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En absence de traitement antirétroviral, les personnes vivant avec le VIH sont susceptibles de développer des complications cardiaques (cardiomyopathie, péricardite, endocardite, hypertension artérielle pulmonaire et vascularite). L’introduction des combinaisons antirétrovirales dans les pays industrialisés a augmenté considérablement l’espérance de vie, mais fait-elle pour autant disparaître ces complications ?

Pathologies

Une étude des registres Medicaid californiens (3 083 209 personnes analysées dont 28 513 porteuses du VIH) décrit une incidence plus importante de pathologies cardiaques coronaires chez les hommes de moins de 34 ans et femmes de moins de 44 ans portant le VIH, par rapport à la population non infectée. De plus, dans la tranche 18-33 ans, mais pas dans les autres tranches, le risque relatif de développer ces pathologies est doublé pour les personnes sous antirétroviraux.

Il existe plusieurs pathologies cardiaques liées aux traitements (maladie coronaire, hypertension artérielle systémique et cardiomyopathie). Les traitements antirétroviraux, et plus particulièrement les inhibiteurs de la protéase (IP), ont été rapidement soupçonnés d’entraîner des anomalies métaboliques dont certaines sont des facteurs de risque cardiovasculaires (hyperlipidémie, augmentation des triglycérides, du cholestérol de type LDL, diminution du cholestérol de type HDL, changement de répartition de la masse graisseuse, insulinorésistance).

Les personnes infectées par le VIH sont donc susceptibles de cumuler des facteurs de risque cardiovasculaire qui sont la résultante de l’infection VIH et des traitements, risques qui s’ajoutent à ceux modifiables ou non de la population générale. Il semble cependant qu’il existe une incidence accrue de l’infarctus du myocarde dans la population séropositive au VIH. Plusieurs études portant sur de larges effectifs ont été publiées et les conclusions peuvent apparaître comme contradictoires. La raison principale est que ces études ne sont pas toutes comparables en terme de méthodologie (différences d’effectifs et type de collecte de l’information).

Les facteurs de risques

On connaît les facteurs de risques dans la population générale : il y a ceux sur lesquels on ne peut pas agir (non modifiables), tel que l’âge, les antécédents familiaux, le fait d’être un homme et la ménopause. Par contre, il y a des risques modifiables, et c’est là où le rôle du médecin est important (médecin, prenant en charge l’infection VIH, cardiologue et diabétologue) : hypertension artérielle, diabète, cholestérol, tabac, sédentarité.

L’état d’immunodépression semble aussi être un facteur de risque. En 2002, sur un petit effectif de personnes séropositives d’un hôpital américain, l’équipe du Dr David a constaté que le taux de CD4 de 16 personnes qui ont fait un infarctus du myocarde était plus bas que chez les 32 qui n’en ont pas fait, tout comme le nadir, plus bas chez les premières que chez les deuxièmes. Et plus la durée durant laquelle les CD4 sont très bas est longue, plus il y avait de risque d’infarctus du myocarde. De plus, la contamination par le VIH provoque un état inflammatoire chronique qui constituerait un facteur supplémentaire dans la survenue de l’infarctus du myocarde. L’hypertension artérielle a une incidence très variable d’une étude à l’autre, les dyslipidémies mixtes souvent mises en cause (hypercholestérolémie augmentée, liée le plus souvent aux traitements, à l’alimentation : hausse du mauvais cholestérol, baisse du bon et une augmentation des triglycérides). Enfin, on connaît les méfaits du tabac sur les problèmes cardiovasculaires, il est important d’en tenir compte pour éviter le cumul des risques.

Données épidémiologiques

Dans la population des personnes contaminées, le risque d’infarctus du myocarde semble plus élevé que dans la population générale, mais reste rare, avec une incidence d’environ 3 ‰ (issue de l’étude Eurosida). Dans ce contexte, le choix de la taille de la population étudiée n’est pas anodin. Etudier un effectif trop restreint pour un événement rare n’est pas approprié, car des différences observées entre groupes pourraient fort vraisemblablement être attribuables à des fluctuations dues au hasard.

Pour certaines études, les renseignements sont extraits de bases de données préexistantes. Il s’agit d’études dites rétrospectives. Il n’est pas toujours possible d’être assuré de la fiabilité des données consignées (manque de précision, données manquantes, hétérogénéité), car les données n’ont pas été collectées pour répondre à des questions précises. Par contre, s’il s’agit de mettre en évidence de nouveaux facteurs de risque, comme ceux liés potentiellement à l’utilisation de traitements antirétroviraux, un maximum d’informations sera nécessaire pour faire émerger ce facteur comme étant un risque pertinent par rapport à ceux déjà connus. Une telle analyse, dite prospective, repose sur la collecte d’informations préalablement répertoriées et systématiquement acquises au cours de l’étude, afin de répondre sans ambiguïté à une réponse précise.

Cinq grandes études ont été publiées sur l’incidence de l’infarctus du myocarde chez les personnes séropositives, certaines plus intéressantes, parce que prospectives.
L’étude européenne prospective multinationale DAD (lire «en savoir plus» en fin de cet article), initiée en 1999, et qui regroupe 23 000 personnes séropositives, était commanditée par un consortium d’industries pharmaceutiques, mais pilotée par un comité indépendant scientifiquement et financièrement. L’objectif était de déterminer si le risque de faire un infarctus du myocarde est lié à la prise d’une multithérapie, qu’elle comporte un inhibiteur de la protéase et/ou un inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse. Il est à noter que la proportion de femmes suivies est de 24 %. Cette étude montre que l’incidence de l’infarctus du myocarde augmente avec la durée d’exposition aux antirétroviraux.

Malgré la forte proportion de personnes utilisant les IP (67,1 % sur une durée médiane de 19,2 mois), les conclusions actuelles du groupe d’étude DAD ne permettent pas de préciser si les risques observés sont plus particulièrement associés à leur utilisation. Avec un recul plus important recensant plus d’événements pathologiques, un prochain rapport du groupe DAD apportera vraisemblablement une meilleureréponse. Certaines des études ci-dessous suggèrent néanmoins un lien avec l’utilisation des IP.

Une étude prospective utilisant les banques de données BHFVIH (ex-DMI-2) de 1996 à 1999, porte sur 34 976 personnes, plus de la moitié traitée par antiprotéases, avec 60 infarctus constatés. Cette étude correspond à 34 mois d’exposition aux IP en valeur médiane, et les conclusions rejoignent celles de l’étude DAD en terme de traitements : en comparant une exposition de plus de 30 mois à celle de moins de 18 mois, il ressort qu’une utilisation prolongée de traitement antirétroviral (plus de 30 mois) multiplie le risque d’infarctus par 3,6. Une remarque s’impose cependant par rapport à l’étude DAD : dans l’étude française, il est possible d’associer l’augmentation du risque à une classe de traitement : les IP. Là aussi, la durée du traitement semble augmenter le risque de faire un infarctus du myocarde.

Deux études sur de faible effectif fondées sur des informations issues de bases de données – avec donc les limites évoquées précédemment – présentent des résultats en apparence contradictoires : le Dr Klein, médecin infectiologue de San Francisco, a regardé sur ses 4 159 personnes, de 1996 à 2001, combien il y avait d’infarctus, il n’a pas pris en compte les éléments cardiovasculaires tout venant, ainsi que nous l’indiquons. Il a pris un critère très dur, infarctus du myocarde, de façon rétrospective là aussi et il a vu dans sa cohorte 47 infarctus constatés. La moitié des personnes suivies étaient traitées par antiprotéases et sur une durée de 32 mois. Là encore, il n’y a pas de différence en terme d’incidence de l’infarctus chez les patients traités ou pas par antiprotéases. Le nombre d’événements cardiovasculaires est à peu près identique (entre 6,2% et 6,7%). Par contre, lorsqu’il prend en compte la population non VIH de San Francisco, il a deux fois moins d’événements que dans la population VIH.

L’autre étude, celle de Holmberg (médecin du CDC d’Atlanta), porte sur 5 672 personnes entre 1993 et 2002, avec 21 infarctus constatés, et indique au contraire un risque augmenté. La durée moyenne d’exposition aux IP est plus longue dans la seconde étude : 42 contre 32 mois. A la lueur des études commentées auparavant, ceci pourrait être l’origine de l’apparente contradiction.

Enfin, une étude rétrospective à large effectif, toujours à partir d’informations issues de banques de données, n’a pas dégagé à ce jour de conclusions nettes (lire «en savoir plus» en fin de cet article).

Mais il y a deux critiques à faire à cette étude : seulement 1,5% de femmes et la durée de traitement est très faible. Comment peut-on développer de l’athérosclérose en seulement seize mois ? L’athérosclérose prend 30 à 40 ans. Bien sûr, il y a des accidents aigus, mais cela ne se fait pas du jour au lendemain. Il ne faut donc pas s’étonner de voir une très faible incidence dans ce laps de temps, et pas de différences entre personnes traitées et non traitées.

Toutes les études qui se sont intéressées aux problèmes cardio-vasculaires chez les personnes vivant avec le VIH aboutissent à des données souvent contradictoires, car cela reste un domaine compliqué.

Pour conclure, dans une lettre du 12 février 2004 au New England Journal of Medicine, les auteurEs de l’étude DAD rappellent que les études publiées suggèrent qu’il y a certainement un lien causal entre l’utilisation d’IP et le risque de maladies cardiovasculaires, mais que l’on ne sait pas si cet effet est limité à ce type de traitement. Il est donc encore trop tôt pour préconiser des recommandations de modifications de traitement. Les auteurEs de toutes ces études insistent sur le bénéfice des traitements antirétroviraux qui, quels qu’ils soient, contribuent à réduire les risques de mortalité. Ce bénéfice l’emporte largement sur un risque d’accélération d’occurrences de pathologies vasculaires, même pour un infarctus du myocarde.

Le coeur des femmes

Les antirétroviraux sembleraient être aussi efficaces chez les hommes que chez les femmes, par contre leur toxicité et leurs effets indésirables, eux, seraient différents.
Le chapitre Femmes du Rapport Delfraissy 2002 se termine sur une conclusion qui a toute son importance : «Il y a donc bien lieu de considérer les femmes dans leurs spécificités pour la prise en charge de cette maladie au long cours.»

Comme nous le rappelons souvent, il ne s’agit pas de dire que la maladie, les effets secondaires des traitements, le vécu sont plus importants pour les femmes que pour les hommes, mais de dire, encore et encore, qu’ils sont différents, même si une étude a constaté que leur fréquence semble plus importante chez les femmes.

Pour des raisons physiologiques, les traitements ont des effets indésirables différents selon le sexe en particulier les anomalies du métabolisme lipidique. Chez 15 à 70 % des personnes vivant avec le VIH on observe une hypertriglycéridémie (supérieure à 2 g/l) et chez 20 à 50 % une hypercholestérolémie totale, liée à une élévation du cholestérol LDL (supérieur à 1,6 g/l). Le Rapport Delfraissy 2004 souligne justement le fait que l’hyperlipidémie est plus fréquente chez les personnes ayant une obésité tronculaire ce qui est le cas pour les femmes, puisque les lipo-hypertrophies sont plus fréquentes chez elles et se caractérisent par une accumulation tronculaire de graisses abdominales et mammaires.

Sous trithérapie, les femmes ont ainsi des triglycérides plus élevées que les hommes, un rapport de cholestérol LDL/HDL perturbé, ainsi qu’un dérèglement significatif du métabolisme glucidique. On a constaté que dans la population générale, les femmes sont moins sujettes aux accidents cardio-vasculaires que les hommes, mais les dérèglements provoqués par les antirétroviraux chez les femmes séropositives, pourraient leur faire perdre leur protection naturelle. En effet, grâce à leur système hormonal les femmes ont une protection naturelle oestrogénodépendante vis-à-vis du risque cardiovasculaire. On constate que les femmes, avant la ménopause souffrent moins d’hypertension que les hommes, la surcharge pondérale apparaît souvent à cette période, avec les conséquences lipidiques et glucidiques que l’on connaît. De plus, le stress est beaucoup moins bien supporté au moment de la ménopause. En conséquence, les médecins sont moins vigilants lorsqu’une femme se plaint de douleurs dans la poitrine, qu’ils mettront alors facilement sur le compte de l’angoisse et ne penseront pas à vérifier régulièrement, par des analyses, les taux de cholestérol et tryglycérides.

Dans la population générale, les facteurs de risque des maladies cardiovasculaires sont l’âge, les antécédents familiaux, le sexe masculin, la ménopause précoce. Or, dans la liste des effets secondaires des traitements, on retrouve les dérèglements hormonaux, qui pourraient être à l’origine d’une ménopause précoce et par conséquent feraient augmenter le risque de problèmes cardiovasculaires.

Enfin, chez les femmes vivant avec le VIH, la maîtrise d’une grossesse potentielle est très importante et cela pour diverses raisons. Le risque de contamination pour l’enfant, même s’il est de moins en moins grand, existe toujours. La crainte d’une possible dégradation trop rapide de leur santé leur fait craindre l’impossibilité pour elles d’élever leur enfant. C’est pourquoi certaines femmes séropositives veulent en plus du préservatif, avoir une méthode de contraception. De plus, souvent avant la découverte de leur séropositivité, elles disposaient de ce moyen de contraception. La pilule représente un symbole de liberté qui leur permet de garder ce sentiment d’être une femme comme les autres, c’est aussi un moyen pour certaines de réguler des cycles souvent mis à mal par la maladie. Pour toutes ces raisons, l’abandon de ce mode de contraception n’est pas simple. Il est a noter cependant que la pilule et tout moyen de contraception hormonal est fortement déconseillé pour la santé des femmes qui fument. Il faut tenir compte également des perturbations métaboliques liées à l’infection par le VIH et à son traitement. Les pilules oestro-progestives, mode de contraception le plus fréquemment utilisé, posent deux types de problèmes fréquents chez les femmes sous traitement antirétroviral : l’hypercholestérolémie et l’hypertriglycéridémie. Ces deux dérèglements biologiques sont des contre-indications à la prescription de la pilule, qu’il faut prendre en compte, pour toutes les femmes, infectées ou non. (cholestérol total supérieur à 2,50 g/l et triglycérides supérieurs à 2 g/l). D’autre part, il existe des interactions médicamenteuses entre certains antirétroviraux (les IP et les INNTI) et les pilules oestro-progestatives. Hélàs, trop peu d’études nous éclairent sur ce sujet.

Il est donc très important que les femmes séropositives sous antirétroviraux, aient un suivi attentif, que leur médecin contrôle régulièrement, c’est-à-dire au moins une fois par an leur taux de cholestérol total et de triglycérides, afin de détecter au plus tôt toute anomalie. L’importance d’un bilan biologique général (lipidique, glucidique et hormonal) n’est plus à démontrer.

Mais il faut encore rappeler que le tabac est dangereux et que les substituts nicotiniques, comme les patchs et les gommes, peuvent être largement prescrits, mais pas seulement pour les femmes. L’exercice physique est aussi important, toutes les études montrent que celui-ci pratiqué régulièrement améliore considérablement les anomalies lipidiques.

Le poids et l’alimentation sont à surveiller et comme l’a dit un jour un médecin que l’on qualifierait de misogyne, alors qu’une femme séropositive qui voyait son corps se transformer lui demandait conseil, «faîtes un petit régime, vous les femmes, vous aimez ça les régimes…».

Expériences de prise en charge

Si la question des troubles cardiaques chez les séropositifVEs est récente, elle semble avoir pris de l’importance depuis l’arrivée des antirétroviraux : le fait qu’avant, les gens mouraient plus tôt, rendait ces problèmes invisibles. C’est un sujet qui nous importe, ne serait-ce que parce que à Act Up-Paris trois personnes très bien informées ont vécu récemment un infarctus, alors que cela faisait un certain temps qu’elles alertaient leur médecin. Le Dr Franck Boccara (cardiologue à l’hôpital Saint-Antoine à Paris) est intervenu lors d’une RéPI organisée par Act Up-Toulouse. Voici une partie de son intervention qui permet de comprendre l’intérêt d’une prise en charge précoce, c’est-à-dire une surveillance attentive et suivie.

La cardiologie n’est pas simple. S’il faut retenir un chiffre, c’est que 50 % des gens qui font un infarctus du myocarde ont peu de facteur de risque cardiovasculaire et ne présentaient pas de douleurs caractéristiques auparavant (douleur aigûe sous le sternum avec irradiation possible vers les bras, et pas seulement le bras gauche et vers la machoire inférieure).

L’histoire du cœur et du VIH est ancienne, puisque dès le début de l’infection, on a constaté que le virus était cardiothrope, c’est à dire que le VIH est attiré vers le muscle cardiaque et tous les organes. Ainsi, les études post-mortem réalisées avant l’avènement des trithérapies ont montré la présence dans le coeur du virus dans tous les cas étudiés.

Au Nord, l’histoire du VIH peut se scinder en deux : avant et après 1996, soit avant et après l’arrivée des antirétroviraux. Avant l’ère des traitements, les problèmes cardiaques étaient directement liés à l’infection et à l’état d’immunodépression. Les personnes pouvaient être atteintes d’une cardiomyopathie, aux conséquences souvent dramatiques. Les malades pouvaient également contractrer une péricardite et parfois une endocardite. De plus, des infections à staphylocoque répétitives, tout comme l’hypertension artérielle pulmonaire, l’atteinte des vascularités, l’inflammation des vaisseaux liée au virus étaient de très mauvais pronostics.

Depuis l’arrivée des antirétroviraux, mais pas forcément à cause d’eux, nous avons vu apparaître de nouvelles affections cardiaques (lire plus haut, les paragraphes facteurs de risques 12). En premier lieu la maladie coronaire : cette maladie se caractérise par un rétrécissement des artères, avec pour conséquence la survenue d’un infarctus. L’hypertension artérielle est plus fréquente ; ceci est probablement en rapport avec l’apparition des lipodystrophies et de l’insulinorésistance. Enfin, d’autres cardiomyopathies sont apparues et semblent aussi liées à la toxicité des traitements.

Quelques cas

L’équipe de Francis Boccara s’est intéressée à l’infarctus du myocarde chez les personnes séropositives suite à la rencontre en 1997, d’une personne dont l’artère principale du cœur était bouchée comme l’a indiqué une coronographie, examen des artères du cœur. Cette personne, âgée de 42 ans, séropositive depuis 7 ans, et sous antiprotéase depuis seulement un an, ne présentait aucun risque cardiovasculaire. On ne sait toujours pas pourquoi cette artère s’était bouchée.

Autre cas énigmatique, celui d’une jeune femme de 32 ans, séropositive depuis 10 ans ; elle est suivie dans le service de cardiologie depuis peu car elle a vécu un infarctus du myocarde l’année précédente ; en mars dernier, elle a eu une grande douleur dans la poitrine, mais elle ne s’est pas rendue à l’hôpital et a préféré attendre sa visite annuelle en juillet. Au cours de cette consultation, on a diagnostiqué une insuffisance cardiaque et de gros oedèmes des membres inférieurs. Une échographie a permis de constater qu’elle avait eu un infarctus du myocarde extrêmement grave. Début octobre, cette personne a été transplantée, il s’agissait de la deuxième patiente séropositive à subir ce type d’intervention en France.

Pour illustrer encore la complexité de la problématique coeur et VIH, présentons le cas d’un homme séropositif, présentant des troubles des lipides et des troubles de lipodystrophies modérés, suivi en cardiologie depuis un an et demi. En octobre dernier il est admis en urgence suite à une douleur très atypique dans la mâchoire. Une coronographie et un test d’ischémie ont permis de mettre en évidence un rétrécissement très important des artères du cœur. Pourtant cette personne était suivie tous les 6 mois et passait à chaque fois un bilan cardiovasculaire complet et aucun problème coronaire n’avait été détecté.

Francis Boccara insiste donc particulièrement sur l’importance d’un suivi régulier. En collaboration avec des infectiologues, son équipe a d’ailleurs créé un «arbre décisionnel». Ce type de collaboration permet une meilleure prise en charge du risque cardiovasculaire chez les personnes vivant avec le VIH. Concrètement cet «arbre décisionnel» conduit l’infectiologue à comptabiliser les facteurs de risques de son patient : pression artérielle au brassard, glycémie, taux global de cholestérol mais aussi rapport «bon/mauvais cholestérol», surcharge pondérale, rapport taille sur hanche, et tabagisme. Il doit inciter les personnes qui cumulent 3 facteurs de risque à consulter un cardiologue afin de réaliser un bilan plus précis : échographie cardiaque, échographie des carotides et épreuve d’effort.

En cas de cumul d’au moins deux facteurs de risque et d’un électrocardiogramme normal, le suivi devra être régulier. L’objectif de cette collaboration entre infectiologues et cardiologues est de détecter et de prendre en charge le plus tôt possible, dès qu’il y a douleur, le syndrome coronaire aigu. Rappelons que l’infarctus du myocarde est une course contre la montre.

Pour en savoir plus

En début de l’étude DAD, l’âge médian des participantEs était de 39 ans et la prévalence de maladies cardiovasculaires antérieures seulement de 1,5 %. Cependant, pour beaucoup de personnes, des facteurs de risque existaient : 56,2 % de fumeurs ou ex-fumeurs, 2,8 % de diabétiques, 7,2 % d’hypertendus et 45,9 % avec une dyslipidémie. 80,8 % avaient été exposés à au moins un antirétroviral et 74,5 % à une combinaison (temps médian d’exposition de 1,9 années). 26,2 % étaient diagnostiqués à l’état sida.

566 personnes (2,4 %) sont décédées pendant le suivi, dont 36 d’infarctus du myocarde et 26 d’un autre événement cardiovasculaire (accident vasculaire cérébral par exemple). Pendant le suivi, 126 personnes ont fait un infarctus (90 % d’hommes), soit une incidence de 3,5 pour 1 000 personnes.années (126 / 36 199 personnes.années x 1 000). Les critères définissant un infarctus du myocarde sont complexes et dans cette étude, 55 % étaient des infarctus avérés, 29 % probables et 16 % non classifiables. Les infarctus du myocarde non associés à des symptômes cliniques n’ont pas été pris en considération.

Les personnes non exposées à un traitement ont une incidence inférieure à tous les autres groupes. De plus, le risque de développer un infarctus du myocarde augmente en moyenne de 26 % pour chaque année de traitement supplémentaire.

Les résultats présentés ne tiennent pas compte des facteurs de risque cardiovasculaires classiques dans les groupes étudiés. La durée de traitement apparaît donc comme un facteur indépendant de risque. D’autres facteurs de risque indépendants ressortent dans cette étude, comme l’âge, des antécédents cardiovasculaires (personnels mais pas familiaux), le fait de fumer ou d’avoir fumé, et d’être un homme. Par contre, le mode de transmission et l’indice de masse corporelle n’étaient pas associés, indépendamment à un risque d’infarctus. Enfin, des taux élevés de cholestérol ou de triglycérides ou la présence d’un diabète ou d’hypertension étaient associés à un risque accru d’infarctus du myocarde. Pourtant, ce n’est pas le cas pour la présence de lipodystrophies.

Une part du risque observé peut être liée non pas aux traitements, mais aux facteurs de prédisposition classiques (cholestérol total, triglycérides, hypertension, diabète). Il est donc important d’étudier si l’association trouvée entre durée de traitements et incidence d’infarctus du myocarde est toujours observée si l’on intègre ces paramètres dans l’analyse. Ainsi, l’association est moins évidente si l’on tient compte des taux de cholestérol total ou de triglycérides. Elle est par contre conservée en tenant compte du diabète, de l’hypertension ou des lipodystrophies ou des marqueurs VIH (durée de l’infection VIH ou sida déclaré avant observation, nombre de CD4 et charge virale). Aucun des marqueurs VIH n’est d’ailleurs associé au risque d’infarctus du myocarde dans cette étude. Les taux de cholestérol total et de triglycérides jouent donc potentiellement un rôle dans l’association des pathologies démontrée.

L’étude «Veterans affairs» porte sur 36 766 personnes traitées, pour l’infection VIH ou le sida, aux établissements des Veterans Affairs entre 1993 et 2001 (17,6 % de moins de 35 ans et 98,1 % d’hommes) et dénombre 1 207 admissions pour problèmes cardio et cérébrovasculaire. L’étude rétrospective débutant en 1993, il est aussi possible de faire des comparaisons avec et sans (avant et après 1996) traitement avec IP ou avec et sans inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse (avant et après 1997). En particulier, 41,6 % des personnes ont reçu des IP pour une durée médiane de 16 mois. Parmi cette sous-population, il a été possible d’isoler 1 000 personnes recevant une combinaison d’antirétroviraux avec un IP sur un minimum de 4 ans. Pourtant, qu’il s’agisse du taux d’admissions ou de morts constatées pour problèmes cardio ou cérébrovasculaires, ce taux n’augmente pas avec la durée d’exposition aux thérapies antirétrovirales, en particulier pour la combinaison d’analogues nucléosidiques et IP. Une tendance à l’augmentation du taux d’admissions pour problème cardiovasculaire est néanmoins constatée chez les utilisateurs d’IP sur 24 mois par rapport aux personnes n’ayant reçu aucun traitement, mais cette tendance pourrait être le fruit de fluctuations dues au hasard sur les effectifs étudiés. Pour les autres classes d’inhibiteurs, utilisées seules ou lorsqu’il s’agit d’une combinaison d’un inhibiteur nucléosidique avec un autre non nucléosidique ou un IP, il n’y a pas d’augmentation par rapport aux personnes non traitées.