La neige a cessé de tomber sur Boston. C’est sous un ciel bleu et ensoleillé que nous sommes allés nous enfermer dans les salles de conférences non sans un certain enthousiasme tant le programme de cette 12e CROi, même s’il n’apporte pas de révolution, est riche et attirant.
L’habituelle plénière du matin proposait deux sujets aussi éloignés l’un de l’autre qu’il est possible. Stephen C. Harisson n’a eu qu’à traverser un pont pour venir de son université de Harvard nous parler de pathogenèse. Le sujet de sa présentation : les changements de conformation de la glycoprotéine d’enveloppe du virus. Il s’agissait d’un exposé de sciences fondamentales permettant de se faire une idée de l’avancement des recherches sur la compréhension des mécanismes d’entrée du virus dans les cellules cibles. Cela permettait aussi de comprendre quelles pouvaient être les futures pistes à creuser pour de futurs traitements. Mais il servait également d’excellente introduction à l’une des sessions de la matinée qui devait suivre.
Le deuxième thème de cette plénière du matin était plus sournois. James MacIntyre (Johanesbourg) venait nous exposer la controverse sur l’usage de la névirapine dans la prévention de la transmission mère enfant. Après un préalable historique retraçant les recherches ayant abouti à l’utilisation de ce médicament, il pose la controverse : l’usage de la névirapine pour prévenir la contamination mère enfant est considéré par certains comme un traitement suboptimal. Pourtant le président des Etats-Unis a pris l’engagement dans le plan de lutte contre le sida de promouvoir autant que possible cette technique dans les pays pauvres. Cette controverse apparaît dès lors comme une question éminemment politique. Pourtant le chercheur saura s’allier l’assentiment de ses pairs en contournant l’obstacle par une démonstration scientifique sans faille. Présentant d’abord les résultats qui démontrent sans conteste l’intérêt de la technique, il enchaîne ensuite sur les études récentes ayant mis en évidence l’apparition de résistances tant chez les mères ainsi traitées que chez les enfants contaminés malgré le processus. Il soulève alors la question du risque de transmission de virus résistants aux partenaires des mères ainsi que le risque de complications lors d’une grossesse suivante. Les solutions à ce problème font partie de sa conclusion : l’association d’autres antiviraux au traitement par la névirapine permet de réduire le risque d’apparition de résistances. Il convient donc de recommander l’usage de multithérapies suffisamment actives. Une habile manière de faire de la politique dans une conférence pourtant habituellement si sage.
Depuis maintenant quelques années la conférence américaine essaie de consacrer du temps à l’observation de ce qui se passe dans les pays en développement sur le plan des traitement et du suivi. Une session de présentations orales sur ce sujet a permis de comprendre qu’il faut parfois laisser nos présupposés de côté. Tout dans cette session démontrait que ce qui a été étudié et démontré dans les pays occidentaux est à refaire dans les pays en développement, aussi bien dans le domaine de la prévention que sur les traitements ou les procédures de suivi tant l’influence des conditions du terrain modifient les conclusions les plus étayées. Parmi les nombreuses études abordées dans cette session on a noté particulièrement quelques résultats. Ainsi, une étude ougandaise posait la question de la meilleure manière de proposer un test de dépistage. Elle conclue que la proposition systématique faite aux personnes qui consultent à l’hôpital accompagnée d’un conseil approprié donne de bien meilleurs résultats que la proposition routinière. Non seulement les personnes acceptent facilement mais surtout, 100% reviennent plus tard chercher le résultat de leur test contre les trois quart seulement dans le contexte de consultation habituel. Un chercheur de Bordeaux, François Dabis propose les résultats d’une compilation de données venant de quatre continents et montre que les résultats immuno-virologiques des traitements antirétroviraux actifs sont les mêmes au nord comme au sud. Cependant la mortalité est plus élevée dans les pays pauvres principalement parce que la prise en charge plus tardive laisse apparaître plus souvent des maladies opportunistes et que, d’un manière générale l’état sanitaire des personnes est moins bon. Enfin, une étude réalisée au Botswana compare la réussite immunologique des traitements en fonction de la prise en charge sociale des personnes. Sans surprise, ceux qui bénéficient d’une assurance médicale ont une meilleure remontée des lymphocytes CD4 que les autres.
La session de présentations orales consacrée aux complications induites par les traitements antiviraux est comme toujours assez déprimante tant les résultats sont peu encourageants. Mais, une fois n’est pas coutume, un résultats dénote tout de même. L’étude de l’usage du Maxepa, un médicament à base d’huile de poisson, pour tenter de réduire les taux élevés de triglycérides donne des résultats inhabituels : -25% de réduction contre +1% dans le bras non traité au bout de 8 semaines. Voilà qui contraste singulièrement avec les études d’autres produits. Ce résultat est tout de même à noter quand on sait que la sécurité sociale avait décidé le déremboursement de ce produit pour insuffisance de service rendu. Le présentateur de l’essai a aussi tenu à remercier le groupe TRT5 ainsi que les associations Action traitements et Activ santé pour leur collaboration à cette recherche.
La session d’épidémiologie de l’après midi a aussi apporté son lot de polémiques. Elle a commencé par une présentation de l’Onusida destinée à expliquer l’inexplicable. En effet, comment est on passé de 42 millions de personnes atteintes dans le monde en 2003 à 38 millions l’an dernier alors que les nouvelles contaminations ne cessent d’augmenter ? C’est simple, comme on ne compte pas les séropositifs, il faut faire de savants calculs d’évaluation. L’OMS venant de réviser ses méthodes et y introduire plus de rigueur, le résultat des évaluations n’est pas le même. Une autre présentation de cette session s’est intéressé à évaluer l’usage des tests rapides de dépistage dans les pays du sud. Il est clair que ces tests donnent éventuellement quelques résultats faux positifs. Mais si l’on tient compte de ce que beaucoup de personnes sont perdues de vue parce qu’elles ne viennent jamais chercher leur résultat, la méthode se révèle globalement plus fiable que les tests traditionnels. Autre région, autre problème : décrire la situation de l’ancienne union soviétique donne l’impression d’un cauchemar. Les trois quart des séropositifs sont des usagers de drogues et le système en place est surtout répressif et ignore tout de la politique de réduction des risques. Au contraire, les rares ONG qui tentent des programmes d’échange de seringues ne sont pas aidées quand elles ne subissent pas des pressions. Cela aboutit à des chiffres alarmants. La prévalence en Ukraine atteint 1%. Mais au-delà de l’exposé de la situation, cette présentation est aussi un cri d’alarme et un appel aux chercheurs pour qu’ils s’emparent des questions liées à l’usage de drogue. Cette session devait se terminer par un sujet d’actualité : l’étude de l’interaction entre l’utilisation de substances psychoactives et la prise de risque dans les relations sexuelles des gays américains. Il s’agissait là de discuter de l’augmentation du risque provoquée par l’usage de substances tel le crystal et d’autres produits comme les poppers ou l’alcool consommés dans le contexte de relations sexuelles. L’orateur insiste sur la très forte prévalence de ces usages et sur la désinhibition qu’ils provoquent conduisant à des comportements à risque très augmenté. Seule ombre au tableau de cette présentation, la conclusion qui ne préconise rien d’autre que l’impérieux besoin de cesser ces pratiques. La chute fut un peu brutale.
Mais l’actualité rattrape la conférence qui a décidé de rajouter une session consacrée à la présentation du cas tant médiatisé récemment du malade new-yorkais contaminé par un virus super résistant. Cette présentation que nous suivrons avec le plus grand intérêt aura lieu demain soir.
Enfin, pour clore la journée, le célèbre directeur du NIAID, l’institut américain en charge des maladies infectieuses est venu présenter à ses compatriotes le budget que l’Etat américain avait l’intention de lui consacrer. La tâche n’était pas aisée. Après de nombreuses années d’augmentations soutenues, il est difficile d’accepter une certaine stagnation. Jusque là cela semblait supportable. Mais le pire fut pour Antony Fauci d’expliquer que l’arbitrage présidentiel exigeait un budget en forte augmentation pour la recherche vaccinale. Cela réduit du même coup les sommes allouées aux autres domaines. Ne voulant sacrifier la recherche fondamentale, il ne reste plus qu’à réduire la recherche clinique. Un exercice difficile à tenir devant un auditoire qui s’est révélé peu enthousiaste à en juger à l’applaudimètre.