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Le 28 mars 2003, interrogée par Act Up sur l’absence de représentantEs des prostituéEs dans le Comité de pilotage qu’elle préside à la Mairie de Paris sur la question de la prostitution, Anne Hidalgo se justifiait en répondant que les prostituéEs qu’elle aurait pu inviter n’étaient «pas assez représentatives». Il fallut ensuite que Janine Mossuz-Lavau qui représentait les chercheurs en sciences sociales dans ce comité nous rassure : «la parole des prostituéEs, c’est l’objet de notre enquête». Claire Carthonnet le raconte très bien dans son livre ; à partir du moment où elle a pris la parole en tant que prostituéE, on lui a reproché d’être «trop exceptionnelle» pour prétendre parler au nom des prostituéEs. Nicolas Sarkozy ne dit pas autre chose lorsqu’il est zappé par Act Up dans un meeting de l’UMP à Lyon en juin dernier : «[les militants d’Act Up] sont des braillards, n’ont jamais rien fait de leur vie, et ne représentent personne». On ne peut pas s’empêcher de penser que cet argument répété témoigne à la fois d’une drôle de conception de la représentation et d’une drôle de conception de la politique. Ils veulent en effet nous faire croire qu’il n’y aurait pas d’autre manière d’agir politiquement et socialement que dans la représentation. Dès lors, en dehors des élections, tout le champ associatif serait invité à se taire et à attendre que les années se passent (le gouvernement Raffarin l’a suffisamment dit aux profs, aux intermittents du spectacle, aux salariés, bref à tous les groupes qui se sont mobilisés ces derniers mois : vous ne devez pas tenter de gagner dans la rue ce que vous avez perdu dans les urnes). Ce qui a échappé à ceux qui nous reprochaient, hier, de ne pas être assez respectables, et aujourd’hui de ne représenter rien ni personne, c’est qu’il y a au moins quelques personnes que nous représentons et dont nous sommes parfaitement représentatifs : nous-même. Ce n’est pas beaucoup, mais d’abord, il n’est pas sûr que les politiques aient intérêt à ironiser là-dessus au moment où la représentation politique, minée par le 21 avril, est en crise ; ensuite, notre expérience de la lutte contre le sida a montré que des révolutions pouvaient advenir à partir du moment où des individus décidaient d’agir en leur nom et d’opposer à ceux qui leur reprochent de crier trop fort leur tranquille entêtement. Nous n’avons donc pas de leçon à recevoir de Nicolas Sarkozy sur ce point. Qu’il se contente de nous envoyer les documents relatifs à l’activité de son ministère et à l’application de l’article 12 bis 11° que nous lui demandons par courrier depuis plusieurs mois. Nous ne serons jamais représentatifs à la manière d’un échantillon pour instituts de sondage. Il suffit de venir un mardi soir à l’Ecole des Beaux-Arts pour s’en persuader. Tant mieux : être une masse inerte que l’on viendrait sonder de temps à autre n’a jamais été notre ambition. A Cancun, dans les négociations organisées à l’OMC, tandis que les Etats-Unis ont choisi des dirigeants du laboratoire Pfizer pour les représenter sur la question de la production et de l’importation des médicaments génériques, nous ne représenterons que nous-même. Ce ne sera pas rien.

 

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