Cet été, en catimini, les parlementaires ont discuté en urgence et adopté une loi réformant la Sécurité sociale – entendez la démantelant purement et simplement.
Mis à part quelques communiqués de presse associatifs ou syndicaux, il n’y aura eu aucune tentative pour contrer les manoeuvres de la droite et porter le débat sur l’espace public. Seule Act Up aura entrepris un travail mêlant zaps, communication et lobby, que les médias n’auront que trop peu relayé. Philippe Douste-Blazy et les parlementaires UMP ont ainsi eu toute latitude pour réduire à néant les principes de solidarité qui sont censés fonder la Sécurité sociale. Une fois de plus, le gouvernement est passé en force, malgré ses récents déboires électoraux. Comme pour les retraites ou le régime de l’assurance chômage des intermittentEs du spectacle, il se moque des oppositions, surtout quand elles émanent des premierEs concernéEs.
C’est ainsi que, pour obtenir un rendez-vous avec le secrétaire d’État à l’Assurance maladie, Xavier Bertrand, il nous aura fallu manifester devant le Ministère de la santé (photo de couverture), puis occuper le standard téléphonique et les fax de ses services. Au cours de la manifestation, des malades ont été traînéEs par les forces de l’ordre et emmenéEs au commissariat, sur ordre du Ministère. Bel exemple de la considération que l’UMP entend témoigner envers les malades.
Le 22 juillet, avant la dernière lecture à l’Assemblée nationale, Act Up-Paris a été reçue par Xavier Bertrand. En vain. Il est difficile de faire plus condescendant et suffisant que ce secrétaire d’Etat : il refuse de modifier d’un iota ses positions et de prendre en compte le point de vue des personnes vivant avec une pathologie lourde. Ou bien il assume parfaitement les conséquences dangereuses que vont avoir ses mesures, comme la consultation à 1 € ; ou bien il essaie de calmer nos inquiétudes en prétendant que la réforme en cours n’entraînera pas de modification de notre prise en charge. Xavier Bertrand aurait ainsi inventé la réforme qui ne change rien.
Nous présentons dans cet article deux des dispositions les plus abjectes de cette nouvelle loi. Il y en a d’autres, qui touchent à la liberté de choix du/de la médecin ou encore à la part de plus en plus importante attribuée aux assurances et aux mutuelles privées dans la définition du panier de biens et de services.
Quel avenir pour les affections longue durée ?
Une personne atteinte d’une pathologie lourde comme le VIH, le diabète, l’hypertension ou un cancer est prise en charge à 100 % pour tous les actes de santé liés à sa pathologie. L’article 3 de la loi entend réformer ce régime spécifique, celui de l’affection longue durée (ALD).
Un protocole de soins, préalable à toute prise en charge du malade en ALD, sera mis en place par le/la médecin traitant et le/la médecin conseil de la Sécurité sociale, afin d’évaluer les actes liés à l’ALD, remboursés à 100 %, et ceux qui ne le sont pas. Xavier Bertrand prétend qu’il n’y a rien de nouveau par rapport au Protocole PIRES (Protocole inter-régimes d’examen spécial) actuellement existant.
En réalité, l’article renforce le rôle du/de la médecin expert de la Sécurité sociale. Il s’agit bien d’une approche comptable de la prise en charge des pathologies lourdes. Le but est de prédéfinir des soins essentiels à la prise en charge de l’ALD et des soins superflus. Dans le cas du sida et de nombreuses autres ALD, c’est une aberration. Qu’est-ce qui est nécessaire dans le cadre du VIH ? Les seuls antirétroviraux ? Comme évaluer à l’avance les besoins d’une personne touchée par le virus, qui peut être confrontée à des problèmes immuno, hépato, dermato, gastro, neuro ou qui peut avoir besoin de soins prévenant l’ostéoporose-> mot731, de chirurgie réparatrice pour lutter contre les troubles de la répartition des graisses ou encore d’un suivi psychiatrique ?
Le/la malade est excluE de l’élaboration du protocole : il/elle devra se contenter de le signer. Que se passera-t-il si il/elle est en désaccord avec son/sa médecin traitant ou le/la médecin expert ? L’exclusion du/de la premierE concernéE, le/la malade, de l’élaboration des protocoles de soins contribuera à déséquilibrer la relation thérapeutique, à faire du/de la malade seulement unE patientE, spectateurRICE subissant sa prise en charge, et non acteurRICE décisifVE des soins qui l’intéressent au premier chef. Cette situation serait une aberration du point de vue médical. Elle ne saurait être justifiée par des arguments comptables.
La seule concession qu’a faite Xavier Bertrand est dans la révision du protocole : nous avons obtenu qu’elle ait lieu régulièrement, en fonction de l’état de santé du/de la malade. Maigre consolation, tant cette mesure paraît une évidence.
Les associations exclues
Le gouvernement refuse de reconnaître la place essentielle que jouent les associations de malades dans les recommandations de soins. Leur participation y est absolument nécessaire, en ce qu’elle apporte un savoir qu’elles seules détiennent, notamment au sujet des effets secondaires ou de l’observance des traitements. C’est ainsi que le groupe d’expertEs du Pr Delfraissy, qui émet des recommandations sur la prise en charge des personnes inclut des malades. Au nom de quoi ces mêmes malades, dont on reconnaît la légitimité dans l’élaboration des recommandations, ne siègeraient-ils/elles pas dans les structures chargées de la prise en charge des soins ?
Un dispositif coordonné de soins coercitif
La mise en place d’un dispositif coordonné de soins est une mesure censée promouvoir le travail des réseaux de santé et inscrire les usagèrEs dans des cadres cohérents, notamment quand la prise en charge est complexe et nécessite le travail de plusieurs spécialistes. C’est l’objectif affiché de Xavier Bertrand. Néanmoins, la lecture du paragraphe IV de l’article 3 montre bien que le véritable but est encore comptable. Il s’agit de restreindre la liberté de choix du/de la patientE et l’accès à tous les soins prévus par l’ALD. En effet, l’entrée dans un dispositif coordonné de soins n’est pensée qu’en termes coercitifs. L’article 3 prévoit de limiter ou supprimer le remboursement à 100 % si le/la malade ne va pas se faire soigner là où on le lui a indiqué. On reconnaît là les valeurs fondamentales de l’UMP, qui est incapable de penser une politique de promotion autrement que par la sanction et la coercition. Il s’agit donc bien de remettre en cause la liberté de choix de son/sa médecin.
Le forfait à 1 € ou comment «responsabiliser» les usagèrEs
L’article 20 de la loi prévoit de faire payer pour chaque consultation ou examen une somme forfaitaire, fixée pour l’instant à 1 €. Il s’agit là d’une des mesures les plus obscènes jamais proposées. L’UMP l’assume parfaitement.
Selon Xavier Bertrand comme Philippe Douste-Blazy, la somme récoltée ainsi sera ridicule en regard des déficits. Il ne s’agirait donc pas d’une mesure financière. Cela ne les empêche pas d’affirmer par ailleurs que cette disposition évite de dérembourser des prestations ou d’augmenter des cotisations. Ils en font donc une mesure financière. Ces gens n’en sont pas à une contradiction près. Il s’agirait avec cette mesure de «responsabiliser» les usagèrEs, de leur faire prendre conscience que «si la santé n’a pas de prix, elle a un coût». Depuis l’arrivée de la droite, les consultations chez les généralistes ont augmenté de 2 €, le forfait hospitalier et le ticket modérateur ont explosé, l’Aide médicale de l’État a été démantelée, la CMU remise en question : la droite a suffisamment fait comprendre aux usagèrEs, notamment les plus pauvres, que la santé avait un coût. La mesure est par ailleurs profondément injuste : unE précaire paiera la même somme qu’une personne riche.
Cette mesure ne peut donc que décourager les plus précaires à aller consulter et les forcer à attendre que des pathologies graves se déclarent pour aller chez le/la médecin. C’est ainsi tout une politique de prévention et de dépistage qui est menacée.
Un impôt sur le sida, la maladie et le handicap
Les bénéficiaires de la CMU seront exonéréEs de cette somme. Pas par philantropie : les frais administratifs pour pouvoir prélever cette somme dans le cadre de la CMU coûteraient trop cher. L’UMP refuse d’élargir cette exonération. Tout le monde doit payer, sinon, la mesure serait «vidée de sa substance».
Cette disposition remet donc totalement en cause la prise en charge à 100 %, puisque les séropos devront payer 1€ à chaque consultation. La droite a inventé la gratuité payante. Mais il y a pire. Une personne malade consulte forcément plus qu’une personne en bonne santé. Donc, une personne atteinte de pathologie grave aura à payer beaucoup plus qu’une personne en bonne santé. Il s’agit là d’une véritable gabelle sur la pathologie lourde : on pénalise financièrement des personnes pour la seule raison qu’elles sont malades et que leur état de santé nécessite des consultations et des examens fréquents. Même un plafonnement ne change en rien cette obscénité. UnE malade devra payer le forfait maximum, alors qu’une personne en bonne santé n’aura à payer que 1 ou 2 € par an.
Par ailleurs, le montant de 1 € n’est pas symbolique, surtout si on multiplie les franchises pour l’ensemble de ces actes médicaux. Ce montant pourra être révisé par l’UNCAM, sans aucune consultation préalable des associations. Sa révision est donc susceptible de conduire aux dérives que nous avons constatées concernant le ticket modérateur.
Certes, au cours des débats parlementaires, Philippe Douste-Blazy et Xavier Bertrand n’ont eu de cesse de nous «rassurer», en affirmant que le forfait de 1 € n’avait pas pour vocation d’augmenter. Venant de personnes qui ne cessent de parler de «cohésion sociale» tout en augmentant le forfait hospitalier ou le prix de la consultation, ce genre de promesse est tout à fait digne de confiance…
Une taxe supplémentaire pour les précaires
Les bénéficiaires de l’Allocation adulte handicapé (AAH) ne seront pas, eux/elles non plus, exonéréEs de ce forfait. On sait déjà que ces allocataires subissent les effets de seuil liés aux plafonds de ressources fixés pour la CMU. Pour quelques euros de trop, ils/elles n’ont pas droit à une complémentaire gratuite. La disposition à venir renforcera leur précarité.