Le bareback en tant que discours se veut le signe d’une radicalité politique. Nous lui reconnaissons cela, il est radicalement de droite : le discours bareback est un discours aussi réactionnaire qu’ultralibéral sur nos sexualités.
Pour se dédouaner de leur responsabilité dans la reprise de l’épidémie, Guillaume Dustan et Eric Rémes invoquent une responsabilité individuelle et non-partagée : « la responsabilité c’est pour soi, pas pour les autres » (GD). L’épidémie du sida a pourtant montré la nécessité d’une responsabilité collective et d’une solidarité communautaire. C’est que, pour eux, notre communauté passe après leur liberté individuelle. Ils feignent ainsi d’ignorer que la liberté individuelle ne se défend que dans le respect des libertés de touTEs, et voudraient nous faire passer pour anarcho-queer une idéologie égoïste et ultralibérale, digne d’Alain Madelin.
A entendre ces deux « penseurs », le bareback porterait un regard radical sur le sexe ;
l’argument de cette radicalité c’est : « La capote protège du sexe » (GD). Joli tour de passe-passe d’une évidente malhonnêteté qui fait de la capote une entrave à la sexualité alors qu’il s’agit d’une entrave au VIH qui, justement, permet que le VIH n’entrave pas nos désirs. Mais cet argument cache aussi un discours des plus réactionnaires en ce qu’il se fonde sur une vision essentialiste de la sexualité : il y aurait une essence immuable de La Sexualité et la capote n’en ferait pas partie. Ils occultent ainsi complètement que la sexualité, comme tout fait culturel, se construit et se déconstruit, en bref que la sexualité c’est ce qu’on en fait. Cet argumentaire n’est pas nouveau, c’est celui sur lequel les réactionnaires de tout poil condamnent la capote et l’homosexualité. Seule la forme varie entre ces deux discours, on nous parle d’un côté de Bestialité et de Pulsion et de l’autre de Nature et de Création Divine. En poussant leur rhétorique d’une «essence de la Sexualité» jusqu’au bout : il ne faudrait donc pas mettre de capote, ni la main, les doigts, les godes, ni tout autre sextoy, il faudrait refuser toutes les pratiques sexuelles non pénétratives, et il faudrait de fait brider notre imagination. Depuis plus de vingt ans nous avons à construire nos pratiques face à l’épidémie de sida.
A côté de cet argument de vente qu’est leur prétendue radicalité politique, les tenants du discours bareback développent à présent celui d’une politique de prévention radicale. Au dire d’Eric Rémes nous n’aurions rien compris : il aurait « parlé du Bareback, pour faire de la prévention radicale [et] été le premier à consacrer un livre entier à ce phénomène qui gangrène la communauté gay » Son discours et celui de Guillaume Dustan sur la prévention sont pourtant clairs et ne souffrent aucune explication : « le seul discours réaliste en matière de prévention […] c ‘est de dire : baisez sans capote et sans risques… » (GD). Ils proposent ainsi d’abandonner la capote au profit d’une ségrégation pure et simple où les séropos baiseraient entre séropos et les séronegs entre séronegs. Eric Remes aussi ne propose pas autre chose quand, dans Serial Fucker, il explique comment percer une capote sans que cela se voit. Il s’agit ici de discréditer par tout moyen la fiabilité de la capote pour en combattre l’usage. Nous connaissons bien ce genre de rhétorique pour l’avoir déjà combattu, sous une forme à peine différente, face au Vatican (le préservatif serait poreux, et blablabla). Nous voyons mal en quoi il pourrait s’agir là d’une politique de prévention radicale. Premièrement, nous sommes attachéEs au préservatif parce que nous entendons continuer à baiser avec qui bon nous semble. Deuxièmement, nous sommes d’autant plus vigilantEs à combattre ce discours qu’il porte en son sein la promesse de mesures coercitives à l’égard des séropos (discrimination, exclusion, enfermement, dépistage obligatoire, etc.). Enfin, et surtout, nous dénonçons ce discours parce qu’il est médicalement faux, qu’il ne tient pas compte de la surcontamination entre séropos et occulte le fait que beaucoup de séropos se pensent encore séronegs.
Il serait temps que les tenants du discours bareback assument leur positionnement
politique de droite, qu’ils n’essayent plus de se racheter une conscience communautaire au nom d’une soi-disant politique de prévention radicale, et qu’ils reconnaissent enfin la responsabilité qui est la leur dans l’ancrage des pratiques noKpote et dans leurs conséquences sanitaires au sein de notre communauté.
Nous prenons acte de la désertion de Eric Rémes des discours bareback, comme celle de Guillaume Dustan avant lui. Il s’agit donc, nous l’espérons, de notre dernier article sur la question. Nous avons en effet aujourd’hui mieux à faire : il nous faut continuer à lutter contre la généralisation des pratiques noKpote.