Trop occupé pour parler aux malades
On notera que Randall Tobias, ambassadeur des USA pour le Fonds Mondial et ardent défenseur de la politique de Bush, à savoir celle des brevets et des campagnes de prévention fondées sur l’abstinence et la fidélité, a refusé de venir prendre le mémorandum et de parler aux manifestants. Interpellé par l’ONG américaine Health Gap et par Act Up-Paris au cours d’une conférence de presse une heure plus tôt, il nous a fait savoir, par le biais de son staff, qu’il était trop occupé aujourd’hui pour parler aux malades du sida et qu’il était prêt à nous recevoir, mais en privé, en petit comité et sans les journalistes. L’autre événement marquant reste la perturbation du discours du premier ministre thaïlandais pendant la cérémonie d’ouverture. La Thaïlande mène une politique de « guerre à la drogue » qui a provoqué la mort de 3000 usagerEs de drogues, abattuEs par des escadrons de la mort. Quand Thaksin Shinawatra a commencé à se réclamer d’une politique de réduction des risques, des militants se sont levés et ont déployé une banderole où était écrit « Thaskin lies. Clean needles now »[[« Thaskin ment. Des seringues propres maintenant »]], le perturbant manifestement. Deux minutes plus tard, la banderole était arrachée par le service de sécurité, ce qui n’a pas empêché d’autres activistes de brandir des pancartes et de scander des slogans.Alors qu’un malade s’exprime publiquement, les officiels s’éclipsent
Bref, on pourrait parler d’une journée d’ouverture réussie. Et pourtant, à 23 heures, dimanche soir, le moral de beaucoup d’activistes était au plus bas. Évidemment pour des raisons de fatigue ou de frénésie de travail. Mais pas uniquement. Le cadre de cette conférence est effectivement épuisant. La surface est immense, toujours plus grande d’une année à l’autre. Il faut parcourir des centaines de mètres pour passer du stand au local de photocopies, ou des inscriptions au HIV-Lounge [[lieu de repos des personnes séropositives]]. Et alors même que l’espace est toujours plus important, la liberté de circulation, elle, est d’autant plus restreinte. On ne peut pas rentrer dans l’exhibition room parce qu’il est trop tôt, parce qu’il est trop tard, parce qu’on n’est pas exhibitor . Même chose dans l’espace des sessions, parce que là non plus on n’est pas exhibitor. A chaque porte qu’il faut pousser, on doit négocier avec des vigiles de la sécurité pour expliquer pourquoi on DOIT ou on VEUT aller dans cet endroit. Deux services privés de sécurité ont été affectés sur place, sans compter les vigiles des labos, la police nationale, extrêmement visible, ou encore les RG thaïlandais. La « sécurité » est assurée au nom de la lutte contre le terrorisme et de la peur des attentats. C’est l’alibi au nom duquel seules deux entrées, avec portiques à rayons X, ont été ouvertes devant le centre, alors qu’il mesure près d’un kilomètre. Dès que l’on sort, pour discuter avec un ami ou fumer une cigarette, on doit marcher sur plusieurs centaines de mètres pour avoir le droit de rentrer à nouveau, même quand on est malade et que la chaleur moite est écrasante. Nous avons vu deux malades épuisés être refoulés à une porte et contraints de marcher 500 mètres pour pouvoir entrer. C’est dans ce cadre épuisant que nous devrons mener nos actions. Et avec le sentiment, extrêmement déprimant, qu’après plus de 20 ans d’épidémie, après 15 conférences internationales sur le sida, les organisateurs ne sont toujours pas prêts à relayer et soutenir comme ils le devraient la parole des malades. Pendant la cérémonie d’ouverture, un activiste séropo thaïlandais devait intervenir. Son discours a été relégué à la fin de la cérémonie, alors que les officiels s’étaient déjà éclipsés pour aller inaugurer le banquet d’ouverture, dont l’heure, fixée par les organisateurs, précédait de beaucoup la fin des discours. Tout le public a suivi : les gens sont donc allés manger et boire, comme on le leur avait indiqué, alors même qu’un malade parlait publiquement dans un des cadres les plus solennels d’une conférence. Obtenir cette prise de parole a demandé un travail et un temps inimaginables pour les activistes thaïlandais et américains. Tout ça pour un discours qui n’aura été entendu par quasiment personne. Les organisateurs ont une responsabilité immense dans ce qui s’est passé ce dimanche soir, et ils devront nous en rendre compte — à commencer par Joep Lange, le président de l’IAS. C’est ce genre d’abattement contre lequel il nous faut lutter. Et en même temps, c’est quand tout va mal qu’on doit puiser de nouvelles forces. Parmi nous, il y a toujours quelqu’un chez qui la colère l’emportera sur la fatigue. Et cette personne en entraîne d’autres. On espère vous le prouver demain. C’est aussi demain lundi que commencent les sessions scientifiques. On souhaite vivement qu’elles soient à la hauteur de nos attentes.Le Delfraissy 2004 est arrivé !
Lundi 12 juillet – Ce lundi matin avait lieu la conférence de presse française sur le Rapport Delfraissy 2004. Un beau manuel couleur caramel de 264 pages qui reprend l’essentiel de la « prise en charge thérapeutique des personnes infectées par le VIH ». Prise en charge globale et suivi multidisciplinaire sont parmi les lignes directrices de cette nouvelle édition. Les traitements proposés en première intention ont vu leur choix restreint compte tenu des multiples essais de trithérapies d’analogues nucléosidiques qui se sont succédés depuis deux ans, date du dernier rapport. D’autres nouveautés sont à signaler : notamment sur la prévention de la transmission materno-fœtale, pour laquelle une trithérapie est maintenant systématiquement recommandée, ou encore d’abondantes recommandations de traitements pour les personnes co-infectées VIH/hépatites. Autre nouveauté de l’édition 2004, une version anglaise sortira prochainement : « French guidelines for the medical management of HIV infection » . Nous aurons bien entendu l’occasion d’y revenir plus longuement dès septembre prochain.