A la suite d’un zap phone/fax organisé le 10 mars, nous avons obtenu un rendez-vous le 12 avec trois conseillers du premier ministre. Il s’agissait de faire part au gouvernement de notre extrême inquiétude face à la crise qui l’oppose aux chercheurSEs et aux décisions qui les sacrifie, et de porter nos revendications de malades quant à la recherche.
Lors du rendez-vous avec Michel Roger (Conseiller pour la jeunesse, l’éducation nationale et la recherche), Olivier Brault (Conseiller technique chargé de la santé et de l’assurance maladie) et Richard Senghor (Conseiller technique chargé de l’action sociale et de l’intégration), nous avons évoqué les difficultés financières dans lesquelles s’est trouvée l’ANRS (Agence nationale de recherche contre le sida) ces dernières années alors même que son existence avait été fortement remise en cause en 2003 par le Ministère de la recherche.
Comme Groupement de moyens (GIP), l’ANRS finance la recherche sur le sida à hauteur de 45 milllions d’euros. Si l’on ajoute les frais de fonctionnement des laboratoires qui prennent en charge la recherche (INSERM, CNRS, CEA…) cette somme s’élève au total à 180 millions d’euros. Dans les faits, l’effort public français en matière de recherche sur le sida, toutes proportions gardées, est plus de 3 fois inférieur à celui des Etats Unis (765 millions de dollars) et 100 fois inférieur en ce qui concerne la recherche vaccinale (18 millions d’euros contre 765 millions de dollars). Depuis1999, l’ANRS s’est vue confier une nouvelle mission en ce qui concerne la recherche thérapeutique sur l’hépatite C. En 2004, cette mission s’est élargie à la recherche thérapeutique sur l’hépatite B et à la recherche fondamentale sur les hépatites B et C. Or ces nouvelles compétences ne se sont pas traduites par une montée en puissance du financement de l’Agence.
L’ANRS va recevoir cette année une dotation budgétaire équivalente à celle de 2003 (sans le gel de crédits de 2,5 millions en 2003) mais la dotation supplémentaire de 1,2 millions accordée à l’ANRS pour les hépatites cette année est largement inférieure aux 3,6 millions qu’elle consacre en plus à cette recherche pour 2004 (la part consacrée à la recherche hépatique est passée de 7 % à 15 % de la dotation annuelle de 45 millions de l’ANRS). Au final, le budget de l’ANRS consacré à la recherche sur le VIH/sida se trouve amputée de 8 % du fait de l’effort supplémentaire consenti sur les hépatites qui n’est pas financé complètement. Ceci se traduit immédiatement par une réduction de 20 % de la recherche sur les essais thérapeutiques afin de ne pas pénaliser la recherche fondamentale.
Malgré cela, l’absence de signal fort donné par l’Etat pour les hépatites et la faiblesse actuelle des équipes de recherche n’a pas permis une réelle mobilisation sur les appels d’offre lancés par l’ANRS. L’agence s’est trouvée contrainte d’accepter 60 % des projets du premier appel d’offre 2004 sur les hépatites alors que son taux d’acceptation habituel se situe entre 30 et 35 %.
Près de 30 % des séropositifVEs sont co-infectéEs (VIH/hépatite B ou C) pourtant la situation de ces deux domaines de recherche est préoccupante. Ce n’est pas par hasard que Ensemble contre le sida a choisi de consacrer le 11 mars, un des débats de la Convention à la recherche en invitant Alain Trautmann. Notre propos porte naturellement vers le sida et les hépatites mais les carences actuelles du financement de la recherche publique française concernent l’ensemble de la recherche médicale.
Le 12 mars, l’équipe du professeur Fernando Arenzana Seidedos de l’unité d’immunologie virale de l’Institut Pasteur a reçu le prix scientifique de Ensemble contre le sida, qui gère les fonds du sidaction et qui récompense les équipes de recherche. Ce choix salue l’impact majeur des travaux de cette équipe dans la lutte contre le sida et leur persévérance depuis 16 ans. A la frontière de l’immunologie et de la virologie, ces recherches sont un exemple remarquable des potentialités qu’offre la synergie entre recherche fondamentale et recherche clinique. Leur dotation budgétaire publique qui ne couvre que 20 % de leurs besoins contraint les membres de l’équipe à consacrer une part importante de leur temps à la collecte de financements plutôt qu’à leur travail scientifique.
Comme souvent dans la recherche publique, ce laboratoire est composé pour moitié de jeunes chercheurSEs (boursierEs, doctorantEs et post-doctorantEs) qui sont la part innovante de la recherche française. La situation que leur réserve le gouvernement compromet leur engagement dans les structures de recherche alors même que d’ici 2012 près de la moitié des chercheurSEs partiront à la retraite. Nous comprenons mal comment le passage de témoin entre les jeunes et leurs aînéEs pourrait s’opérer sans une perte considérable d’expérience si ceux-ci ne sont pas dès à présent intégréEs aux recherches en cours avec des postes statutaires.
Les arbitrages du gouvernement laissent croire qu’on pourrait espérer se retourner vers l’investissement privé pour le développement de nouveaux médicaments. L’expérience des associations de lutte contre le sida montre qu’on ne peut faire confiance aux seuls laboratoires pharmaceutiques pour répondre aux besoins des malades. Jusqu’à présent tous les médicaments antirétroviraux ont été découverts grâce à la recherche publique. L’industrie privée, au mépris des malades, n’assure la recherche-développement des produits en phase clinique que lorsqu’elle est certaine d’y trouver les profits rapides qu’exige ses investisseurSEs toujours plus gourmandEs.
En janvier 2004, le laboratoire Roche a annoncé l’arrêt du développement du T-1249 suite au chiffre d’affaire du T-20 jugé insuffisant (Fuzéon®, moins de 10 % des 500 millions de dollars prévus aux Etats-Unis en 2003). Le T-1249, après le T-20 devait être le deuxième produit d’une nouvelle classe de médicaments, les inhibiteurs d’entrée. L’absence de nouvelles perspectives thérapeutiques rend pourtant indispensable le développement de ce nouveau produit.
Plus récemment encore, le laboratoire Gilead a annoncé l’arrêt du développement clinique d’une molécule, le DAPD (Amdoxovir) que leur avait cédée une université américaine, car d’après le laboratoire ce produit n’atteindrait pas les performances économiques des autres médicaments de sa classe. Pourtant de nouveaux produits sont indispensables afin de pouvoir faire face à l’augmentation des résistances chez de nombreuses personnes vivant avec le VIH.
Selon le DMI-2 (la base de donnée qui regroupe 70 000 des 120 000 séropositifVEs suiviEs à l’hôpital en France) : en 2003, 5 à 10 % des malades du sida sont en situation d’échec thérapeutique majeur. Seule la recherche fondamentale publique peut nous permettre d’espérer la découverte de nouvelles pistes thérapeutiques.
Aujourd’hui, une des principales causes de décès des séropositifVEs est la toxicité cumulée des trithérapies. Il est nécessaire que des recherches soient menées sur les effets indésirables à long terme des traitements. Jusqu’à présent, c’est la recherche publique seule qui a permis de documenter ces toxicités. Pour des raisons de rentabilité commerciale, ce n’est pas de toute évidence la priorité de l’industrie du médicament.
L’exemple des troubles du métabolisme, souvent associés à des lipodystrophies et qui entraînent des risques cardio-vasculaires chez les personnes séropositives sous traitement, est patent. Après avoir exigé avec insistance auprès des laboratoires des études de pharmacovigilance, les malades n’ont jamais pu obtenir ces recherches. Encore une fois, c’est la recherche publique qui a permis de faire des avancées considérables sur ces questions. La position de premier plan au niveau mondial de l’équipe du docteur Jacqueline Capeau (INSERM Saint-Antoine) traduit bien l’excellence de la recherche publique française dans ce domaine. Ses travaux firent autorité lors de la conférence sur les rétrovirus de Boston en février 2003 et de la conférence internationale de l’IAS en juillet de la même année. Mardi, Jacqueline Capeau a démissionné de ses fonctions comme plus de 2 000 de ses collègues…
Les membres du cabinet de Jean-Pierre Raffarin qui reconnaissaient avec nous la réalité des faits que nous exposions persistent pourtant à soutenir les arbitrages du gouvernement. Souhaitant nous laisser croire que l’organisation des états généraux de la recherche suffirait à répondre aux attentes du collectif «Sauver La Recherche», Michel Roger refuse de considérer plus avant la question des jeunes chercheurSEs. La loi de programmation qu’ils annoncent sera-t-elle réellement le résultat des débats qui s’engagent sur la recherche ?
Nous sortons de ce rendez-vous extrêmement inquietEs. Nous ne partageons pas l’analyse des choix budgétaires proposés par le cabinet de Jean-Pierre Raffarin qui oppose une logique des dépenses publiques à la réalité de nos vies. Nous restons persuadéEs que les arbitrages qui sont faits vont primer sur l’intérêt des malades. D’autres décisions récentes ont montrées combien il est possible de douter de l’usage des concertations proposées par le gouvernement.
Néanmoins, Act Up-Paris exige qu’un représentant du TRT-5 participe au Comité d’initiative et de propositions pour la recherche (CNIPRS) dont la composition de 26 membres doit être rendue publique le 16 mars par messieurs Beaulieu et Brézin. Nous n’entendons pas considérer comme acceptable une solution qui favoriserait une pathologie au profit des autres. Dans le contexte particulier de l’épidémie de sida, l’expérience acquise, particulièrement par les associations de malades, a révélé de manière inédite l’intérêt d’une collaboration entre malades et chercheurSEs.
ChercheurSEs en colère/Recherche en danger
Nous abordons régulièrement les problèmes que rencontre le financement de la recherche publique sur le sida en exposant notamment les difficultés financières de l’ANRS. Mais, la crise que traverse la recherche française ne se limite pas au sida.
Depuis mars 2003, le collectif «Sauvons la recherche», qui regroupe des universitaires et des chercheurSEs de l’INSERM, du CNRS et d’autres organismes de recherche publique, se bat afin de ne pas rester passif face aux désengagements financiers du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. En 2003, les budgets des organismes de recherche publique ont subi des coupes sombres : 20 à 30% des sommes qui devaient leur être versées ont été bloquées par le Ministère des finances. Claudie Haigneré, Ministre de la recherche, au lieu de s’y opposer, a cherché à nier ces coupes, en annonçant par exemple une hausse de 3% du budget de la recherche en 2004. Le collectif «Sauvons la recherche» pose trois revendications principales :
– Les sommes gelées en 2003 doivent être intégralement versées aux organismes de recherche publique.
– Les 500 postes de chercheurSEs statutaires supprimés doivent être rétablis. Les personnes parties à la retraite ou pour d’autres motifs en 2003 doivent donc être remplacées. Actuellement le gouvernement n’offre aux jeunes chercheurSEs en fin de doctorat que des emplois précaires, mal payés et à durée déterminée.
– Le collectif doit être associé à la préparation des assises nationales de la recherche qui seront organisées, avant la fin du mois de juin 2004, par le Ministère de la recherche. Ces assises devraient déboucher en fin d’année sur un projet de loi d’orientation de la recherche. Ces assises ont été programmées en catastrophe par le ministère pour contrer le collectif qui a convoqué en janvier des Etat généraux de la recherche.
La lettre ouverte du Collectif au gouvernement, en date du 7 janvier 2004, a reçu, le 15 mars, 71 220 signatures de chercheurSEs. La pétition de soutien aux chercheurSEs – dite pétition citoyenne – qui circule depuis le 20 janvier 2004 a déjà reçu pour sa part plus de 276 000 signatures. Chacun peut signer cette pétition sur le site du collectif [http://recherche-en-danger.apinc.org]. Nous sommes solidaires des chercheurSEs, mais insisterons toujours pour que ces dernierEs travaillent dans l’intérêt des malades.