A la suite d’un zap phone/fax organisé mercredi 10 mars dans la soirée, Act Up Paris avec le TRT-5 [[Le TRT-5 est un collectif d’associations de lutte contre le SIDA travaillant depuis 10 ans sur les questions de recherche thérapeutique. Sa collaboration avec l’Agence Nationale de Recherche contre le Sida (ANRS) est exemplaire de l’intérêt que peut présenter le dialogue entre les associations de malades et les chercheurs. Il est composé des associations Act Up Paris, AIDES, ARCAT, SOL EN SI, Sida Info Service, Nova Dona, Dessine moi un mouton.]] ont obtenu un rendez-vous avec trois conseillers du premier ministre, Michel Roger (Conseiller pour la jeunesse, l’éducation nationale et la recherche), Olivier Brault (Conseiller technique chargé de la santé et de l’assurance maladie) et Richard Senghor (Conseiller technique chargé de l’action sociale et de l’intégration).
Il s’agissait pour Act Up Paris et le TRT 5 de faire part au gouvernement de notre extrême inquiétude vis-à-vis de son attitude dans la crise qui l’oppose aux chercheurs. Les malades du Sida sont révoltés des décisions du gouvernement qui les sacrifie. Nous avons été reçu assez longuement et avons pu faire part des revendications des malades quant à la recherche.
Act Up Paris et le TRT 5 ont évoqué les difficultés financières dans lesquelles s’est trouvée l’ANRS (Agence Nationale de Recherche Contre le Sida) ces dernières années alors même que son existence avait été fortement remise en cause en 2003 par le ministère de la recherche. Comme groupement de moyens (GIP), l’ANRS finance la recherche sur le sida à hauteur de 45 milllions d’euros. Si l’on ajoute les frais de fonctionnement des laboratoires qui prennent en charge la recherche (l’INSERM, CNRS, CEA…) cette somme s’élève au total à 180 millions d’euros. Dans les faits, l’effort public français en matière de recherche sur le sida rapporté à la population est plus de trois fois inférieur à celui des Etats Unis (765 millions de dollars) et cent fois inférieur en ce qui concerne la recherche vaccinale (18 millions d’euros contre 765 millions de dollars).
Depuis1999, l’ANRS s’est vu confier une nouvelle mission en ce qui concerne la recherche thérapeutique sur l’hépatite C. En 2004, cette mission s’est élargie à la recherche thérapeutique sur l’hépatite B et à la recherche fondamentale sur les hépatites B et C. Or ces nouvelles compétences ne se sont pas traduites par une montée en puissance du financement de l’agence. L’ANRS va recevoir cette année une dotation budgétaire équivalente à celle de 2003 (sans le gel de crédits de 2,5 millions en 2003) mais la dotation supplémentaire d’1,2 millions accordée à l’ANRS pour les hépatites cette année est largement inférieure aux 3,6 millions qu’elle consacre en plus à cette recherche pour 2004 (la part consacrée à la recherche hépatique est passée de 7 % à 15 % de la dotation annuelle de 45 millions de l’ANRS). Au final, le budget de l’ANRS consacré à la recherche sur le VIH/SIDA se trouve amputée de 8 % du fait de l’effort supplémentaire consenti sur les hépatites qui n’est pas financé complètement. Ceci se traduit immédiatement par une réduction de 20 % de la recherche sur les essais thérapeutiques afin de ne pas pénaliser la recherche fondamentale.
Malgré cela, l’absence de signal fort donné par l’Etat pour les hépatites et la faiblesse actuelle des équipes de recherche n’a pas permis une réelle mobilisation sur les appels d’offre lancés par l’ANRS. L’agence s’est trouvée contrainte d’accepter 60 % des projets du premier appel d’offre 2004 sur les hépatites alors que son taux d’acceptation habituel se situe entre 30 et 35 %.
Près de 30 % des séropositifs sont coinfectés (HIV/Hepatite B ou C) pourtant la situation de ces deux domaines de recherche est préoccupante. Ce n’est pas par hasard que le Sidaction a choisi de consacrer jeudi un de ses débats à la recherche en invitant Alain Trautmann. Notre propos porte naturellement vers le SIDA et les hépatites mais les carences actuelles du financement de la recherche publique française concernent l’ensemble de la recherche médicale.
Le 12 mars, l’équipe du professeur Fernando Arenzana Seidedos de l’unité d’immunologie virale de l’Institut Pasteur (Jean-Louis Virelizie directeur) a reçu le prix scientifique Sidaction qui récompense les équipes de recherche. Ce choix salue l’impact majeur des travaux de cette équipe dans la lutte contre le SIDA et leur persévérance depuis 16 ans. A la frontière de l’immunologie et de la virologie, ces recherches sont un exemple remarquable des potentialités qu’offre la synergie entre recherche fondamentale et recherche clinique. Leur dotation budgétaire publique qui ne couvre que 20 % de leurs besoins contraint les membres de l’équipe à consacrer une part importante de leur temps à la collecte de financements plutôt qu’à leur travail scientifique.
Comme souvent dans la recherche publique, ce laboratoire est composé pour moitié de jeunes chercheurs (boursiers, doctorants et post-doctorants) qui sont la part innovante de la recherche française. La situation que leur réserve le gouvernement compromet leur engagement dans les structures de recherche alors même que d’ici 2012 près de la moitié des chercheurs partiront à la retraite. Nous comprenons mal comment le passage de témoin entre les jeunes et leurs aînés pourrait s’opérer sans une perte considérable d’expérience si ceux-ci ne sont pas dès à présent intégrés aux recherches en cours avec des postes statutaires.
Les arbitrages du gouvernement laissent croire qu’on pourrait espérer se retourner vers l’investissement privé pour le développement de nouveaux médicaments. L’expérience des associations de lutte contre le sida montre qu’on ne peut faire confiance aux seuls laboratoires pharmaceutiques pour répondre aux besoins des malades. Jusqu’à présent tous les médicaments anti-sida (antirétroviraux) ont été découverts grâce à la recherche publique. L’industrie privée, au mépris des malades, n’assure la recherche-développement des produits en phase clinique que lorsqu’elle est certaine d’y trouver les profits rapides qu’exige ses investisseurs toujours plus gourmands.
En janvier 2004, le laboratoire Roche a annoncé l’arrêt du développement du T1249 suite au chiffre d’affaire jugé insuffisant du T20 (Fuzéon, moins de 10 % des 500 millions de dollars prévus aux Etats-Unis en 2003). Le T1249, après le T20 (Fuzéon) devait être le deuxième produit d’une nouvelle classe de médicaments, les inhibiteurs d’entrée. L’absence de nouvelles perspectives thérapeutiques rend pourtant indispensable le développement de ce nouveau produit.
Plus récemment encore, le laboratoire Gilead a annoncé l’arrêt du développement clinique d’une molécule, le DAPD (Amdoxovir) que leur avait cédée une université américaine, car d’après le laboratoire ce produit n’atteindrait pas les performances économiques des autres médicaments de sa classe. Pourtant de nouveaux produits sont indispensables afin de pouvoir faire face à l’augmentation des résistances chez de nombreux malades.
Selon le DMI 2 (la base de donnée qui regroupe 70.000 des 120.000 séropositifs suivis à l’hôpital en France): en 2003, 5 à 10 % des malades du SIDA sont en situation d’échec thérapeutique majeur. Seule la recherche fondamentale publique peut nous permettre d’espérer la découverte de nouvelles pistes thérapeutiques.
Aujourd’hui, une des principales causes de décès des séropositifs est la toxicité cumulée des trithérapies. Il est nécessaire que des recherches soient menées sur les effets indésirables à long terme des traitements. Jusqu’à présent, c’est la recherche publique seule qui a permis de documenter ces toxicités. Pour des raisons de rentabilité commerciale, ce n’est pas de toute évidence la priorité de l’industrie du médicament.
L’exemple des troubles du métabolisme souvent associés à des lipodistrophies et qui entraînent des risques cardio-vasculaires chez des personnes séropositives sous traitement est patent. Après avoir exigé avec insistance auprès des laboratoires des études de pharmacovigilance les malades n’ont jamais pu obtenir ces recherches. C’est la recherche publique qui a permis de faire des avancées considérables sur ces questions. La position de premier plan au niveau mondial de l’équipe du docteur Jacqueline Capeau (INSERM Saint-Antoine) traduit bien l’excellence de la recherche publique française dans ce domaine. Ses travaux firent autorité lors de la conférence sur les rétrovirus de Boston en février 2003 et de la conférence internationale de l’IAS en juillet de la même année. Mardi, Jacqueline Capeau a démissionné de ses fonctions comme plus de 2000 de ses collègues…
Les membres du cabinet de Jean-Pierre Raffarin qui reconnaissaient avec nous la réalité des faits que nous exposons persistaient pourtant à soutenir les arbitrages du gouvernement. Souhaitant nous laisser croire que l’organisation des états généraux de la recherche suffirait à répondre aux attentes du collectif Sauver La Recherche, M. Roger refuse de considérer plus avant la question des jeunes chercheurs. La loi de programmation qu’ils annoncent sera-t-elle réellement le résultat des débats qui s’engagent sur la recherche ? Nous sortons donc de ce rendez-vous extrêmement inquiets. Nous ne partageons pas l’analyse des choix budgétaires proposés par le cabinet de Jean-Pierre Raffarin qui oppose une logique des dépenses publiques à la réalité de nos vies. Nous restons persuadés que les arbitrages qui sont faits vont primer sur l’intérêt des malades. D’autres décisions récentes ont montrées combien il est possible de douter de l’usage des concertations proposées par le gouvernement.
Néanmoins, Act Up Paris exige qu’un représentant du TRT 5 participe au Comité d’Initiative et de Propositions pour la Recherche (CNIPRS) dont la composition de 26 membres doit être rendue publique le 16 mars par MM. Beaulieu et Brézin. Nous n’entendons pas considérer comme acceptable une solution qui favoriserait une pathologie au profit des autres. Mais dans le contexte particulier de l’épidémie de SIDA l’expérience acquise particulièrement par les associations de malades a révélé de manière inédite l’intérêt d’une collaboration entre malades et chercheurs.