À peine dix minutes après le début de l’action du 30 novembre, les 8 militantEs étaient interpelléEs, emmenéEs au commissariat de police du VIIIème arrondissement et immédiatement placéEs en garde à vue. LibéréEs 24 heures plus tard, juste à temps pour aller zapper le siège de l’UMP et participer à la manifestation du 1er décembre. Les huit militantEs se sont vuEs inculpéEs pour « dégradation volontaire d’un bien classé ou inscrit » ayant entraîné un « dommage grave ».
– 30 novembre 2004 – 11h15 : les officiers de police judiciaire du commissariat du VIIIème arrondissement (Service Accueil Recherche Investigation Judiciaire) notifient aux huit militantEs ayant participé à l’action sur le Palais de l’Élysée leur placement en garde à vue.
– 1er décembre 2004 – 11h15 : ils notifient aux huit mêmes, à peine libéréEs, leur convocation par le Procureur de la République à comparaître le 27 janvier 2005 devant la 29ème Chambre du Tribunal de grande instance de Paris.
Une première en quinze années de lutte.
Vingt-quatre heures de garde-à-vue et huit convocations en correctionnelle : c’est une véritable première dans l’histoire d’Act Up-Paris. Pourtant, l’action du 30 novembre 2004 n’innovait pas particulièrement par rapport à nos méthodes traditionnelles d’action publique : des slogans, quelques tracts, du faux sang et un die-in. La cible était certes originale et osée, mais rappelons qu’en quinze années d’activisme, l’association avait déjà zappé des ministres, des administrations, l’Elysée, Matignon, et même Jacques Chirac en personne.
Selon l’article 63 du Code de procédure pénale : « L’officier de police judiciaire peut, pour les nécessités de l’enquête, placer en garde-à-vue toute personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction. » Les « nécessités de l’enquête », soit : un contrôle d’identité, un premier interrogatoire au début de la garde à vue, éventuellement un second si des éléments complémentaires ont été apportés entre temps. Si notre garde-à-vue en était restée à la stricte application de la procédure légale, nous serions donc probablement sortiEs le soir même. Le Procureur de la République a pourtant jugé bon de nous y laisser passer la nuit. Celle du 1er décembre, journée mondiale de lutte contre le sida.
Pour les nécessités de l’enquête…
Les officierEs de police judiciaire semblent avoir une conception extensive des « nécessités de l’enquête ». Ainsi l’un d’entre eux nous a-t-il spécifié qu’une garde à vue était « une mesure de rétorsion de liberté pour avoir contrevenu à l’ordre public » : une peine, donc, mais sans jugement. En fait de rétorsion de liberté, nous avons subi le lot commun d’une garde à vue ordinaire en France : insultes, pressions, propos sexistes, homophobie , transphobie , difficultés d’accès aux soins, non-assistance et mépris des malades, conditions sanitaires intolérables…
Nous savons que notre visibilité médiatique et politique, notre nombre et la vigilance de l’association et de ses avocatEs ont sûrement incité les policierEs à plus de précautions qu’à leur habitude. Voici donc ce à quoi ressemblent les « meilleures conditions possibles » d’une garde à vue en France.
Conditions sanitaires insupportables.
Les cellules mesurent quatre mètres carrés environ, elles sont complètement nues à l’exception d’un banc dont l’assise n’excède pas 25 centimètres de large : il est conçu de façon à ce que les gardéEs à vue ne puissent s’y allonger. Chaque cellule héberge entre quatre et six gardéEs à vue, contraintEs de se tenir debout ou assisEs à même le sol. Le sol et le banc sont gras et poussiéreux. Les traces de sang laissées sur les murs par de précédentEs gardéEs à vue n’ont pas été nettoyées.
Il n’y a qu’une seule couverture par cellule et les gardienNEs refusent catégoriquement d’en apporter une autre, même pour les personnes malades, et ce malgré nos demandes répétées.
L’une des cellules est placée juste en face des toilettes turques réservées aux gardéEs à vue, toilettes dont la porte reste ouverte la plupart du temps.
Les repas sont très insuffisants pour toute personne qui, en raison de son âge ou de sa santé, aurait besoin d’un apport calorique minimal.
L’accès à un petit verre d’eau est conditionné au bon vouloir, variable selon les personnes et les moments, des policierEs chargéEs de surveiller les gardéEs à vue. Toute demande répétée d’eau ou d’accès aux toilettes risque d’être perçue comme un abus par les gardienNEs qui, toujours selon les personnes et les moments, rendent la négociation plus ou moins laborieuse.
Mépris des malades.
Garder à vue des personnes séropositives est visiblement une tâche compliquée pour les policierEs, qui oscillent entre préjugés, crainte et indifférence. Ainsi avons-nous été qualifiéEs d’emblée de « sidaïques » par un policier rapportant à son supérieur. Ou comment les mots de l’extrême droite passent dans le vocabulaire courant.
Une heure plus tôt, une policière chargée des fouilles avait paniqué en découvrant un badge « Personne ne sait que je suis séropositif » sur la veste d’un militant. Elle avait cherché à tout prix à savoir qui était séropo, expliquant que cette information était « très importante » et qu’elle avait besoin de la connaître. Pour assurer un meilleur traitement aux malades ? Il ne faut pas rêver…
Les malades doivent se rendre à l’hôpital pour se faire « prescrire » et administrer les traitements qu’ils ont pourtant sur eux. Ils y sont emmenés menottés et se retrouvent parfois confrontés à des médecins ignorants, méprisants et oublieux de toute déontologie. Ainsi un militant séropositif a-t-il été accueilli à l’Hôtel-Dieu par les mots « Ah ! c’est vous qui portez atteinte aux symboles de la République ! » et un couplet sur les bienfaits de la réforme de l’Assurance maladie. Le même médecin, confondant VIH et sida, lui a demandé « depuis combien de temps il avait le sida », avant de rechigner à lui « prescrire » un traitement dont il ne connaissait ni la composition, ni l’orthographe…
Mais le pire se passe au commissariat, où les policiers « nuiteux » refusent d’administrer à un malade sa prise de deux heures du matin. À nos demandes insistantes, les policiers ne répondent pas, ou répondent qu’ils ne savent pas, qu’on ne leur a transmis aucune consigne, qu’il faudra peut-être attendre le lendemain matin. Ils ne comprennent pas pourquoi nous tenons tant à respecter les horaires, et n’ont jamais entendu le terme « observance ». Ce n’est qu’après une demi-heure de mobilisation collective derrière les barreaux, après avoir réveillé touTEs les autres gardéEs à vue et poussé à bout les deux gardiens, que le malade obtient son traitement.
Le reste du temps, les malades sont contraintEs d’utiliser les toilettes turques, bien qu’ils aient pris soin d’expliquer les problèmes de diarrhées dus aux effets secondaires des traitements. Ils se voient refuser les repas de 500 kcal nécessaires à la prise des médicaments. Ils ne peuvent même pas avoir accès aux compléments alimentaires qu’ils ont laissé dans leurs affaires au dépôt. Ils doivent insister pour chaque verre d’eau accordé.
Transphobie sans gêne.
À la séropophobie manifeste des policierEs s’est ajoutée une transphobie exprimée sans complexe. Une transgenre a, dès le premier contrôle d’identité, été confrontéE à l’incompréhension, à l’ignorance et aux moqueries des policierEs.
Une fois au commissariat, après avoir longuement hésité sur l’attribution de la palpation, les policierEs ont décidé de le faire fouiller par un homme et l’ont harcelé de questions insultantes : « Mais c’est un escargot ou quoi ? », « Alors, vous êtes un homme ou une femme ? vous êtes quoi ? ». Le trans a répondu qu’il était transgenre et qu’il lui était indifférent d’être placé dans le quartier des femmes, conformément au sexe mentionné sur son état civil. Mais les policierEs, par peur de mal faire, ont préféré le placer dans une cellule isolée à un autre étage. « Pour sa sécurité ».
Plusieurs gardéEs à vue ont également été témoins de rires grossiers et de commentaires transphobes, tels que : « Tu sais, l’homme-femme, il avait des tampons dans son sac ! ».
Insultes et pressions.
Le récit aurait pu s’arrêter là. Mais, comme dans toute garde à vue, il y avait aussi les insultes, les pressions, l’homophobie et le sexisme ordinaires.
Les policierEs ne supportaient pas notre refus collectif de reconnaître les faits et notre obstination à « ne rien déclarer ». Leur énervement s’est exprimé par diverses formes de pressions implicites : « Arrêtez de vous foutre de notre gueule ! », « On est encore tombé sur des gens intelligents ce soir… », « Vous avez de la chance : le président de la République cautionne votre impunité ».
Plus grave : nous avons été réveilléEs en pleine nuit pour la prise des empreintes digitales et des photos jointes au casier de police, ce que certainEs d’entre nous, avons refusé. Mais les officiers, agacés par le picketing organisé devant le commissariat deux heures plus tôt, avaient juste oublié de nous informer de nos droits : nous avons découvert le lendemain matin que notre refus pouvait constituer une circonstance aggravante lors du procès.
« L’ordre public, c‘est aussi important que la lutte contre le sida. »
Pour nos geôlierEs, tout cela n’a cependant pas d’importance au regard de notre acte. Nous avons commis une infraction, nous avons dérangé l’ordre des choses, nous avons agi sciemment hors du cadre légal : nous méritons donc notre sort. Le plus grave, pour elles et pour eux, serait que notre délit reste impuni : cela signifierait qu’il y a « deux poids, deux mesures », parce que, ainsi que nous l’a expliqué un officier de police judiciaire, « l’ordre public, c’est aussi important que la lutte contre le sida ».
En vingt-quatre heures de garde à vue, nous ne sommes pas parvenuEs à leur expliquer que c’est justement parce que l’ordre public est important que nous sommes obligéEs de le déranger pour nous faire entendre. Nous n’avons pas réussi à leur faire comprendre que, s’il y a « deux poids, deux mesures », c’est en faveur de Jacques Chirac et contre les millions de malades du Sud non soignéEs, en faveur de l’ordre national et contre les étrangerEs sans-papierEs, en faveur de la République et contre ses malades.