Elles étaient nombreuses ce dimanche 7 mars 2004 pour les premiers Etats Généraux Femmes & Sida organisés par les associations Act Up-Paris, Aides, Le Kiosque, Le Planning et Sida Info Service.
De retards en attentes
Alors qu’aujourd’hui, dans le monde, plus de la moitié des personnes vivant avec le VIH sont des femmes, leurs différences physiologiques commencent à peine à être prises en compte. Jusqu’à présent les femmes n’étaient « intéressantes » en terme de recherche que dans le cas de la transmission mère-enfant où des résultats formidables ont d’ailleurs été obtenus.
En moyenne, les femmes ne représentent que 20 % des participants dans les essais. Pour atteindre cette représentation, bien insuffisante, il aura fallu attendre 1997 que la FDA recommande à l’industrie pharmaceutique d’inclure des femmes dans les essais cliniques. Jusque-là, elles en été exclues en raison du risque de grossesse et de toxicité pour le fœtus, par crainte de données fausses qu’elles pourraient engendrer en raison des fluctuations hormonales au cours de leur cycle ovarien, ou encore à cause d’éventuelles interactions avec les contraceptifs oraux.
Aujourd’hui nous avons l’impression d’en être toujours au même point. Les excuses des laboratoires pharmaceutiques sont toujours les mêmes, au risque de mettre en danger les femmes séropositives, les résultats des études cliniques ne tenant compte que de façon incomplète de la population féminine. Pour nous cette attitude n’est absolument pas justifiée. Bien au contraire.
Une méthodologie sexiste
Au cours de l’atelier «vécu de la maladie, traitements et effets secondaires», la question s’est posée à plusieurs reprises, de savoir s’il était vraiment beaucoup plus compliqué de prévoir un groupe hommes et un groupe femmes dans un essai et d’interpréter ensuite les résultats en fonction du sexe.
L’exemple de certains essais en cours portant sur les possibilités d’améliorer les problèmes de lipoatrophie (au contraire des problèmes d’hypertrophie, les mécanismes et les traitements en cause ne seraient pas les mêmes) a permis d’observer que l’importance et le type d’atrophie n’étaient pas forcément les mêmes chez les hommes et chez les femmes. Statistiquement les femmes semblent être moins atteintes que les hommes, car il faut tenir compte de la répartition différente de la masse graisseuse suivant le sexe. Les essais réalisés dans ce domaine sont stratifiés dans ce sens. C’est seulement dans ce cas que la recherche peut se donner les moyens de regarder séparément ce qui se passe chez les hommes et chez les femmes, et seulement lorsqu’elle a le sentiment que c’est à la fois utile et plus simple. Il est évident qu’il s’agit là d’une problématique fondamentale que les investigateurs d’essai devraient se poser de manière systématique. Cette question essentielle n’est pas posée à chaque essai, elle est même très rarement présente dans les protocoles d’études cliniques. Cela pose un véritable problème de fond puisque la recherche n’apporte pas de résultats qui renseigneraient sur la spécificité des femmes ou, quand c’est le cas, c’est de façon fortuite. Sans cette réflexion nécessaire, nous sommes contraintes de continuer à subir les risques de surdosage de traitements calibrés pour des hommes. Lorsque la posologie n’est pas adaptée, cela provoque des effets indésirables accrus, dont personne ne tiendra compte, et que nous découvrirons et subirons au fil du temps. Certains médecins en arrivent à modifier les traitements eux-mêmes, au cas par cas.
Et pourtant des différences existent
Dans beaucoup d’essais, les spécificités des femmes sont rarement étudiées en tant que telles, pourtant les conséquences sont nombreuses. Les effets secondaires des traitements risquent de bouleverser notre équilibre hormonal et de provoquer des dérèglements du métabolisme des lipides. Les lipodystrophies provoquées par ces troubles de la répartition des graisses peuvent transformer le corps des femmes séropositives. L’augmentation du taux de cholestérol et des triglycérides risque d’entraîner des problèmes cardio-vasculaires. Par ailleurs, il a été démontré que les femmes vivant avec le VIH perdent la protection naturelle que les femmes ont en général jusqu’à la ménopause.
Grâce aux traitements, certaines auront peut-être la chance de vieillir, mais que va t-il se passer au moment de la ménopause ? Que peut provoquer le cumul des perturbations hormonales qu’elle provoque et des dérèglements hormonaux, conséquence directe des effets indésirables des traitements ? On sait que de l’ostéoporose touche justement les femmes au moment de la ménopause, mais qu’elle fait aussi partie de cette liste des effets secondaires (elle apparaît chez des hommes atteints par le VIH et relativement jeunes). Des essais ont été menés sur l’ostéoporose des femmes en général, sur l’ostéoporose des hommes séropositifs, mais on commence à peine à se préoccuper de l’ostéoporose des femmes atteintes par le VIH.
Le virus lui-même n’a pas les mêmes effets sur les femmes que sur les hommes. Dès 1998, une étude de cohorte (menée par Homayoon Faradegan de Baltimor) a permis de constater qu’une charge virale deux fois moins élevée que celle d’un homme avait les mêmes effets sur l’évolution vers la maladie. Ces données ont été vérifiées en 2001. Pendant toute la période où les traitements ont été initiés sur un seuil de charge virale, cette spécificité n’a jamais été prise en compte. Depuis, les recommandations pour l’initiation d’un traitement ont changé : elles seront plutôt basées sur le taux de CD4, mais jusque-là, on n’a pas tenu compte de cette différence entre les hommes et les femmes. Ne fallait-il pas considérer que les femmes devaient commencer un traitement plus tôt ?
Hormones inconnues
On sait l’importance des hormones sur le cycle des femmes. Il suffit de voir les dérèglements qui surviennent quand quelque chose ne va pas au niveau hormonal : on reste pourtant dans le flou. On aimerait avoir des dosages hormonaux réguliers. On nous les refuse, en estimant qu’a priori, ce n’est pas nécessaire. Ces dérèglements sont donc souvent inexpliqués, ce pourrait être la pré-ménopause ou une ménopause précoce provoquée par des traitements. Alors qu’elles savent qu’elles ne sont pas prises en compte dans leur globalité, en temps que femmes, elles disent vouloir faire confiance à leur intuition en écoutant leur corps. Il y a des choses qui paraissent être aberrantes pour les médecins, mais que les femmes, elles, savent : elles doivent rappeler systématiquement qu’elles sont des femmes et les médecins doivent en tenir compte.
Entre poids et dosages
Dans les essais, en règle générale, on ne tient pas compte du poids des personnes qui y sont intégrées, mais les chercheurs partent du principe qu’il s’agit de personnes pesant 75 kilos en moyenne. Cette règle qui se veut générale ne peut pas s’appliquer à tous les médicaments, les molécules et leur métabolisme. De plus, dans le VIH, les études de dose n’ont pas forcément été menées à fond, pour des raisons de besoins, tant urgents que vitaux. On voit bien que pour certains médicaments, il faudrait soit retarder la mise sur le marché pour faire de bonnes études reposant sur des dosages plasmatiques, soit permettre de les prescrire plus rapidement, mais en développant de véritables études post AMM qui, hélas, ne sont que très peu développées ou même biaisées par les firmes pharmaceutiques. L’exemple typique de l’AZT illustre la difficulté d’accès aux nouvelles molécules (au début, les doses étaient très importantes, alors qu’actuellement les recommandations en indiquent de beaucoup plus faibles). Il faut continuer à travailler car il est évident que dans la pathologie VIH des médicaments sont encore utilisés à des doses non optimales, aussi bien d’ailleurs chez les hommes que chez les femmes.
Florilèges
Autre exemple, l’étude Fosivir qui a pour but de voir si le Fosamax®, un médicament efficace contre l’ostéoporose, a une action identique chez les personnes séropositives. Il était question d’y inclure 30 % de femmes. A la question du pourquoi ce chiffre, car il est rare de voir le pourcentage de femmes incluses si clairement posé dans un protocole, le coordinateur de l’étude a répondu qu' »il fallait qu’elles y soient sinon les associations ne seraient pas contentes, mais les données récoltées ne pourront pas servir à mesurer l’efficacité chez les femmes ». Si la réponse nous laisse perplexes, elle nous inquiète quant au manque de compétence d’un investigateur, menant une étude sans en connaître tous les critères d’évaluation. La méthodologiste de l’étude, présente a pu nous expliquer que compte tenu des critères d’inclusion sur la durée de séropositivité, il y a 30 % de femmes concernées. « C’est la représentation de l’épidémie telle qu’elle est ». Ce qui est fait pour cette étude, c’est une analyse séparée. Les femmes concernées sont des femmes avant la ménopause. Il y a des raisons de penser que l’efficacité du traitement pourrait être différente, d’où la nécessité de faire une analyse séparée entre les hommes d’une part et les femmes d’autre part. C’est dans cet état d’esprit qu’aurait été préparé ce protocole.
Alors qu’on sait aujourd’hui que les problèmes cardiaques touchent de plus en plus de femmes vivant avec le VIH, une étude récente de physiopathologie portant sur les problèmes cardiaques n’a pas inclus une seule femme. Lorsque nous avons fait remarquer cette incohérence au coordinateur de l’étude, il a répondu : « c’est simple, au départ l’étude a été présentée avec un bras hommes et un bras femmes. Le manque d’argent disponible a fait que nous avons choisi de n’étudier que les hommes ». Sans commentaire.
Autres effets secondaires
Quant aux infections gynécologiques, elles sont très difficiles à soigner chez les femmes séropositives, récidivent fréquemment et sont souvent directement liées au déficit immunitaire. C’est le cas des candidoses génitales, de l’herpès génital et des infections à papillomavirus qui, mal soignées, peuvent entraîner un cancer du col de l’utérus. Les recommandations du Rapport Delfraissy sur ce suivi existent et insistent sur l’importance du suivi gynécologique pour les femmes séropositives. Trop souvent, les infectiologues n’y pensent pas. Parmi les effets secondaires connus de certains antirétroviraux, la toxicité mitochondriale commence à être de plus en plus documentée. Il s’agit de l’effet toxique d’une classe d’antirétroviraux, les inhibiteurs de la transcriptase inverse, en particulier. La conséquence directe de cette anomalie mitochondriale est l’acidose. On a pu observer ce type d’incident près de deux fois plus souvent chez les femmes que chez les hommes.
Ce que nous apprend la ménopause
Pour répondre à toutes ces questions, il est nécessaire que dans la recherche des questions spécifiques soient élaborées pour les femmes, que des études composées uniquement de femmes soient mises en place. La non-appréhension de la spécificité des femmes montre encore une approche asexuée du sida, voire de sa prise en charge médicale en règle générale, même si il y a eu des efforts de fait. Une sorte de cloisonnement, comme si le corps des femmes était coupé en morceaux. L’absence d’études d’éventuelles interactions entre les traitements pour le VIH et les traitements substitutifs de la ménopause montre qu’à terme on ne sait pas ce qu’il peut se passer. Sans recherche ciblée sur cette période où le corps d’une femme change, il sera difficile de faire la part des choses, de ce qui découle des effets de la ménopause et de ce qui découle des effets secondaires des traitements contre le VIH. Il faut ajouter que la non-représentation des femmes dans les essais thérapeutiques est globale pour tous les médicaments, ce qui commence à poser des problèmes pour les maladies cardio-vasculaires notamment.
La particularité des médicaments comme le THS (traitement hormonal substitutif), c’est d’avoir été mis sur le marché et utilisé sans qu’aucun essai thérapeutique n’ait été réalisé. D’ailleurs, en ce moment, la monothérapie substitutive pour la ménopause provoque un grand débat, puisqu’une étude récente a mis en avant des risques, notamment de cancer du sein, mais aussi des risques vasculaires. Les indications du traitement sont donc en train d’être restreintes. D’une façon générale et pour des raisons qui s’expliquent bien historiquement, ces médicaments sont venus sur le marché pour prévenir des effets très invalidants comme les bouffées de chaleur ou les suées nocturnes. C’est seulement après que des essais ont été menés qui ont permis d’observer que ces traitements avaient des propriétés intéressantes, mais sans jamais le prouver scientifiquement, dans la mesure où les investigations n’ont pas été poursuivies. Ce ne sont que des études récentes qui ont prouvé que, malheureusement, cela n’allait pas dans le sens que l’on attendait, sauf pour l’ostéoporose contre laquelle les traitements semblent bien fonctionner.
Co-infection
Le VIH a été identifié en 1983 et en 1993, le virus, longtemps appelé non A-non B est identifié comme celui de l’hépatite C. Pour la co-infection aussi, les femmes ont été les oubliées de tout, du dépistage, de la recherche, de l’accès aux traitements. Dans le domaine de l’hépatite B, rien n’a encore été fait, quelle que soit la population concernée. Les résultats de deux études importantes sur l’hépatite C vont bientôt sortir. Les malades co-infectés ont à gérer deux pathologies lourdes, sans avoir d’informations suffisantes. Les antirétroviraux s’éliminent par le foie et pour le moment on a très peu de recul : seulement 3 ans pour le peg interferon. Que va t-il se passer ? Ce domaine de recherche se met en place, il concerne dans le monde une population immense, il devra tenir compte des spécificités féminines.
Femmes du Sud
En Afrique, la plupart des personnes séropositives sont des femmes : l’exemple, le Burundi où 60 % des personnes qui viennent dans les associations sont des femmes et, parmi elles, entre 70 et 90 % sont des femmes en situation sociale et économique précaire. Avec le début de l’accès aux traitements, ce sont généralement elles les premières sélectionnées, car on en est encore au stade de la sélection pour avoir accès à ces traitements. Quand ces femmes arrivent et qu’elles sont mises sous traitement, elles ont généralement un système immunitaire mal en point, avec très peu de CD4. Comme elles n’ont jamais pris de médicaments, elles répondent assez bien et très vite aux traitements. Donc cliniquement, la situation devient très correcte, la charge virale indétectable, les CD4 passent de moins de 200 à plus de 700. Mais ces femmes parlent maintenant de leur confrontation au problème de l’image, du regard de l’autre : elles sont mal dans leur peau et ça ne va pas, à cause des lipodystrophies notamment. Lors de ces états généraux, elles nous ont dit que, dans leurs pays, il n’y avait pas beaucoup de femmes sous traitement, mais qu’elles aimeraient bénéficier des avancées de la recherche qui vient du Nord car la recherche au Sud n’est généralement pas la priorité de leurs gouvernements. Pourtant, lorsqu’elles ont pu avoir lieu, toutes les études menées dans les pays dits pauvres, se sont montrées riches en enseignements. Les personnes atteintes ont besoin d’en savoir plus aussi sur les traitements et leurs effets secondaires et elles veulent avoir l’information, comme les femmes au Nord.
A retenir
– Parmi les revendications des femmes séropositives, leur demande d’occuper une véritable place dans la recherche demeure, et de beaucoup, la plus importante.
– La prise en compte des spécificités féminines doit également être effective par les médecins pour que le suivi des femmes séropositives s’approchent au plus près de leur besoin.