Mercredi, à la CROI, deux autres sessions ont retenu notre attention. La première faisait suite à la communication en plénière du matin, la seconde, en phase avec l’actualité, était consacrée aux inhibiteurs d’entrée du virus.
Recherche fondamentale : la recherche de cibles potentielles
La session consacrée aux interactions entre virus et protéines cellulaires n’est pas à proprement parler le genre de sujets très proche des préoccupations immédiates des malades. Cependant, c’est dans ces sessions de recherche fondamentale que l’on découvre les médicaments de demain. Ainsi, le premier orateur, en écho à la session plénière, a repris la description de la glycoprotéine d’enveloppe GP120, cette grosse molécule qui forme la partie la plus visible des sortes de champignons recouvrant la surface du virus. Il s’agit de tout nouveaux résultats d’un long travail destiné à étudier ce qui se passe lorsque ces molécules interagissent avec les récepteurs CD4 et les corécepteurs CCR5. L’analyse de ce moment crucial est essentielle pour découvrir des cibles d’attaque possibles pour de futurs traitements. C’est déjà l’objectif de cette équipe de Boston qui propose en plus de ses modèles de structure de ces protéines, une molécule capable de bloquer le processus d’entrée appelé pour l’instant BMS 378.806.
Dans la même session, de nombreuses études viennent compléter les connaissances sur le mécanisme maintenant bien compris des protéines cellulaires APOBEC3G et 3F. Elles constituent avec les autres membres de la famille des « Apolipoproteine B mRNA Editing Complex », un extraordinaire mécanisme de défenses antivirales naturelles. De quoi s’agit-il ? Cette découverte, présentée il y a deux ans, consiste en une famille de protéines produites par nos cellules qui sont capables d’agir contre l’infection par les rétrovirus en perturbant le message ARN viral avant qu’il ne soit copié dans le patrimoine génétique de la cellule. Une fois que ce message est faussé, il est incapable de reproduire de nouveaux virus. Mais ce mécanisme a été découvert par une équipe qui cherchait à comprendre à quoi s’occupait une protéine du VIH appelée VIF (viral infectivity factor). Pas de chance, son rôle est précisément de contrecarrer le fonctionnement de APOBEC3G. Au moment de cette communication les chercheurs ne savaient pas encore par quel mécanisme VIF arrivait à déjouer le piège cellulaire. Aujourd’hui, c’est chose faite. Plusieurs communications présentées dans cette session proposent une analyse fine des mécanismes mis en jeu par VIF pour éliminer les protéines APOBEC3G. En fait, le composant du virus détourne les éléments que la cellule emploie pour faire son ménage afin de provoquer l’élimination de ses ennemis avant qu’ils ne puissent agir. Grâce à cette analyse, les chercheurs ont mis en évidence l’existence d’un site de VIF utilisable comme cible pour un médicament qui bloquerait son fonctionnement. Il reste tout de même à patienter encore un peu pour voir apparaître des candidats de traitements qui exploiteront cette voie, des inhibiteurs de VIF, en somme.
Le point sur les inhibiteurs d’entrée
Un des symposiums de l’après-midi était consacré aux inhibiteurs de corécepteurs. Il nous a permis de faire le point sur ces futurs médicaments dont les essais de phase II sont en train de se mettre en place. La première présentation de ce symposium était une synthèse des données d’études pré-cliniques des produits testés. Dans sa présentation, Donald E. Mosier a rappelé que le récepteur CCR5 est utilisé conjointement au récepteur CD4 des cellules par le VIH pour pénétrer la membrane cellulaire. Il se lie pour cela à la protéine d’enveloppe GP120. Avec le temps, les virus évoluent par des mutations vers un autre mode d’entrée utilisant le récepteur CXCR4. Il faut 3 à 5 mutations du génome viral pour qu’un virus initialement R5 (utilisant le corécepteur CCR5) devienne R5X4 (pouvant utiliser aussi bien CCR5 que CXCR4). Sept mutations sont nécessaires pour arriver à un virus exclusivement X4. Diverses études ont montré qu’il n’existe qu’une voie de mutations. Cette possibilité de changement constitue actuellement le principal souci dans l’utilisation des futurs anti-CCR5.
La présentation suivante a fait le point sur les produits actuellement à l’étude. Parmi les anti CCR5 on a le SCH417690, la molécule de Shering Plough, qui entre en essai de phase II sur la base d’un résultat d’étude dans laquelle le produit était utilisé en monothérapie pendant 10 jours. Ainsi administré, on obtient une réduction de charge virale de -1,4 log sans effets secondaires majeurs. Le laboratoire Pfizer propose, lui, le UK427690. Dans les mêmes conditions d’étude de 10 jours, il est arrivé à -1,5 log, une valeur comparable au produit précédent tandis que le 873.140, la molécule de GSK arrive à -1.7 log. Ces trois produits présentent en gros le même profil et sont au même stade de développement. Un autre produit, dénommé AMD3100 est un inhibiteur de CXCR4. Ce produit est moins avancé dans l’étude clinique. Les questions qui se posent sur ces produits sont nombreuses. Les anti-CCR5, de par leur principe, ont une utilité qui dépend plus de l’état d’avancement dans la maladie que de l’expérience que les patients ont des traitements. Mais tant pour ces produits que pour les anti-CXCR4 la question se pose de leur utilisation à long terme dans la mesure où ils ciblent des mécanismes cellulaires et non des protéines du virus.
En troisième partie de cette session, Craig W. Hendrix de Baltimore proposait quelques éléments de pharmacologie à propos des mêmes produits. Puis Chris J. Petropoulos a clos la session par une question importante lorsqu’il s’agit d’une nouvelle classe de médicaments : la question des résistances. La synthèse des travaux préliminaires des différents produits révèle que les anti-CCR5 ne présentent pas seulement le risque de faire basculer le virus vers un type X4, ils peuvent aussi provoquer des mutations de la protéine GP120 du virus qui suffisent à rendre le produit inactif. C’est le cas pour le composant de Shering pour lequel deux mutations de la GP120 le rendre totalement inefficace. Le composant de Pfizer semble poser moins de problèmes de ce genre puisque trois mutations réduisent son efficacité à 75%. Pour ce qui est du risque de basculement du virus du tropisme R5 vers X4, il existe au moins un cas connu dans l’essai de monothérapie préliminaire de GSK. En effet, un participant à l’essai a vu son virus devenir mixte R5/X4 au bout des 10 jours puis il est redevenu R5 au bout de 24 jours. Compte tenu du tout petit nombre de personnes de l’essai, ce cas unique ne permet pas de conclure mais il y a de quoi soulever pour le moins une inquiétude quant à l’avenir de cette technique.