Les changements notables observés dans les atteintes neurologiques dues au VIH après l’introduction des multithérapies résultent avant tout de la diminution des infections opportunistes affectant le SNC.
Mais alors que la durée de vie des personnes contaminées s’allonge, de nouveaux facteurs délétères pour les neurones, mais aussi capables de changer le profil des atteintes neurologiques, ont fait leur apparition. Les multithérapies ne sont pas étrangères à ces changements. Certes, elles diminuent la charge virale, mais les antirétroviraux facilitent l’interaction de quelques cellules infectées, particules virales et facteurs inflammatoires, avec les cellules de la barrière hémato-encéphalique (BHE) et du cerveau. Ces traitements pourraient interférer et altérer le fonctionnement normal du SNC. Ces mêmes antirétroviraux peuvent aussi interagir directement avec les macrophages du cerveau et les neurones. Plus généralement, cet effet délétère peut résulter, entre autres, de la toxicité des antirétroviraux ou de facteurs inflammatoires produits en réponse à l’hyperlipidémie et l’hypersensibilité liées aux multithérapies.
Citons le cas d’une personne ayant été victime d’une leucoencéphalopathie secondaire à l’indinavir (Crixivan®). Cette leucoencéphalopathie était sans doute due à une souche virale résistante et le nelfinavir (Viracept®) a vraisemblablement permis l’élimination de ce virus et l’amélioration de l’état du malade. De tels effets secondaires obligent à un changement de traitement avec une possible émergence de souches virales résistantes. Or, ces nouvelles souches virales ont une aptitude accrue à envahir le SNC. C’est bien connu, les antirétroviraux peuvent provoquer des mutations chez le virus, à l’origine de l’apparition de souches virales résistantes volontiers «stockées» dans le cerveau. Autrement dit, les antirétroviraux sont responsables de l’apparition de souches virales dont la neurovirulence est plus importante !
Inégalité des ARV devant la BHE
Alors que l’entrée du VIH-1 dans le cerveau implique l’altération de la BHE, à ce jour on ne connaît pas l’impact des antirétroviraux sur cette barrière. Cependant, il est clair que certains traitements interagissent directement avec des éléments de cette barrière. Ainsi les inhibiteurs de la protéase (IP) sont refoulés du cerveau vers la circulation sanguine par la P-glycoprotéine [[Un transporteur localisé sur la surface des cellules constituant la BHE.]]. En revanche, des études in vitro semblent indiquer un accès au cerveau plus facile pour d’autres antirétroviraux. Ainsi la névirapine (Viramune®) serait le médicament pénétrant le plus facilement dans le cerveau ; viendraient ensuite la didanosine, la stavudine, la zalcitabine, la zidovudine, l’indinavir et le saquinavir (Invirase®, Fortase®). Suite à cette accumulation, un faible taux de pénétration des antirétroviraux conduit également à considérer le SNC comme un réservoir pour le VIH. Par ailleurs, le passage des antirétroviraux de la circulation sanguine générale vers le cerveau, limité par la présence de BHE, pourrait bien être en partie responsable de l’augmentation d’encéphalite à VIH observée lors des autopsies. C’est dire si le maintien de l’intégrité de la BHE et le contrôle de l’infection à VIH du cerveau sont fondamentaux.
ARV, acidose lactique et neurones
L’acidose lactique, trouble métabolique majeur, a pour origine une dysfonction mitochondriale. Elle s’observe parfois chez les personnes traitées par une multithérapie contenant un INTI. Or, l’action de la zidovudine sur les mitochondries semble avoir une implication dans la démence associée au VIH. De même, la toxicité mitochondriale de certains INTI peut toucher des lignées de cellules neuronales avec la survenue de neuropathies périphériques observées sous zalcitabine, stavudine et didanosine. Enfin, comme les analogues nucléosidiques semblent affecter la communication chez différents types de cellules, notamment les neurones et les macrophages du cerveau, il est aussi possible que des changements au niveau mitochondrial altèrent les cellules endothéliales cérébrales.
Hyperlipidémies – dyslipidémies
L’incidence accrue des hyperlipidémies et dyslipidémies associées aux multithérapies pointent les maladies neurovasculaires comme un risque potentiel supplémentaire chez les personnes vivant avec le VIH. De fait, les changements métaboliques et vasculaires liés à la prise d’IP prédisposent les personnes traitées par ce type de traitement à l’athérosclérose (dépôt de graisse dans les vaisseaux sanguins). De plus, les IP sont associés à des changements affectant les lipoprotéines athérogènes (molécules impliquées dans le dépôt de cholestérol sur la paroi des artères ; et à des dysfonctions des cellules endothéliales. Comme ces changements impliquent probablement des radicaux libres, les IP pourraient modifier la communication au niveau des cellules endothéliales constitutives des micro-vaisseaux sanguins et de la barrière hémato-encéphalique. Par conséquent, les changements en termes de stress oxydatif et de métabolisme lipidique liés aux multithérapies participent probablement à une altération neuronale.
Nous vieillirons ensemble
Les changements observés dans les atteintes neurodégénératives après l’apparition des multithérapies sont en partie liés à l’allongement de la durée de vie des personnes vivant avec le VIH. Ainsi, aujourd’hui, les plus de 50 ans représentent plus de 10 % de la population des personnes atteintes, et ce pourcentage devrait continuer de croître. Cependant, l’allongement de la vie peut aussi favoriser l’exposition à différentes souches virales avec, à la clef, un risque de résistance aux antirétroviraux. De plus, les personnes plus âgées pourraient, sous l’effet cumulé de la baisse des défenses immunitaires dûe à l’âge, être « plus à risque » de développer une démence associée au VIH, mais aussi plus sensibles aux conditions neuro-spécifiques favorables à une LEMP, une attaque cérébrale ou un lymphome du SNC. Enfin, alors qu’en réponse à une multithérapie, l’effondrement de la charge virale s’accompagne normalement d’une remontée du taux des CD4, pour les personnes plus âgées, cette remontée pourrait ne pas se faire et occasionner d’autres profils neurodégénératifs caractéristiques d’un faible décompte des CD4.
A retenir
Les multithérapies annulent de façon incomplète la réplication du VIH dans le SNC et peuvent altérer la signalisation endothéliale au niveau du cerveau. Ensemble, ces phénomènes modifient le profil des neurodégénérescences associées au VIH. On est ainsi passé d’une atteinte tout azimut de certaines populations de neurones, à des altérations plus subtiles d’autres familles de ces cellules nerveuses. Par ailleurs, en introduisant une pression de sélection, les antirétroviraux peuvent provoquer l’apparition de souches virales dont certaines se montrent plus agressives à l’égard du cerveau que les souches initiales.