Le matin
Le passage du cyclone Isabel n’a laissé que peu de pluie mais beaucoup de vent sur la grosse pomme. A l’abri dans les salons sur-climatisés (on met son pull à l’entrée) du Hilton, on n’a pu qu’être impressionné par le passage en trombe des nuages au-dessus des tours de Manhattan.
Cette conférence, très spécialisée est exactement ce qu’il faut pour approfondir un sujet : 1000 personnes de 50 pays, cela fait effectivement très intimiste comparé aux monstres genre IAS->mot1148] ou [CROI. Mais les activistes aussi sont moins nombreux. On croise tout de même les leaders d’EATG[[European Aids Treatment Group. Site web : http://www.eatg.org ]] et les habitués d’Afrique et d’Asie.
Hier après-midi, entre deux symposiums très techniques, l’un consacré aux nouveaux vecteurs, l’autre aux nouveaux immunogènes, une réunion plus intimiste regroupait les gens de terrain sur le thème Incidence du VIH et prise de risque dans les cohortes internationales. L’occasion de faire le point non seulement sur la dynamique de l’épidémie mais aussi sur le contexte dans lequel se déroulent les essais vaccinaux. Cinq présentations couvrant tous les continents permet de constater la grande disparité des situations. Les problèmes africains, c’est-à-dire l’absence quasi totale de traitements et grande diversité de sous-types viraux permet peut-être d’expliquer la ferveur et l’engagement des participants aux cohortes africaines ainsi que la diversité des initiatives qui couvrent le continent avec des partenariats d’un peu partout : plus de 30 cohortes et au moins autant d’organisateurs et de partenaires.
Les conseils de prévention dispensés dans ces cohortes permettent de réduire les prises de risque. Les enquêtes montrent que les participants attendent plus une meilleure prise en charge qu’une réelle efficacité des vaccins. L’incidence en Afrique n’est pas particulièrement élevée (1 à 2%) et elle tend à baisser dans les cohortes qui prodiguent des conseils de prévention et qui fournissent des préservatifs. La question la plus critique est la durée du suivi des personnes enrôlées dans ces cohortes. Dans ce contexte, l’organisation d’un essai vaccinal de phase III en deux bras avec un vaccin d’efficacité attendue de 90% et un suivi de 1 an requiert 45196 participants selon les statisticiens.
Europe, Asie, Amérique du Nord après la plénière de ce matin consacrée au développement d’essais vaccinaux.
L’après-midi
L’Asie était présente à ce symposium de stratégie sous forme des résultats d’une étude thaïlandaise menée chez des jeunes usagers de drogue et bien implantés dans le contexte social. L’objectif de conseil de prévention et de distribution de moyens de prévention a bien fonctionné. L’enquête réalisée montre que les personnes suivies n’attendent pas de miracles et ont bien compris l’incertitude de la protection vaccinale. Le principal résultat est la diminution très forte du partage de matériel d’injection ainsi que de l’usage de drogue. Les participants, là aussi, attendaient plus une protection sanitaire qu’un effet du vaccin en participant à cette étude.
Bon, maintenant, les trucs qui fâchent : Europe et USA. Les résultats européens concernent essentiellement la Hollande et Londres. Selon Roel Coutinho, l’Europe manque cruellement de ce genre d’études principalement au sud (Italie Espagne, Portugal, Grèce). Evidemment, l’incidence de la contamination, en régression il y a dix ans, est en train de rejoindre des taux vraiment pas raisonnables, de l’ordre de 3%. Comparé avec l’Afrique, c’est inimaginable dans des pays dont les structures sanitaires sont si développés. L’explosion des IST [[Infections Sexuellement Transmissibles]] va de pair avec une augmentation de l’incidence du VIH notamment chez les homosexuels alors qu’elle est en nette régression chez les usagers de drogues et plutôt stable mais progressant chez les hétérosexuels. Stratifiée par tranche d’age, cette augmentation montre que le problème se situe chez les plus âgés (40 ans) et non pas chez les jeunes générations qui seraient plutôt dans la moyenne avec tout de même une poussée à 25-26 ans. Le chercheur hollandais termine sa présentation en appelant à la constitution d’un réseau européen afin d’établir des bases mieux documentées dans le but de rendre les essais vaccinaux utiles et efficaces.
Les USA : pas mieux. En fait c’est le même profil qui est présente avec en plus un fait grave : il s’agissait de l’essai Vaxgen en cours, effectué sur une population de gays et de femmes plutôt issus de milieux peu éduqués et à faible revenu. Dans l’analyse des enquêtes, il apparaît deux chiffres à faire pâlir : 50% des participants ont eu des relations non protégées dans les 6 derniers mois et 10% les ont eu avec des personnes qu’ils savaient séropositives. Il semble là que le sentiment de se sentir protéger par le vaccin ait joué à plein. Et les résultats des enquêtes montrent bien une surestimation de la protection potentielle conférée par le vaccin.
On ne peut s’empêcher de constater un paradoxe à l’issue de cette séance : les zones où les moyens de santé publique sont les plus développés sont aussi celles où la population est la plus insouciante. Il semble vraiment que dans la société occidentale, la prise en charge médicale courante rend insouciant. La principale conséquence, pour ne pas dire crainte, des promoteurs de la recherche vaccinale est le risque de voir se développer des actions en justice de la part de ceux qui seraient contaminés alors qu’ils participaient à un essai de vaccin qui ne leur avait pas promis la lune. De quoi en décourager plus d’un qui ira s’intéresser aux essais en Afrique ou en Asie. De quoi aussi décourager les bailleurs de fonds.
Comment ne pas être sensible après ce constat à la présentation en pleinière ce matin de Cissy Mutuluuza Kityo, responsable du programme de recherche en Ouganda, qui expose ses victoires mais surtout ses besoins et ceux de l’Afrique : «un vaccin VIH efficace est urgemment nécessaire et doit être accessible à ceux qui en ont le plus besoin, contrairement à ce qui se passe pour les traitements antiviraux».
L’Ouganda est le premier pays d’Afrique dans lequel a eu lieu des essais vaccinaux. En 1989, la conférence de consensus fixait les règles et les modalités d’organisation de ces essais. En 1990, le premier essai était lancé après un énorme travail de préparation incluant le développement d’un réseau de prise en charge, des opérations de communication et d’explications envers la population et enfin, l’obtention d’une approbation et d’un soutien politique. De nombreux essais sont à venir en Afrique : Kenya, Botswana, Afrique du Sud, Rwanda et Ouganda. Les difficultés à surmonter seront l’expansion des infrastructures de suivi, la rigueur et la rapidité des processus d’approbation et surtout, la formation des professionnels et la stabilité des financements. L’AAVP (African Aids Vaccine Program, WHO – UNAIDS) s’est fixé comme objectif 2004/2006 le démarrage d’un essai de phase III. Selon Cissy Mutuluuza Kityo, les questions d’éthique et socio-politiques doivent impliquer la communauté. L’engagement politique et le concours de la communauté a démontré que des essais de vaccins peuvent être conduits dans les règles de l’art en Afrique. Reste à régler la question de la pérennisation des fonds.
Je terminerai sur cette question : mais où est donc l’ANRS dans les essais de vaccins en Afrique ? Bien sûr, comparé aux 456 millions de dollars du NIH (prévisions 2004, 15,9% des 2,87 milliards consacrés au VIH représentent 10% du budget du NIH) pour les seules études de vaccins VIH, la France ne fait pas le poids. En fait, on constate deux choses ici : une forte présence européenne par rapport à celle des américains bien qu’ils soient «à domicile», une absence quasi totale de structures en face du NIH qui finance même des études en Europe et en France ! Comme cet excellent travail du CEA de Saclay[[Commissariat à l’Énergie Atomique]], financé pour la partie fondamentale par l’ANRS et pour la partie recherche vaccinale par le NIH. La honte pour nos politiques ! Finalement, ce qui est criant, c’est la dispersion totale des équipes européennes, chacun dans son coin, tandis que les Etats Unis montent des opérations de regroupement et de coopération. Reste une question : à qui cela profitera ?
Un des symposiums de l’après midi est intitulé «Intellectual Property : Rights and Vaccine Development». Tout un programme…