« Access for all ». L’intitulé de la 15e conférence internationale sur le sida, qui se tient à Bangkok du 11 au 16 juillet, reprend un slogan déjà ancien des activistes. On pourrait s’en réjouir, si la réalité n’était pas à ce point opposée aux objectifs affichés par les officiels de la conférence. Cela fait des années que la prévention, le dépistage et les soins devraient effectivement être accessibles à tous et à toutes. Aujourd’hui, le constat est le suivant : « Access for all denied »(L’accès pour tous refusé). Plus de 10 000 personnes meurent du sida chaque jour, et 98 % des séropositifs n’ont accès à aucun traitement car ceux-ci sont trop chers. En 2003, on comptait 40 millions de personnes vivant avec le virus, 3 millions mortes du sida et 5 millions de personnes nouvellement contaminées. L’Afrique est ravagée ; la Chine, l’Inde et les pays de l’ex-URSS, entre autres, sont en train de connaître le même sort.
D’une conférence à l’autre, les représentants des pays riches ne cessent de formuler de nouvelles promesses, tout en reniant les engagements passés. En 2001, les États du G8 s’étaient engagés à financer la lutte contre le sida à hauteur de 10 milliards de dollars par an. Une étude de l’Onusida avait montré qu’en deçà de ce seuil, il n’était pas possible de lutter efficacement contre la pandémie. Si elle avait voulu tenir ses promesses, la France aurait dû verser, en proportion de son PIB, au moins 440 millions de dollars par an. En 2003, elle en a versé moins de 75 millions. Nous sommes sans doute habitués aux mensonges et aux reniements de Jacques Chirac. Il faut simplement rappeler que, concernant la lutte contre le sida, ses mensonges tuent - et il faudra bien qu’un jour ou l’autre le Président français, comme l’ensemble des gouvernants des pays riches, rende des comptes. Cette conférence en est une occasion.
Des comptes, l’industrie pharmaceutique doit aussi en présenter. Les labos continuent de bloquer la production et la circulation de médicaments génériques pourtant nécessaires, car à bien moindre prix que les médicaments de marque. Abott a multiplié par 5 le prix de son antiprotéase, le Norvir. Roche a interrompu le développement d’une nouvelle molécule pourtant prometteuse, le T-1249, jugée trop peu rentable, alors qu’elle pourrait représenter un nouvel espoir pour les 10 % des malades traités qui se retrouvent aujourd’hui en échappement thérapeutique. Le laboratoire américain Gilead conduit un essai clinique des moins éthiques qui soient. Le but est de démontrer que son médicament anti-VIH, le ténofovir, peut prévenir la transmission du virus chez l’homme. L’essai est conduit auprès de prostituées de pays du Sud (Cameroun, Nigéria et Ghana). En choisissant cette « cible » particulièrement exposée au VIH, Gilead sait que l’intérêt préventif de sa molécule pourra être plus f! acilement démontré qu’avec des personnes qui ne seraient pas exposées aux mêmes risques, puisqu’il faut des contaminations pour que l’essai soit intéressant… C’est bien pour cette raison que l’étude néglige totalement l’éthique indispensable à tout essai clinique, à commencer par donner tous les moyens aux personnes d’envisager les risques et les bénéfices d’une inclusion dans ce protocole de recherche. Là encore, la politique économique de l’industrie a un coût, celui de la vie de femmes africaines, qui, pour Gilead, semble moins valoir que celle de femmes occidentales.
Quiconque entre pour la première fois dans une conférence sur le sida peut immédiatement se rendre compte de l’influence des labos et de la manière dont ils utilisent leurs profits. Ici, à l’Impact Center de Bangkok, la surface occupée par les stands de 12 firmes pharmaceutiques occidentales égale celle de 111 associations du monde entier. Les labos étalent leur publicité obscène et leurs gadgets imbéciles, tels ces porte-clefs en forme de VIH. Comparez la visibilité dont dispose l’industrie pharmaceutique avec les difficultés qu’ont les activistes et les malades pour obtenir des accréditations gratuites, et vous aurez une mince idée de la colère qui peut nous envahir dès lors que nous franchissons le seuil de la conférence.
C’est pourtant, et avant tout, la conférence des malades et des activistes. C’est ici que nous pouvons nous réapproprier les informations de pointe scientifiques afin d’en informer toutes les personnes concernées et de prévoir les prochains enjeux que nous posera la recherche. C’est ici que nous pouvons créer ou recréer des liens avec les associations du monde entier. C’est ici que nous pouvons au mieux soutenir et relayer les combats locaux, notamment ceux des usagers de drogue thaïlandais, victimes d’une politique nationale de répression qui n’hésite pas à envoyer de véritables escadrons de la mort pour les abattre.
L’ouverture de la conférence a donné le ton : le véritable coup d’envoi ne fut pas la cérémonie officielle, pompeuse et lénifiante à souhait, mais bien, deux heures auparavant, la manifestation organisée par les activistes thaïs, soutenus par ceux du monde entier : une marche festive, revendicative, de personnes refusant de considérer le sida comme une fatalité et prêtes à combattre les complices de l’épidémie.
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