Entre un vibrant appel de Jim Kim au soutien de l’initiative 3×5 par la communauté scientifique et les activistes médicaux de terrain, la conférence sur les rétrovirus (CROI) deviendrait-elle une tribune pour dénoncer les attentismes et les résistances à l’accès aux traitements dans les pays du sud ?
La douzième conférence sur les rétrovirus et les maladies opportunistes a démarré doucement puis s’est envolé comme une tornade. Cette conférence, dont le titre ne comporte même pas le mot sida parce que ses initiateurs la voulaient comme un lieu à l’abri des remous créés par les activistes du monde entier dans les grandes conférences sur le sida, se transforme d’année en année. « Scaling up HIV care in the developing world », c’est le titre de la conférence qui précède la session officielle d’ouverture et qui a marqué le premier temps fort de cette journée.
Ce premier symposium a abordé successivement tous les éléments nécessaires au développement de l’accès aux traitements dans les pays du sud. Wafaa el-Sadr a rappelé le nombre ridicule de personnes sous traitement dans ces pays comparé à la part des contaminations qu’ils représentent dans le monde. Elle a ensuite rappelé les divers programmes d’accès aux traitements, des initiatives pour prévenir la transmission verticale — c’est-à-dire de la mère à l’enfant — aux programmes plus ambitieux récemment initiés qui prennent en charge véritablement les personnes atteintes et leur fournissent un suivi complet. L’intérêt majeur de ces différentes initiatives est d’être élaborées en fonction des besoins de la population et non pas en fonction de modèles imposés. Wafaa el-Sadr a conclu sur le besoin de diversification tant des initiatives que des services offerts en faisant remarquer combien la mosaïque complexe qui s’est construite avec ces nombreux programmes de développement est plus utile que le ne serait un système unique. Il reste d’ailleurs encore de nombreux travaux à entreprendre pour compléter les initiatives existantes. Il s’agit de faire preuve d’originalité.
Jonathan Mermin, à son tour, a évoqué les particularités culturelles de l’Afrique et l’inadéquation de méthodes qui n’appartiennent qu’aux pays occidentaux. Ainsi, il explique que la disparition des systèmes de santé ont emporté avec eux les mesures d’hygiène les plus élémentaires : la mise à disposition d’eau potable pour les personnes atteintes contribue autant que la prophylaxie contre les maladies opportunistes à la diminution de la mortalité. Ensuite, il affirme qu’une approche individuelle des malades doit être remplacée par des systèmes de soins qui intègrent le rôle important de la famille.
Un autre chercheur, Desmond J. Martin, s’est intéressé à la question de l’accès aux tests biologiques de suivi. Le résultat d’études montre l’intérêt de mesures de charge virale à six mois après le début d’un traitement, car seuls ces examens montrent le succès virologique des traitements prescrits. Après avoir développé les possibilités techniques de l’accès à ces suivis dans des pays où les laboratoires biologiques sont pratiquement inexistants, il a montré les solutions d’organisation économique les plus intéressantes. Le développement des unités de proximité est selon lui une solution viable et efficace pour la santé des personnes suivies.
Julian Fleet a, quant à lui, expliqué que la distribution des médicaments utiles aux séropositifs dans les pays pauvres est liée à la question des brevets et donc des règles imposées par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Après un rappel de ces réglementations, il a précisé que les accords régionaux ou bilatéraux viennent perturber les rares possibilités offertes par une législation mondiale particulièrement contraignante.
Le co-président de séance, Eric Goemaere de Médecins sans frontières a conclu cette session en rappelant que les problèmes financements internationaux n’avaient pas de raison d’être après la catastrophe du tsunami en Asie. Cet événement a montré que les pays occidentaux pouvaient mobiliser des moyens colossaux quand la volonté d’agir est au rendez-vous. Il a aussi adressé un appel à la communauté scientifique afin qu’elle s’intéresse davantage aux questions spécifiques aux pays du sud.
La session d’ouverture officielle de la conférence a marqué le second temps fort de la journée. Présidée par David Ho, un chercheur américain, cette session à l’organisation rituelle nous a permis d’entendre successivement Michael H. Malim pour la traditionnelle « Bernard Field Memorial Lecture » qui consiste à présenter un «état de l’art» sur une question associant recherche fondamentale et application clinique. Cette année le sujet est également d’actualité : le mécanisme antiviral naturel constitué par les protéines APOBEC 3 G. Nous avons appris que ce mécanisme, tout comme son effet antagoniste la protéine virale VIF (viral intectivity factor) est désormais bien analysé. Ainsi, les chercheurs savent maintenant que la protéine virale VIF est capable de réduire à néant l’action de nos protéines naturelles chargées de lutte contre les invasions de rétrovirus. Cette présentation a donné à tous les participants une rapide introduction à une des sessions organisée demain et qui permettra d’approfondir un sujet très important car il constitue probablement une future piste thérapeutique contre le VIH ou d’autres maladies virales.
Jim Kim de l’OMS est venu clore cette journée et est venu défendre à nouveau l’initiative 3×5. Après avoir rappelé combien ce programme avait été critiqué avant sa mise en place, il a mis en évidence les raisons pour lesquelles cette initiative méritait d’être lancée. Dans sa présentation, il n’a pas oublié de montrer combien les programmes de remboursement de dettes imposés aux pays par la Banque mondiale ont réduit à néant les systèmes de santé existants. Il n’a pas oublié non plus de critiquer le manque de personnel médical et les difficultés d’assurer une distribution des médicaments. Après ce bilan des réussites et des échecs de l’initiative 3×5, il conclura par un appel aux chercheurs rassemblés à Boston et dont l’influence est suffisante grande pour soutenir trois projets de l’OMS que Jim Kim juge prioritaires :
– l’initiative 3×5 visant à traiter trois millions de personnes en 2005;
– la nouvelle initiative dite « approche de santé publique » qui permettrait de sauver de nouvelles vies ;
– et enfin, l’engagement des scientifiques dans un travail de recherche pour l’accès aux traitements pour les personnes pauvres.
C’est sur cet appel que la douzième conférence sur les rétrovirus est les maladies opportunistes s’est ouverte. Une manière singulière dans une conférence d’habitude si sage et si studieuse de faire comprendre aux chercheurs réunis à Boston que leur rôle est aussi politique.