Deuxième de la série, la conférence de l’IAS (International Aids Society) sur le VIH : pathogenèse et traitements fait suite à celle organisée à Buenos Aires il y a deux ans (lire Protocoles n°20). Bien évidemment, cette conférence devait être pour nous un événement exceptionnel, non seulement parce que, organisée à Paris, ce fut pour Act Up une occasion rare d’y participer largement mais surtout parce que ce fut une occasion de recevoir les activistes du monde entier et de leur proposer des thèmes de travail commun.
Forum communautaire, conférence politique
En préliminaire à la conférence officielle, le forum communautaire rassemblait de nombreux représentants d’associations de malades ou de soutien aux personnes atteintes du monde entier. Au delà d’une confrontation de nos expériences ce forum a permis aux participants d’échanger leur point de vue sur ce que nous attendons de la recherche, tant sur le plan clinique, sur l’accès aux soins que sur les questions étiques.
La matinée s’est axée autour de 3 thèmes :
– la prise en charge du VIH/sida : une introduction aux antirétroviraux a permis de présenter l’histoire naturelle de la maladie, l’immunologie et les modes d’action des antirétroviraux avant de détailler les recommandations au Nord et au Sud. Les conséquences de l’introduction des antirétroviraux dans les pays du Nord et la prise en charge des infections opportunistes au Sud ont montré une fois de plus le fossé qui nous séparent. Les effets indésirables et la qualité de vie, l’observance, les résistances, les nouveaux médicaments, les interruptions de traitement et l’immunothérapie ont posé les bases du débat prévu l’après-midi .
– les essais cliniques : une introduction aux aspects techniques (différentes phases, randomisation, statistiques, placebo, etc.) a permis de mieux appréhender les outils pour aborder ensuite la question de l’éthique dans la recherche, du droit des participants, du consentement éclairé, des législations, etc.
– l’accès aux traitements : après un aperçu des changements opérés au niveau international (Fond mondial, recommandations de l’OMS, sources de financement, etc.) des informations techniques (prix, qualité, disponibilité, législation, licences obligatoires, etc.), la problématique des campagnes menées au niveau international nous a renseigné sur la meilleure façon de travailler ensemble.
Les ateliers de l’après-midi ont prolongé les thématiques du matin afin d’élaborer des plaidoyers :
– plaidoyer pour une meilleure prise en charge : essentiellement basé sur la question de la relation médecin/patient il s’agissait d’évaluer les différences entre le Nord et le Sud, d’établir des principes pour permettre un accès au meilleur traitement et d’identifier les aspects de cette relation qui peuvent évoluer rapidement.
– plaidoyer sur les essais cliniques : en s’appuyant sur l’implication des associations, des communautés ou des femmes dans la recherche, l’importance du rôle des personnes atteintes a fait l’unanimité et doit encore être renforcé.
– plaidoyer pour l’accès aux traitements : la table ronde a repris les campagnes actuelles : « initiative pour préparer l’accès aux traitements » et la campagne « Fund The Fund » afin d’envisager les stratégies possibles d’un plaidoyer global pour l’accès aux traitements.
20 ans de recherche
La rencontre de Paris fut l’occasion d’un bilan de vingt années de recherches dans le domaine du sida. Antony Fauci, le Directeur du NIAID (National Institut of Allergy and Infectious Diseases, USA) et l’un chercheurs les plus réputés dans le domaine du VIH, a retracé les deux décennies écoulées depuis la découverte du VIH. Son exposé a surtout fait une grande place aux avancées thérapeutiques et à la collaboration entre la recherche et la clinique. Rappelant les publications du CDC d’Atlanta de juin 1981 qui marquaient le début de l’ère sida, un nom donné dès décembre 1981, il a fallu attendre encore deux ans avant de reconnaître l’agent de cette maladie : le virus de l’immunodéficience humaine. L’histoire des rétrovirus, démarrée en 1975 par un prix Nobel de médecine a permis depuis, non seulement d’apporter des connaissances scientifiques inouïes tant en virologie qu’en immunologie mais a aussi permis l’émergence de traitements antiviraux.
Le génome du VIH est probablement le plus connu et le plus étudié de tous les virus. Mais parallèlement, la connaissance du rôle des lymphocytes T CD4 et CD8, des cytokines et de leurs récepteurs cellulaires ainsi que les mécanismes détaillés de l’immunité a fait d’énormes progrès. En clinique, depuis 1985 avec l’utilisation de l’AZT et jusqu’à aujourd’hui, 24 molécules ont été testées et rendues accessibles pour freiner la course du VIH. Les trithérapies ont permis un net recul de la mortalité mais l’idée d’éradication énoncée trop vite a été abandonnée au profit du contrôle de la réplication virale, mettant les malades devant un nouveau défi, celui de vivre avec leur traitement malgré les effets indésirables dont la liste et les méfaits ne cessent de s’allonger. Une autre ombre au tableau, la recherche d’un vaccin commencée dès la découverte du virus se heurte encore et toujours à l’immense variabilité du VIH. Les dernières approches s’ébauchent, alors que les chercheurs fondent de nouveaux espoirs dans des montages vaccinaux de plus en plus ambitieux.
Le chapitre final de l’exposé de Antony Fauci fut consacré au rôle de l’activisme dans la recherche sur le VIH/sida. Il a souhaité rappeler en conclusion que les personnes atteintes ont eu une place essentielle dans le formidable élan de recherche que le sida a suscité, comparé à d’autres problèmes de santé, faisant de ce domaine un cas à part dans le monde de la médecine.
Les traitements
La nouveauté en matière d’antiviraux est nécessaire pour faire face aux problèmes des personnes en échappement->mot607] mais aussi aux pénibles effets indésirables des traitements actuels. Les résultats des essais cliniques permettant la distribution de nouvelles molécules ont été présentés lors des séances consacrées aux traitements. Comme on l’attendait, Roche était au rendez-vous, multipliant les résultats sur le T20. L’atazanavir et le tipranavir confirment leur intérêt. Ce dernier, fabriqué par la firme allemande Boehringer Ingelheim, présenté notamment lors du symposium du laboratoire en marge de la conférence est un produit attendu par les malades en échappement. Cela n’empêche pas le laboratoire d’organiser un programme d’essais cliniques une fois de plus contraire à la nécessité urgente de ce type de produit afin de satisfaire ses besoins marketing. C’est ce qui a conduit [Act Up-Paris à intervenir au milieu du symposium de Boehringer afin de dénoncer les manquements étiques de la firme. Parmi les autres produits nouveaux faisant l’objet de résultats présentés à la conférence, on compte un nouvel inhibiteur nucléosidique de la transcriptase inverse, le SPD754 en phase d’étude clinique I/II présentant une efficacité sur des virus résistants à cette classe de médicaments et 2 nouvelles antiprotéases : le GW433908 (Glaxo) en phase III, actif, lui aussi, sur les virus résistants aux autres IP et le TMC114 (Tibotec) en phase II, testé avec un succès prometteur chez des personnes ayant échappé aux autres inhibiteurs de protéase.
Par ailleurs, les études de stratégie de traitement confirment les intuitions. Ainsi, selon une étude rassemblant les patients de 13 cohortes, soit 2488 personnes, les traitements de sauvetage les plus efficaces sont ceux qui utilisent au moins deux nouveaux produits, particulièrement s’il s’agit d’inhibiteur de protéase. L’étude remarque aussi que l’usage des molécules récentes est plus souvent couronné de succès que ne l’étaient les produits anciens. En revanche, le succès d’un tel traitement est moins fréquent après un arrêt des médicaments prolongé et surtout après une longue période sans inhibiteurs de protéase.
L’observance reste la bête noire des cliniciens, mais pour des raisons qui ne semblent pas faire l’unanimité. Les firmes pharmaceutiques croient toujours à un confort accru des traitements qui utilisent le minimum de prises et de pilules. Et les excès en la matière se payent cher : qui s’étonnerait de voir que dans l’essai ACTG 5095 comparant Combivir® (zidovudine + lamivudine) plus éfavirenz à Trizivir® (zidovudine + lamivudine + abacavir) plus éfavirenz et à Trizivir® seul, ce dernier bras a été arrêté prématurément à cause du nombre trop élevé de personnes en échappement. De même, l’essai de GSK proposant en une seule prise par jour abacavir + lamivudine + ténofovir a également été contraint d’être arrêté prématurément à cause d’un résultat intermédiaire accablant : 58% de personnes en échappement ! Force est de constater que les rêveries marketing des laboratoires coûtent cher aux malades.
Afin d’éviter l’apparition de résistances, une étude a proposé l’alternance de deux traitements associant d’une part deux nucléosidiques à un inhibiteur de protéase et d’autre part deux autres nucléosidiques à un non-nucléosidique. Résultat : un risque d’échappement nettement moindre et aucun cas (0%) de résistance du virus chez ceux qui alternent.
Les effets intolérables
Les effets indésirables ont été beaucoup étudiés et quelques pistes nouvelles ont pu être proposées pour lutter contre les troubles métaboliques et la toxicité de certains antiviraux. Ainsi la stavudine est en tête de liste des traitements reconnus comme la source de tous les ennuis et il reste surprenant que les médecins puissent encore prescrire ce genre de produit en routine tant ils sont délétères. Parmi tous les facteurs de risques d’effets graves, une étude rassemblant 1.155 personnes permet de mettre en évidence les plus inquiétants (par ordre d’importance décroissante) : la co-infection avec les hépatites B et C, les difficultés rénales, l’usage de l’indinavir en première intention, les problèmes hépatiques, une charge virale au delà de 100 000 copies. Pour ce qui est des lipodystrophies, l’usage de la stavudine est nettement pointé du doigt par cette même étude. Une autre équipe a étudié les effets de l’éfavirenz sur le système nerveux et a conclu que cette molécule a un effet sur le sommeil provoquant des insomnies qui sont à l’origine de nombreux troubles dont se plaignent les personnes qui en prennent.
Les troubles métaboliques et les lipodystrophies sont des sujets qui remplissent de plus en plus les salles des symposiums qui leurs sont consacrés. Jacqueline Capeau et Morris Schambelan ont tenté de présenter l’état des connaissances sur ces sujets, rappelant le rôle des inhibiteurs de protéases dans les problèmes de dyslipidémie et d’insulinorésistance, le rôle des inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse dans la toxicité mitochondriale et la conséquence de ces effets dans l’apparition des lipodystrophies. Plusieurs présentations orales sont venues apporter de nouveaux éléments de compréhension sur ce phénomène et sur les décalcifications osseuses et altérations des terminaisons nerveuses.
Enfin, pour lutter contre les lipoatrophies, la rosiglitazone pourrait être efficace en permettant une meilleure utilisation du glucose et une régression des symptômes de lipoatrophie.
La recherche fondamentale
La recherche sur le virus permet de dégager les futurs angles d’attaque thérapeutique. C’est pourquoi il s’agit souvent d’un sujet d’importance dans ce genre de conférences. Ainsi le travail de nombreuses équipes à travers le monde a permis de mettre en évidence comment le VIH peut déjouer les défenses antivirales naturelles de l’organisme grâce à une de ses protéines appelée Vif. Ce genre de mécanismes s’est dévoilé progressivement au fil des conférences. Il est le meilleur exemple pour comprendre la difficulté de la recherche et la nécessité de ces rencontres régulières au plus haut niveau scientifique. Il en est de même pour ce qui est de la compréhension des mécanismes d’infection. Les cellules dendritiques, ces soldats du système immunitaires qui patrouillent en périphérie de notre corps et qui signalent aux lymphocytes T CD4 les agents infectieux qu’ils ont découverts, ont été encore une fois pointés comme étant les meilleurs agents d’infection. En effet, ces cellules qui captent les envahisseurs se font piéger par le VIH et c’est en accomplissant leur rôle qu’ils viennent porter l’infection encore plus efficacement que les virus circulant. Ces résultats permettent tant aux recherches thérapeutiques que vaccinales de comprendre leurs échecs et de mieux cibler les essais à venir.
Epidémiologie
Mais la connaissance toujours accrue du virus n’apporte pas que des bonnes surprises. Le VIH possède de nombreux variants, ce qui rend la tâche des vaccins très difficile. Progressivement, les études d’épidémiologie nous montrent que les différents sous-types sont capables de se recombiner chez des personnes plusieurs fois contaminées, donnant ainsi lieu à de nouveaux variants. Ce phénomène ne peut que nous inquiéter et nous inciter à renforcer la prévention car s’il est plus aisément imaginable en Afrique dans des populations fortement contaminées et sans mesures de prévention efficaces, il est aussi présent au Nord où l’on a trouvé des personnes infectées longtemps sans problèmes, sombrer soudain dans une infection explosive parce qu’ils avaient été sur-contaminés par des virus différents. Une autre étude sur les résistances en France a d’ailleurs montré par ses résultats que la diversité des virus au delà du sous-type B allait croissante dans notre pays.
Nord/sud
Les traitements au Sud récusent les fantasmes protectionnistes du Nord. La participation de nombreux cliniciens et chercheurs des pays en développement a permis de comprendre les difficultés auxquels ils sont confrontés du fait de l’absence de structures et de moyens. Mais elle a aussi permis de mettre en évidence un des faits les plus importants pour démentir les réticences encore existantes à la distribution des antiviraux dans les pays du Sud : les risques d’apparition de résistance du virus, longtemps prédits même encore récemment par les co-découvreurs du VIH, Robert Gallo et Luc Montagnier, n’existent pas. Au contraire, de bons exemples ont été donnés, montrant que l’observance et donc l’efficacité des traitements est bien meilleure dans ces pays.
Autre preuve, s’il en est besoin, de la nécessité des antiviraux dans les pays en développement, l’étude Simba conduite en Afrique devait étudier la possibilité de réduire la transmission de la mère à l’enfant lorsque celles-ci allaitent leur nouveau né au sein. Par un traitement tant pour la mère que pour les enfants ainsi nourris, cette étude montre que seulement 0,8%, soit 3 enfants sur 370 sont devenus séropositifs.