À partir du 1er janvier 2005, une grave menace pèse sur les principaux fournisseurs d’antirétroviraux génériques : l’Inde, la Chine, le Brésil. En effet, à cette date, ces pays devront appliquer les accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur le respect des brevets aux produits pharmaceutiques. Principales victimes : les pays importateurs de ces copies à moindre coût, c’est-à-dire les pays les plus touchés par l’épidémie de sida.
Le programme brésilien de distribution gratuite des traitements aux malades du sida, mis en place depuis 1996, est directement menacé. Cette échéance compromet l’ensemble du programme. A l’échelle mondiale, les conséquences directes seront meurtrières : 37,8 millions de personnes sont atteintes du sida dans le monde. Aujourd’hui, les fabricants indiens de médicaments génériques proposent une trithérapie pour moins de 10 s par mois, contre 700 s en France. L’Organisation mondiale de la santé (OMS), avec le concours de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSaPS), a établi que ces médicaments fabriqués en Inde sont de qualité au moins équivalente aux originaux fabriqués en Europe ou aux Etats-Unis. Pourtant, à cause des brevets, ces antirétroviraux génériques ne seront plus disponibles dans la plupart des pays africains où, faute de médicaments, des millions de personnes vont mourir : en 2003, ce fut le cas pour 2 millions de malades du sida, faute d’un accès plus large aux traitements. Les clauses dérogatoires négociées à l’OMC, contraignantes jusqu’à l’inapplicable, restent lettre morte.
Rappelons que malgré un usage consciencieux du brevetage, qui lui permet d’imposer des prix prohibitifs dans le monde entier, l’industrie pharmaceutique n’avait pourtant pas eu raison de toutes les énergies. Ignorant pressions et menaces, quelques pays en développement avaient choisi, face aux épidémies qui les gangrenaient, de s’asseoir sur l’obscène loi du profit brandie par les laboratoires, pour explorer les voies permettant d’assurer à leurs populations des traitements à bas coût. Dès le milieu des années 90, le Brésil, fortement touché par le sida, lance la fronde. Son gouvernement met en place une législation empêchant le brevetage des médicaments commercialisés avant mai 1997. Simultanément, il lance une production propre d’antirétroviraux génériques, qui fait chuter le coût de production des traitements. L’audace a payé : le Brésil commercialise aujourd’hui 8 des 15 antirétroviraux existant sur le marché. Les malades du sida bénéficient de la distribution gratuite des médicaments dont ils ont besoin. Mis devant le fait accompli, les laboratoires ont dû consentir des baisses de prix sur des produits plus récents pour ne pas les voir copier sauvagement. Les efforts du Brésil pour protéger sa population vont être réduits à néant par le respecter des règles protégeant les brevets et les clauses dérogatoires négociées à l’OMC, contraignantes jusqu’à l’inapplicable, resteront lettre morte.
Les multinationales pharmaceutiques qui composent le LEEM (Les entreprises du médicament) usent de tous les moyens à leur disposition pour bloquer l’importation et la distribution de ces médicaments génériques dans les pays pauvres. En toute impunité, ils détournent les lois et imposent la leur. En agissant ainsi, les grands laboratoires pharmaceutiques condamnent à mort les séropositifVEs vivant dans les pays pauvres. En 2005, ils vont enfin pouvoir consolider leur monopole et décimer des millions de malades en toute légalité. Le Brésil, l’Inde et la Chine devront, comme les autres pays en développement, se plier aux règles de l’OMC et respecter les brevets. Le silence notoire de l’OMS et l’ONUSIDA face à cette catastrophe annoncée est stupéfiant.
La propriété intellectuelle sur les médicaments est censée permettre de financer l’investissement dans la recherche pharmaceutique et assurer l’accès du plus grand nombre aux innovations de santé. Pourtant, sur 300 milliards de dollars dépensés au niveau mondial en médicaments sous brevet, seuls 40 milliards sont investis dans la recherche, contre 50 milliards pour les dividendes aux actionnaires et 90 milliards pour le marketing. Au final, les brevets sur les médicaments ne garantissent qu’une chose : les profits d’une poignée de multinationales bénéficiant d’un monopole de 20 ans sur l’exploitation des médicaments, tandis qu’ils en restreignent l’accès aux seulEs malades solvables.