dispose
Il faut dire qu’entre-temps, le lobby auprès du ministère de l’Intérieur s’était intensifié. A partir du lundi 7 juillet, nous avons eu de longues heures de discussion, soit avec Claude Guéant, soit avec Frédéric Lefebvre, conseiller pour Nicolas Sarkozy aux relations parlementaires. Ceux-ci sont tombés rapidement d’accord avec nous sur le fait que l’amendement Mariani remettait gravement en cause le secret médical. Ils ont donc proposé, non pas de supprimer le texte, mais de le faire sous-amender ; au nom du gouvernement, par un député de droite, en l’occurrence Paul-Henri Cugnenc. C’est ce qui s’est effectivement passé : le texte final, après première lecture à l’Assemblée nationale, ne permet donc plus aux préfets de saisir une contre-expertise.
Sur le reste de nos revendications, par contre, l’Intérieur s’est montré beaucoup moins réceptif (on s’en serait douté). Ils s’en tiennent mordicus au rapport de l’IGA, tout en refusant de nous en communiquer une version, estiment que cette procédure ne prolongera pas les délais du 12 bis 11° pour les demandeurs, continuent de parler de «fraude» et de «détournement» lorsque nous évoquons les pratiques arbitraires des administrations, etc. Claude Guéant s’est cependant engagé à consulter les associations pour la rédaction des textes d’application de cette procédure.
Avant la canicule, Jean-François Mattéi n’était pas encore connu
Le ministère de la Santé est, tout au long de cette affaire, resté aux abonnés absents. Pire, selon l’aveu même de sa conseillère chargée des questions sida, Anne-Claude Crémieux, les services n’étaient même pas au courant de l’amendement Mariani ! Elle prétendait que la DGS avait bloqué les informations. C’est amusant, c’est le même argument qui ressortira à propos de la canicule. Un collégien qui ne rend pas son travail à un professeur fait preuve de plus d’inventivité dans la mauvaise foi.
A l’Intérieur, Claude Guéant affirmait qu’il n’avait pas consulté la Santé ; Frédéric Lefebvre, lui, prétendait que les services de Jean-François Mattéi avaient été sollicités par l’Intérieur, mais n’avaient pas donné suite. Belle cacophonie qui montre l’esprit de coordination qui règne au sein de ce gouvernement, et la priorité affichée pour les impératifs sanitaires !
Il a fallu harceler au téléphone Anne-Claude Crémieux pour qu’elle s’empare enfin du sujet, c’est-à-dire qu’elle prenne connaissance du dossier le plus rapidement possible. Dans l’urgence, nous avions une revendication : que Jean-François Mattéi s’exprime publiquement, à l’occasion du Conseil des ministres, contre l’amendement Mariani et fasse valoir la priorité de la santé publique sur la logique sécuritaire. Il a refusé de le faire, prétextant la solidarité gouvernementale. Jean-François Mattéi a ainsi cautionné la remise en cause du 12 bis 11° et devra en rendre compte.
Lors d’un rendez-vous avec Anne-Claude Crémieux, obtenu à l’arraché après un zap phone / fax, nous avons rappelé nos exigences : être consultés pour l’application de la loi, entendre enfin Jean-François Mattéi sur le sujet. Nous demandions particulièrement son avis sur la façon dont les médecins-inspecteurs de santé publique (MISP) étaient traités par les nouvelles dispositions (voir ci-dessous). Pour toute réponse concrète, on nous a chaleureusement remerciés pour notre vigilance, et on nous a «rassurés» : maintenant que le ministère était saisi, on pouvait avoir toute confiance quant au résultat…
Une jolie abréviation : les MISP
Jean-François Mattéi n’a même pas été capable de défendre les fonctionnaires dont il a la tutelle : les MISP. Ceux-ci ont été mis à mal par l’amendement Mariani et lors des débats parlementaires. Remis en cause dans leur compétence professionnelle, ils étaient de plus soupçonnés de complaisance envers les «fraudeurs» sans-papiers. Dès le 4 juillet, nous envoyions aux MISP nos argumentaires. Le 11 juillet, le secrétaire du syndicat des MISP (SMISP), nous contacte. Nous lui transmettons le sous-amendement final et nos revendications faites auprès de Jean-François Mattéi et de Nicolas Sarkozy. Il nous fait part de la situation délicate dans laquelle les place le 12 bis 11° modifié. Ils sont en effet médecins-inspecteurs, et non médecins de contrôle, et refusent de faire des expertises directes. Ils entendent donc se fonder sur les certificats des médecins traitants. De plus, ils ne supportent pas le soupçon de fraude que la droite fait peser sur eux.
Le 15 juillet, nous envoyions à l’ensemble des DDASS une lettre les appelant à réagir contre les attaques faites à l’encontre des MISP. Fin juillet, le SMISP annonce qu’il rédige une lettre à son ministre de tutelle, ainsi qu’aux parlementaires, particulièrement au rapporteur Thierry Mariani, dans laquelle il conteste toute complaisance envers des fraudes tout en refaisant une mise au point sur la procédure actuelle du 12 bis 11°.
Au final
Malgré la modification de l’amendement Mariani, il reste beaucoup à faire : surveiller la navette parlementaire et continuer à lutter pour une refonte du 12 bis 11° allant dans l’intérêt du demandeur ; exiger des comptes de la part des députés qui, lors des débats, ont tenu des propos scandaleux ou mensongers : Christian Estrosi, Jacques Barrot, Thierry Mariani, etc. ; exiger enfin que Jean-François Mattéi assume pleinement ses fonctions de ministre de la Santé ; fin septembre, nous rencontrons avec l’ODSE le nouveau directeur général de la santé, William Dab sur la question du 12 bis 11°. Il nous faut mobiliser l’opinion publique : sans une large réaction de toutes et tous contre ce projet, l’UMP ne renoncera pas à précariser un peu plus la situation des sans-papiers, au mépris de leur santé.