Les associations de malades ont toujours surveillé de près les publicités des laboratoires. Nous pensons que ce type d’investissements se fait au détriment d’autres chapitres comme la recherche et le développement. Les budgets respectifs de ces différents pôles prêtent parfois à sourire.
Retour sur quelques mois
En 2002, au moment où s’engageait le travail sur une directive et un réglement européen sur le médicament, les firmes pharmaceutiques souhaitaient y voir inscrire le droit de faire de la publicité directement auprès des malades, sur certains types de médicaments, comme les antirétroviraux. Act Up-Paris avait dès cette époque participé au Collectif Europe et Médicament qui regroupe à la fois des associations de malades, des professionnelLEs de santé et des mutuelles. Le but du Collectif était de faire du lobby sur la Commission et le Parlement européens afin de limiter l’influence des laboratoires. En mars 2003, quand la directive et le réglement ont été promulgués, nous avions perdu du terrain face à l’industrie sur le dossier du renouvellement des AMM ou de la protection des données, mais pas sur la publicité, du moins jusqu’à présent. L’un des arguments des laboratoires pour faire de la publicité était le «besoin d’informer» les malades et par conséquent d’autoriser la publicité en direction du grand public pour les antirétroviraux notamment. Il paraît évident que le principe même de la publicité est l’information des usagerEs et absolument pas la promotion d’une quelconque formule miracle qui viserait à banaliser l’épidémie et qui minimiserait les effets indésirables d’une molécule.
La publicité grand public est possible aux Etas-Unis et le film «The Gift» de Louise Hogarth, qui traite du barebacking aux USA, montre bien la banalisation du VIH. Tantôt présenté dans ce reportage comme cause d’une maladie chronique par les barebackers, ce qu’elle n’est pas, le sida est perçu comme un «truc fun» : ce sont toujours des athlètes en forme qui servent de modèles dans les publicités pour les antirétroviraux qui sont diffusés par les laboratoires pour «informer» le malade. Pourquoi pas une escalade de la montagne en couche culotte pour démontrer les effets secondaires du Viracept®, au lieu des apollons qui gravissent avec bonheur leurs cailloux ?
En France pour l’instant, il n’est pas question de libérer la publicité grand public, qui actuellement fait l’objet d’un contrôle a priori (délivrance d’un visa sans lequel la publicité ne peut sortir). Elle n’est possible que pour les produits non soumis à prescription et non remboursés par les régimes d’assurance maladie. Il existe deux exceptions : les vaccins et les substituts nicotiniques, ces deux familles étant considérées comme des axes prioritaires de communication en termes de santé publique.
Le contrôle de la publicité sur les médicaments à usage humain et les produits de santé en général s’inscrit dans le cadre des missions confiées à l’Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (l’AFSSaPS). La loi n°94-43 du 18 janvier 1994 relative à la publicité pour les médicaments à usage humain et le décret d’application sorti le 14 juin 1996, prévoit deux dispositifs d’évaluation de la publicité : l’un pour la publicité destinée aux professionnelLEs de santé, l’autre pour la publicité destinée au grand public. Les critères auxquels doivent satisfaire les publicités sont identiques en théorie : respecter les recommandations liées à son autorisation de mise sur le marché (par exemple l’heure de prise pour garantir le moins d’effets secondaires) ; présenter le médicament de manière objective et favoriser son bon usage. Par ailleurs, la publicité ne peut pas être trompeuse et ne doit pas porter atteinte à la protection de la santé publique. De plus, seuls les médicaments pour lesquels a été octroyée une AMM peuvent faire l’objet d’une publicité.
En 2003, 909 dossiers concernant la publicité directe ont été déposés à l’AFSSaPS. Il n’y a eu que 20 refus. Rappelons que l’autorisation se fait en préalable à la mise en place de la publicité. Le circuit administratif de validation qui fait appel à deux, voire trois expertEs (médecins reconnus et accrédités par l’AFSSaPS) est long et rigoureux. Les laboratoires savent que s’ils veulent sortir en janvier une publicité pour un produit contre le rhume, il leur est nécessaire de déposer leur dossier en septembre de l’année précédente (c’est l’exemple de ce laboratoire qui veut recouvrir cet hiver son immeuble donnant sur le périphérique d’une publicité de son produit contre le rhume : sa demande date de juillet 2004).
Offensives pharmaceutiques
En ce qui concerne la publicité en direction des professionnelLEs de santé, la réglementation est basée sur les mêmes critères, mais elle se fait a posteriori du lancement de la campagne. Ce qui pose la question de l’efficacité de ce contrôle. Les délais de traitement par l’AFSSaPS sont identiques à l’autre formule : de 6 à 9 mois. De fait le contrôle n’entrave pas le planning de leurs campagnes des laboratoires. Pour l’année 2003, 8 271 documentations promotionnelles à destination des professionnelLEs de santé ont été déposées dans le cadre du contrôle a posteriori (chiffre de demandes stables, à 500 demandes près, depuis 1998). Pour l’année 2003 : seulement 7 refus. L’agence s’est occupée de les signaler aux intéressés 6 à 9 mois après le démarrage de la campagne. Ces interdictions ont été publiées au Journal Officiel. Ce qui amuse les copains, mais n’a pas franchement d’impact sur les médecins, cibles de la promotion. Parfois, l’Agence impose une information corrective au laboratoire : on ne rigole pas avec l’administration française. D’ailleurs, le nombre de refus en proportion du nombre de demandes démontre l’efficacité de la mesure. Le contrôle a posteriori est un piège, et il conviendrait de remettre en cause le dispositif au profit d’un contrôle a priori comme pour la publicité grand public. Mais se pose alors la question des moyens de l’AFSSaPS pour mener efficacement cette mission.
Nous avons l’impression que les messages publicitaires VIH en direction des professionnelLEs sont devenus plus agressifs. De plus, les publicités des laboratoires dans les médias grand public sous couvert de sponsoring ou de soutien de projet preennent souvent les mêmes chemins. Il nous paraît légitime de penser que ce fait est lié au « marché » qui arrive à saturation. Le nombre de malades sous traitement croît trop lentement pour les bénéfices attendus aussi les firmes développent des stratégies de marketing visant à conquérir des parts de marchés aux dépens des concurrentEs.
Une des stratégies des firmes pharmaceutiques est de sortir de son contexte les données publiées dans un abstract de conférence ou un article qui leur est favorable, voire les recommandations d’un rapport d’expertEs comme celui du Rapport Delfraissy pour leur faire dire que la molécule du laboratoire en question est la meilleure. La réglementation est pourtant formelle : un usage revendiqué dans une publicité pour un médicament doit être validé par l’AMM et, s’il y a lieu, par les conclusions de la commission de transparence. Les contraintes des expertEs sollicitéEs pour valider ou invalider la publicité par l’AFSSaPS sont à l’avantage des laboratoires. Quand le message publicitaire n’est pas formellement en contradiction avec l’AMM, ils doivent argumenter leurs critiques et montrer en quoi ce qui est écrit et/ou montré risque d’induire un usage hors AMM. Quand la publicité se réfère à un article pas encore publié, elle est illégale. Sinon, il faut relire l’article et éventuellement les commentaires éditoriaux concernant l’article en question. Si l’on ajoute que les expertEs en question sont bénévoles et qu’il peut y avoir parfois conflit d’intérêt, nous n’avons aucun mal à leur témoigner une absolue méfiance. Ce sont les mêmes professionnelLEs qui peuvent être sollicitéEs par les laboratoires pour être investigateurRICE d’un essai clinique en lien avec leur champ d’expertise.
La ligne de défense des laboratoires pour prévenir la subjectivité de leur démarche promotionnelle en direction des professionnelLEs de santé est de dire qu’ils s’adressent à des médecins, donc ayant des connaissances suffisantes pour replacer le message publicitaire dans son contexte. C’est-à-dire qu’ils sont à même de décrypter, de par leur savoir médical, ce qui est trop subjectif dans les
« messages d’information ». Soyons honnêtes : diffuser des messages subjectifs avec le dessein de prouver la capacité de décodage des praticiens, c’est d’un cynisme ! L’intention est en fait d’induire une modification des comportements de prescriptions. Et ça marche, même si les médecins s’en défendent. Le revers de la médaille est que les laboratoires bombardent les praticiens de tellement de brochures qu’ils noient eux-mêmes leurs informations. Cependant, l’ampleur prise par Viréad® en France au niveau des prescriptions est plus le résultat d’un marketing efficace, peut être plus qu’une avancée thérapeutique majeure. La plupart des documents promotionnels des laboratoires n’ont pas la moindre valeur pédagogique bien qu’ils soient souvent les seuls moyens de formation des médecins sur les nouveaux produits.
De quel contre-pouvoir disposons-nous ?
Le TRT-5 (l’interassociatif des associations sida en France) examine, depuis 2000, les publicités qui ont trait au VIH et ne se prive pas, le cas échéant, d’envoyer ses commentaires à la commission d’expertEs de l’AFSSaPS. Mais inutile de se faire d’illusions : face aux visiteurs médicaux qui diffusent les brochures, sans doute pour aider le praticien à évacuer la subjectivité du document, nous n’avons aucun réel pouvoir de contrôle.
De plus, le système est ainsi fait que nos remarques auront 6 à 9 mois de décalage pour éclairer la commission d’expertEs de la pertinence de l’avis des malades. Les laboratoires préparent en général deux campagnes par an, une au mois d’août pour la rentrée et l’autre en hiver pour le printemps. L’examen a posteriori de nos remarques arrive en décalage d’une campagne.
Il existe quatre degrés de sanction suite à l’examen des expertEs (2 mois pour les saisir par l’AFSSaPS, 2 mois pour traiter la saisine) et après réunion de la commission (elle peut prendre jusqu’à 3 mois pour statuer) : une simple lettre, la mise en demeure, le projet d’interdiction et la suspension d’urgence. Ce dernier type de sanction n’a jamais été appliqué. Quand une firme apprend que l’AFSSaPS envisage d’interdire une campagne, la firme concernée la suspende immédiatement. Mais la plupart du temps, la campagne est déjà terminée.
Au-delà de la question des campagnes, on peut se demander pourquoi la sanction ultime, la baisse forcée du prix du médicament, n’est, elle, jamais appliquée : cela n’est pas en raison d’un quelconque lobby des laboratoires (encore que ?!), mais simplement du fait que les principaux organismes concernés (Commission de la publicité, Commission d’AMM, Transparence, CEPS) ne coopèrent simplement pas.
La présence des associations de consommateur à l’intérieur de la commission de la publicité devrait être une garantie d’objectivité. Cependant, ces associations à l’intérieur et à l’extérieur de l’AFSSaPS se concentre sur la publicité grand public. Leurs représentantEs font du bon travail, leur cheval de bataille consiste à veiller à ce que les messages de prévention soient inscrits dans les publicités grand public. Mais ils se désintéressent parfois de la publicité à destination des professionnelLEs à caus de la complexité technique de ces dossiers. Il n’y a donc aucune association de malades dans ces commissions. Or, quelle que soit la pathologie, les associations de malades devraient assurer un contre-balancier vis-à-vis de la commission d’expertEs.
En attendant, le TRT-5 a envoyé une demande à Jean-François Mattéi, alors Ministre de la santé, sollicitant un examen des publicités a priori et non a posteriori. Son passage, trop bref, au ministère ne lui a, semble-t-il, pas laisser le temps de nous répondre. Nous insistons pour que les malades soient présentEs dans la commission de la publicité, de même qu’ils le sont dans la commission de la pharmacovigilance. Gageons que son successeur, Philippe Douste-Blazy aura soin de traiter, un jour, ces demandes, dans l’intérêt des malades et bien évidemment afin d’éviter des abus de prescription liés à des démarches promotionnelles mal comprises par les praticienNEs. L’affichage d’une ferme volonté de combler le trou de la sécurité sociale devrait nous rassurer sur ce point. A voir.
Nota
Le 2 décembre dernier a eu lieu la première réunion offficielle entre l’AFSSaPS et les associations de malades. La journée a permis à l’Agence de présenter son travail en détaillant l’évaluation des médicaments, leur mise sur le marché, la pharmacovigilance et le contrôle de la publicité et aux association d’exposer leur demandes. A l’issue de cette rencontre, quatre groupes de travail se sont mis en place :
– groupe 1 : transparence et information ;
– groupe 2 : vigilance ;
– groupe 3 : procédure de collaboration entre l’Agence et les associations ;
– groupe 4 : accès précoce aux nouvelles molécules.
Le travail de ces groupes devrait aboutir, en principe avant l’été, à un projet de collaboration permanente entre l’AFSSaPS et les malades.