Retour sur une journée particulière : la journée TRT-5-CHV «Co-infections VIH-Hépatites» du 23 avril 2004. Une collaboration associative réussie contre une association de virus périlleuse.
présentation
Le 23 avril 2004, s’est déroulée la journée annuelle du TRT-5 au ministère de la Santé, avenue de Ségur. Cette année, le thème choisi étant la co-infection VIH-hépatites, le TRT-5 s’est associé au Collectif Hépatites Virales (CHV).
Le TRT-5 regroupe 8 des plus importantes associations de lutte contre le sida (Act Up-Paris, Actions-Traitements, Aides, Arcat, Dessine moi un Mouton, Nova Dona, Sida Info Service, Sol en Si) et travaille sur les questions thérapeutiques liées au VIH. Le CHV regroupe également 8 associations qui luttent contre les hépatites (Act Up-Paris, Actions-Traitements, Aides, Arcat, Association Française des Hémophiles, Nova Dona, Sida-Info-Service/Hépatites Info Service, Transhépate) et a été créé en 2000. La co-infection représente le travail inter-associatif entre ces deux collectifs, et c’est dans cet esprit qu’a été préparée la journée du 23 avril.
Près de 200 personnes ont participé à cette journée : des malades, des associatifVEs, des personnels de santé : infirmières, médecins, psychologues, chercheurs, des représentantEs des pouvoirs publics, des représentantEs de l’industrie pharmaceutique.
pour commencer
Dominique Blanc du TRT-5 et du CHV a d’abord transmis les témoignages et l’expérience de plusieurs personnes co-infectées VIH/hépatites, permettant ainsi de dresser un premier tableau des principales questions que se posent les malades. D’emblée, l’éminente complexité de la co-infection a été mise en évidence.
Gilles Pialoux, médecin à l’hôpital Tenon, précisait alors le cadre de la réflexion en articulant la discussion sur les stratégies thérapeutiques et autour des difficultés rencontrées au cours du suivi des malades : il a pu évoquer la toxicité directe des antirétroviraux sur le foie, mais aussi la toxicité indirecte liée à la restauration immunitaire, les problèmes de stéatose (des dépôts graisseux dans le foie) fréquents chez les séropositifVEs au VIH, ou encore les interactions médicamenteuses entre le traitement VIH et le traitement contre les hépatites. La mise sous traitement et le suivi pour améliorer l’observance ont également constitué une grande part des débats.
la grande désillusion
Cette journée a permis de faire une synthèse entre les attentes des malades et les connaissances scientifiques. La seule véritable déception est venue des pouvoirs publics. Philippe Douste-Blazy, ministre de la Santé, n’a pas pu venir à la conclusion de cette journée. Il inaugurait un salon de la moto à Toulouse… Il a donc délégué cette tâche à William Dab, Directeur général de la santé, qui nous a énormément déçu : connaissant mal les dossiers, il s’est contenté de remarques générales souvent maladroites, de propos presque outrageants à l’endroit des associations qui s’occupent des malades en grande précarité sociale. Il a surtout évité de répondre aux questions précises qui lui étaient posées. Dans ses propos, la gestion technocratique et comptable a paru primer sur la prise en compte du facteur humain et la qualité des soins qui devrait être accordés aux malades. Là où nous aurions pu attendre – enfin- une vraie reconnaissance et des propositions concrètes pour répondre au défi de santé publique que posent les hépatites et la co-infection VIH, nous n’avons recueilli qu’une mise en garde sur les économies draconiennes que préparent le ministère, dans le cadre de sa réforme de la Santé publique et de la sécurité sociale. C’est la première fois que William Dab s’exprimait en public devant des associations de lutte contre le VIH et les hépatites. La prise de contact a été plutôt rude.
Pourtant, des questions pressantes lui ont été soumises, qui auraient mérité de vraies réponses. Nous aurions souhaité que le ministère de la Santé annonce un ensemble d’actions. Nous n’avons constaté qu’une grande inertie technocratique ; au pire, l’indifférence politique. Act Up-Toulouse a immédiatement lancé un communiqué de presse pour exprimer son mécontentement.
piqûre de rappel
Pourtant, les chiffres de la co-infection demeurent inquiétants ; les difficultés sont de taille. Les hépatites virales sont fréquemment associées au VIH en raison d’un mode de transmission très proche.
On estime à :
– 30% les porteurSEs du VHC chez les séropositifVEs au VIH. Ces chiffres varient beaucoup d’une étude à l’autre et selon la population : de 4 à 8 % chez les homos et les bi, de 70 à 90% chez les usagerEs de drogues injectables. Les épidémiologistes prévoient un pic en 2005. Les pouvoirs publics semblent aujourd’hui conscients du risque mais avec beaucoup de retard et sans se donner les moyens de lutter efficacement. C’est ainsi que les compétences de l’ANRS ont été élargies aux hépatites, sans que le budget de l’Agence soit augmenté en conséquence. (lire Protocoles N° 30). En France, on peut estimer au minimum à 50 000 co-infectéEs VIH-VHC.
– 70 % les séropositifVEs VIH ont rencontré le virus de l’hépatite B. Environ 20% (voir plus) développent donc une hépatite chronique soit environ 30 000 personnes en France. Malgré ces chiffres, la co-infection VIH-VHB reste insuffisamment étudiée selon l’avis des médecins eux-mêmes (lire le rapport Delfraissy, VIH 2004, 9ème conférence de l’EACS.)
les points forts de la journée
Différentes thématiques ont été abordées au cours de cette rencontre :
Les recommandations thérapeutiques de prise en charge, inspirées du rapport Delfraissy, laissent apparaître qu’il faut se préoccuper très tôt de l’hépatite d’une personne co-infectée, puisque le foie se dégrade plus rapidement que celui des personnes mono-infectées par une hépatite. Il s’agit aussi d’être très attentifVE à l’état immunitaire des personnes.
Quand un traitement est nécessaire, comment optimiser la prise en charge ?
Maxime Journiac du CHV et du TRT-5, et Eugène Rayess duTRT-5, nous ont fait part d’expériences dans le cadre du traitement des hépatites B et C. Ces interventions mettent à nouveau en lumière la nécessité d’un suivi très précis tant sur le plan virologique, clinique, psychologique, avant, pendant et après le traitement.
Prise en charge psychologique et accompagnement Jean-Philippe Lang, psychiatre à l’Hôpital civil de Strasbourg, a fait part de son expérience dans le suivi des personnes co-infectées VIH-VHC sous traitement. S’il n’y a pas d’urgence à traiter, il y a urgence à mettre en place une prise en charge globale, précoce, cohérente dans laquelle la personne se sente rassurée et puisse débuter lorsqu’elle le souhaite son traitement. Cette prise en charge inclu éventuellement la prescription d’un anti-dépresseur, et cela peut nécessiter l’approche d’un spécialiste.
Il faut aider les personnes à devenir adhérentes aux soins. Il faut limiter la dépendance et l’isolement, donc il faut parler des bénéfices secondaires : est-ce que vous voulez un arrêt de travail, pas d’arrêt de travail, un mi-temps, comment ça se passe en famille, dans votre couple, … est-ce que vous voulez venir voir le psychiatre avec eux. Tout cela se discute, tout cela est important.
Cette intervention a permis de confirmer que tout le monde était à risque de dépression au cours d’un traitement lourd et qu’il était très difficile de définir des « profils de personnes à risque ». Il faudrait que chaque personne qui le souhaite puisse rencontrer un psychiatre, avant de commencer son traitement. Les réactions dans la salle sont venues des médecins eux-mêmes qui ont des difficultès à trouver des psychiatres.
Il faut donc une réelle volonté des pouvoirs publics, relayées par les directions d’hôpitaux et les chefs de service de psychiatrie pour espérer pouvoir avancer un tout petit peu sur ce problème tout à fait capital de l’accompagnement.
drogues et d’alcool : quel impact ? quelle prise en charge ?
Pascal Mélin, membre de SOS hépatites, a insisté sur les études récentes qui ont montré que l’éradication virale était atteignable chez les (ex)usagerEs de drogue. Donc il faut traiter. Nous savons que les chances d’éradiquer le virus sont beaucoup plus importantes si la personne est prise en charge dans des programmes de substitution par des équipes entraînées et multidisciplinaires.
Sur 40 000 personnes co-infectées VIH- VHC, 30 à 40 % sont en pré-cirrhose ou en cirrhose ; quand on reprend les dernières données publiées (Apricot), on voit que ces personnes sont dans un usage d’alcool effectivement plus important qu’une population standard.
Compte tenu de l’urgence, il est important d’obtenir sinon l’abstinence, du moins une consommation résiduelle. Une chose est claire : le traitement doit être proposé.
comment coordonner les soins de la co-infection ?
Il s’est agi de réfléchir à la coordination des soins entre l’hépatologue et l’infectiologue, afin de faciliter la mise à disposition des résultats d’examens et d’améliorer le parcours du malade dans le labyrinthe du système de soins.
La nécessité du suivi par un hépatologue paraît évidente avant et pendant le traitement. Néanmoins l’hépatologue a une autre approche, complémentaire de celle de l’infectiologue.
La place du généraliste et de la médecine libérale en général a également été discutée. Le schéma idéal est certainement d’avoir un généraliste investi sur le VIH et attaché dans un service hospitalier de maladies infectieuses.
A travers l’exemple du centre de Marmottan, la coordination des soins pour les personnes vivant en grande précarité a pu être évoquée : les personnes sans domicile ont beaucoup de difficultés à trouver un hébergement à caractère social. C’est d’autant plus regrettable que lorsque ces problèmes d’hébergement sont résolus l’observance est très bonne.
traitements, greffes, recherche
L’après midi a été consacrée aux traitements et à la transplantation chez les personnes co-infectées. Ces sujets ont déjà été évoqués dans de précédents articles et seront peu détaillés ici.
nos revendications
Ces différentes thématiques nous ont permis de mettre en valeur nos principales revendications :
– le dépistage est indispensable pour les personnes vivant avec le VIH, et doit s’étendre à toutes les hépatites (A/B/C/D/E) ;
– favoriser la vaccination anti-VHA et anti-VHB chez les personnes VIH ;
– ne pas donner de traitements VIH toxiques pour le foie en présence d’une hépatite ;
– étudier rigoureusement l’hépato-toxicité des
traitements anti-VIH ;
– donner des informations précises sur les traitements : effets secondaires probables, objectifs visés et chance de réussite, observance ;
– aménager le temps de travail : implication des médecins du travail, mi-temps thérapeutiques ;
– aménager sa vie personnelle, information des proches, connaissance des associations proches de chez nous ;
– optimiser la coordination des soins et des prélèvements ;
– assurer une meilleure collaboration entre infectiologue, hépatologue, addictologue, psychiatre, généraliste selon les cas ;
– améliorer de la formation des infectiologues, des médecins généralistes ;
– développer une meilleure gestion des effets indésirables : que faire contre la fatigue ? proposer des facteurs de croissance pour remédier à la baisse des globules rouges, des plaquettes, des globules blancs. Comment résoudre les troubles psychologiques liés à l’interféron ? ;
– assurer un accompagnement psychologique avant, pendant et après tout traitement anti-VHC ;
– répondre favorablement au besoin de traitement des personnes en situation de précarité ;
– développer les alternatives à la ponction-biopsie hépatique ;
– autoriser le remboursement de la charge virale du virus hépatique Delta ;
– développer la recherche de nouvelles molécules, substitutives du « tout-interféron » ;
– anticiper les besoins de greffe qui vont se faire ressentir bientôt, afin d’éviter toute situation d’urgence et de pénurie.