Mardi 13 juillet – Xavier Darcos est embêté. Le ministre français ne sait plus quoi répondre aux questions qui lui sont posées. La discussion que nous avons avec lui est suivie par une vingtaine de personnes dont des journalistes et des associatifs de France et du Maroc . Depuis 10 minutes, il est obligé d’entendre des accusations contre la politique française de lutte contre le sida. Alors, faute d’arguments, acculé, et espérant de plus qu’on lui témoigne un peu de compréhension, il lâche : « Je n’y connais pas grand chose au sida. »
Une phrase assez courte, mais aux conséquences incroyables. Jacques Chirac a donc envoyé à une conférence internationale sur le sida un type qui avoue publiquement ignorer les enjeux de l’épidémie, qui est incapable de répondre aux questions qu’on lui pose et qui joue les poupées malheureuses quand on le presse de questions.
Petit plaisir
Pour arriver à cette tranche de sincérité, il aura fallu l’interpeller et perturber son discours en plénière, ce qui fut fait avec quelques Français, Américains et Thaïs. Avant même qu’il ne se mette à parler, il est interpellé, avec les questions habituelles : « Où sont les 10 milliards d’euros ? Pourquoi la France ne respecte-t-elle pas ses engagements ? ». Le monsieur devient livide. Nous scandons d’abord en français « Sida : 10000 morts par jour, Darcos en veut toujours », puis les slogans classiques anglais. La banderole « Aids : G8 must pay » est déployée. Nous décidons ensuite de partir. Peut-être aurions-nous dû rester pour l’empêcher de parler, car son discours commençait par une phrase d’un cynisme achevé sur les 20 ans du sida et sur le fait qu’on est loin d’en avoir fini avec l’épidémie. Avec un ministre autant au fait que lui sur les questions liées à la lutte contre le sida au niveau international, il est certes difficile de ne pas être d’accord.
Après ce petit plaisir, nous avons participé à une manifestation contre les brevets, organisée par les Américains. Depuis le global village, nous sommes partis à 60, traversant toute la conférence avec des pancartes comme « Rights of patients, yes ; Rights of patents, no » [[«les droits des patients, oui ; les droits des brevets, non»]] et des bodybags [[des sacs pour le transport des cadavres]]. Nous entrons ensuite dans le stade qui sert de plénière pour interrompre une session organisée par Pfizer. Slogans, banderole. Deux activistes prennent la parole au micro, avec un discours concis et clair. Nous y restons une quinzaine de minutes. Même s’il s’agit d’un schéma classique, l’ambiance est restée électrique. Les labos ont en effet élaboré une nouvelle stratégie pour nous neutraliser. Des jeunes gens, américains, canadiens, blancs et bien portants, nous attendaient en tenue rouge, arborant des pancartes très visibles où était inscrit « Socialism Kills » ou « Capitalism healths », prétendant donc que «les labos sauvent des vies», que «le stalinisme tue plus que le sida», etc. La stratégie est grossière, qui vise à détourner l’attention des activistes de la cible véritable, et, en nous provoquant par un discours dont on mesurera sans peine l’intelligence politique, à nous pousser par la colère à des comportements violents.
Une action réussie
Entre workshops et sessions, l’après-midi n’a pas résonné d’échos activistes, jusqu’à 18 heures en tout cas. C’est à cette heure que les militants, rejoints pour l’occasion par des travailleurSEs du sexe du monde entier, ont interrompu un symposium de Gilead pour protester contre l’essai inéthique [lire notre [analyse critique de cet essai ainsi que notre communiqué de presse relatif à cette action, accompagné de photos ]] mené par ce labo sur les prostituéEs. Une travailleuse du sexe a pu lire son discours devant le public, qui, à partir de la dénonciation de ces essais, a ensuite évoqué les difficultés rencontrées par les prostituéEs face à la répression qu’elles subissent. Là encore, une action réussie.
Au même moment se tenait la réunion entre activistes et organisateurs [lire à ce sujet [notre précédente chronique ]]. Les demandes étaient claires : des excuses publiques pour Ott, un temps de parole lors de la cérémonie de clôture, et un engagement public à améliorer le fonctionnement de la conférence, sur les prix, la sécurité, l’accessibilité des locaux, etc. Nous saurons jeudi pendant la cérémonie de clôture si nous avons été entenduEs. Mais nous sommes d’ores et déjà touTEs remontéEs, et il vaut mieux pour la cérémonie et pour Joep Lange que nous ayons obtenu gain de cause.