Depuis 2000, les différentes études sur les pratiques sexuelles des gays montrent clairement une recrudescence des pratiques à risque chez les pédés.
Le Baromètre gay 2002 indique que 35 % (44 % chez les moins de 25 ans) des personnes interrogées ont pratiqué au moins une fois une pénétration anale non protégée dans les 12 derniers mois avec des partenaires occasionnels alors qu’ils n’étaient que 25 % en 2000 et 17 % en 1997. Parmi ceux là, 29 % se considéraient comme négatifs, 38 % ne s’étaient jamais fait dépister et 51 % étaient déjà séropositifs. De plus, près d’un pédé sur 10 a présenté une IST (Infection sexuellement transmissible) aux cours des 12 derniers mois. L’enquête relève aussi l’abandon généralisé de la capote chez les couples et même une augmentation importante des prises de risqus dans les couples sérodiscordants. Toutes ces informations traduisent la difficulté que nous avons à maintenir la prévention : ras le bol de la capote, complexe du survivant pour certains, baisse de la vigilance liée à une perception du risque moindre avec l’arrivée des trithérapies, etc.
On a l’impression que tout le monde fait comme si le problème n’existait pas. Depuis 1996, le sida ne semble plus être un « sujet porteur » pour les médias. Tandis que les campagnes de prévention se raréfiaient, les journalistes ont choisi de mettre en avant la baisse du nombre des décès plutôt que l’augmentation continue des nouvelles contaminations. Les médecins quant à eux préfèrent laisser croire à leurs patientEs que le sida est devenu une maladie chronique pour s’assurer de leur adhérence aux traitements (moyen déguisé par ailleurs de reprendre le pouvoir sur les malades). De quoi s’inquiéter sérieusement pour les jeunes qui débarquent dans le milieu et qui n’ont pas connu les visites hebdomadaires au Père Lachaise. Plus aucun pédé ne parle de sida alors que la proportion de personnes séropositives qui fréquentent le milieu gay parisien est énorme. Ce contexte de déni généralisé montre que tout le monde aimerait bien passer à autre chose. Pourtant le nombre de nouvelles contaminations n’a jamais cessé d’augmenter depuis le début de l’épidémie et nous contraint sans cesse à rappeler l’importance de la prévention.
Il suffit de fréquenter un tant soit peu les bordels ou draguer sur le net pour se rendre compte que le noKpote s’est généralisé dans le milieu pédé. Le côté retors du vocabulaire qui désigne ces pratiques est particulièrement énervant : mecs « notabous » alors qu’ils ont manifestement celui du latex, ceux qui proposent du « free sex » qui ne traduit en fait que l’impossibilité de prendre en main sa sexualité, etc. Régulièrement, on se fait jeter par un mec lorsque l’on sort la capote. Quand certains tolèrent le noKpote en affirmant qu’il s’agit là de liberté individuelle, nous qui savons ce que signifie être séropo, ne pouvons laisser des mecs se contaminer à côté de nous sans rien dire. Tout montre que face à un contexte épidémique ce sont les comportements collectifs qui changent la donne. C’est d’ailleurs de cette manière que les gays avaient réussi à infléchir la courbe de l’épidémie dans les années 80-90. Nous ne parlons donc pas ici de morale mais de pragmatisme.
Parce qu’elle se transmet aussi par les pipes, l’exemple de la recrudescence de la syphilis qui est directement liée au relapse montre combien le noKpote engage toute la communauté. La baise noKpote favorise la circulation de virus résistants (10 % des nouveaux séropos sont contaminés par un virus résistant aux antirétroviraux). Les dernières données de la déclaration obligatoire de séropositivité montrent une diffusion inquiétante de sous-types rares du VIH dans la population. Ici l’affaire concerne aussi les séropos, depuis plus de 4 ans les surcontaminations et leurs conséquences sur l’évolution de la maladie ont été prouvées. Alors que chaque année des études documentent un peu plus ces surcontaminations, comment peut-on faire comme si on n’avait rien vu, rien entendu ?
On mesure souvent peu ce qu’implique en vérité le noKpote. Ceux qui pensent que le choix de baiser sans capote entre personnes consentantes relève de la liberté individuelle oublient la dimension collective qu’impose toute épidémie. Outre le fait qu’il est illusoire de penser se protéger en ne baisant qu’avec des séronegs et les conséquences graves sur la santé pour les séropos d’abandonner la capote, ces comportements nous fragilisent tous face à la prévention. Surtout, nous refusons un monde où les séropos ne baiseraient qu’avec des séropos et les séronegs entre eux. Parce que nous utilisons systématiquement la capote, nous sommes libres de choisir nos amants.