Dans la foulée des rapports parlementaires de 2000, une mesure de suspension de peine pour raisons médicales a été adoptée dans la loi Kouchner du 4 mars 2002 sur les droits des malades, qui permet aux malades condamnéEs de sortir de prison, sur la base de critères exclusivement médicaux.
La suspension de peine pour raisons médicales est ainsi définie à l’article 720-1-1 du Code de procédure pénale : «La suspension de peine peut être ordonnée, quelle que soit la nature de la peine ou la durée de la peine restant à subir, et pour une durée qui n’a pas à être déterminée, pour les condamnés dont il est établi qu’ils sont atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé est incompatible avec le maintien en détention, hors le cas d’hospitalisation des personnes détenues en établissement de santé pour troubles mentaux.»
Parce que la suspension de peine reconnaissait enfin l’incompatibilité de la maladie et de la détention, et parce qu’elle instaurait une procédure beaucoup plus souple que celle de la grâce médicale, inique en raison de ses délais et de sa parcimonie, elle a immédiatement constitué une arme pour Act Up-Paris.
Dès juin 2002, nous avons fait pression sur les avocats pour qu’ils demandent cette suspension de peine. En septembre 2002, à la suite de la libération de Maurice Papon, nous avons immédiatement exigé du Ministère de la justice la libération de tous les malades en détention, atteints de pathologies graves. Nous avons ensuite été à l’initiative du Pôle Suspension de peine, réunissant des juges d’application des peines, des avocats, des médecins pénitentiaires, des familles de détenuEs, et un grand nombre d’associations et d’organisations (Aides Ile-de-France, le Syndicat de la magistrature, la Ligue des droits de l’homme, le GENEPI, l’ARAPEJ 93, l’Observatoire du droit des usagers, le Groupe multiprofessionnel des prisons, le FNARS, la Croix-rouge française, le Secours catholique, l’ACAT France, etc.). Ce réseau d’alliances inédit travaille à l’application effective et égalitaire de la suspension de peine pour raisons médicales, en identifiant les blocages. Nous avons vite été confrontéEs au défaut de signalement des malades en détention susceptibles de bénéficier de la mesure, aux problèmes des délais (en moyenne, une procédure de suspension de peine sur deux dépasse le délai des deux mois impartis), de la concordance des expertises médicales statuant sur l’état de santé du malade, mais aussi sur les problèmes d’hébergement. C’est l’actuel chantier. En effet, nous constatons aujourd’hui qu’un grand nombre de malades restent en détention faute de disposer d’un hébergement à leur sortie de prison, alors que des médecins ont avéré l’incompatibilité de leur état de santé avec le maintien en détention, ou même que des juges d’application des peines ont octroyé aux personnes des suspensions de peine. C’est pourquoi, à côté des Ministères de la justice et de la santé, le Ministère des affaires sociales est devenu pour nous une cible de pression.
A l’heure actuelle, seulEs 83 malades, selon le recensement de l’Administration pénitentiaire du dernier trimestre 2003, ont pu bénéficier d’une suspension de peine pour raisons médicales. Le chiffre, insignifiant, dit bien le manque de volonté politique à appliquer réellement cette mesure. C’est que tout est fait pour freiner la libération des malades en détention. Tout d’abord, en s’appuyant sur le manque d’engagement des médecins, l’Administration pénitentiaire réduit l’application de la suspension de peine au seul critère de la fin de vie. On ne libère que les mourants, histoire de décharger ses statistiques d’un nombre trop grand de décès. De fait, parmi les personnes libérées, beaucoup trop sont décédées durant le mois qui a suivi leur libération – et on ne compte pas les personnes qui sont mortes durant la procédure. Cela conforte parfaitement le total désintérêt des ministères concernés quant à l’état de santé de la population carcérale. Cela fait 4 ans qu’il n’y a pas eu d’enquête épidémiologique dans les prisons françaises. Et cela fait 2 ans que, de ce fait, Act Up-Paris exige la création d’une Mission interministérielle santé – justice (ce à quoi le Ministère de la justice et l’Administration pénitentiaire répondent hypocritement en s’abritant derrière le respect du secret médical ; nous ne voyons toujours pas le problème).
Ensuite, craignant la libération des malades, le Ministère de la justice fait tout pour substituer au critère de l’état de santé celui du trouble à l’ordre public. Par une circulaire en direction des procureurs, en date du 7 mai 2003, qui recommande de peser le risque de trouble à l’ordre public que constituerait prétendument la suspension de peine d’unE malade, et recommande de faire appel sur les décisions favorables des juges d’application des peines. Ensuite, par un amendement déposé au Sénat par François Zochetto, rapporteur du projet de loi Perben, qui conditionnait l’octroi de la suspension de peine à l’absence de risque de renouvellement de l’infraction. Un lobby sans relâche des associations a permis que cet amendement soit rejeté. Il n’en reste pas moins que les pratiques des procureurs et les instructions de la Chancellerie ont une lourde responsabilité dans le maintien en détention des malades et dans leur condamnation, pour la plupart, à mourir en détention. Aujourd’hui, une demande de suspension de peine sur 2 aboutit à un refus. Dominique Perben devra répondre de ces morts et de ces refus de soins.
Act Up exige la libération immédiate de tous les malades dont l’état de santé est incompatible avec la détention.