Militante de longue date dans la lutte contre le sida, séropositive depuis la fin des années 80, chroniqueuse pour Remaides la revue d’information thérapeutique de Aides, proche d’Act Up-Paris, Christine Weinberger est morte au mois de septembre 2004. Elle avait fait deux crises d’encéphalite en lien avec l’infection à VIH durant les trois dernières années de sa vie.
Nous publions ici, le témoignage de son compagnon Patrice Miot [[ Patrice est membre de la commission Droits Sociaux* d’Act Up depuis 1998. Il assure le suivi des dossiers des personnes qui viennent consulter la permanence Droits Sociaux pour un problème d’accès au logement. ]] qui a vécu avec elle ces crises et qui l’a soutenue au cours des derniers mois de vie.
Christine a fait une première encéphalite au printemps 2001. Au bout de six mois de suivi environ, son état s’est d’abord stabilisé puis par la suite amélioré, mais après cette première attaque ce n’était plus la même personne, elle n’a jamais retrouvé toutes ses facultés mentales et physiques.
Cette première crise a commencé de manière banale et très progressive, sans que ni elle ni moi ne nous en soyons aperçus, du moins au début. Le seul symptôme dont je me souvienne, ce sont des absences passagères de mémoire. Christine me demandait parfois « Quel jour sommes-nous aujourd’hui ?». Dans ces moments-là, elle n’arrivait plus à se rappeler de ce qu’elle avait prévu de faire dans la journée, il y avait comme des trous dans son emploi du temps. Ces symptômes sont allés en s’aggravant, peu à peu, mais finalement assez rapidement. Un jour, alors que j’étais dans son appartement à Paris, je vois Christine mettre son maillot de bain dans son sac « pour partir à la plage » disait-elle. Je n’ai pas réagi immédiatement, mais je l’ai rattrapée dans les escaliers afin de la ramener chez elle. Une fois assise dans son canapé, elle m’a pris à partie en m’accusant de vouloir la séquestrer, elle voulait appeler les flics. Dix minutes environ après cet événement, elle est peu à peu «revenue à la réalité», c’était un peu comme si un voile se déchirait. Quand plus tard je lui ai raconté ce qu’elle voulait faire, elle n’en revenait pas, elle n’en avait gardé aucun souvenir. Pour moi, cet épisode comme ceux qui ont suivi (je peux vous raconter des dizaines d’anecdotes comme celle-ci), ont été les moments les plus pénibles de ma vie jusqu’à ce jour.
À cette époque, Christine avait une charge virale indétectable depuis plusieurs années et des CD4 supérieurs à 400 copies, et son état immuno-virologique n’a pas bougé jusqu’à sa mort. Nous sommes allés voir la médecin qui la suivait depuis longtemps pour le VIH. Elle est également mon infectiologue), mais elle ne savait vraiment pas quoi en penser. Elle ne nous a pas proposé, comme je me l’étais imaginé avant d’aller la voir, une hospitalisation immédiate, du moins pas avant que les symptômes ne s’aggravent.
En plein mois d’août, alors que notre médecin était en vacances, Christine allait de moins en moins bien, elle perdait complètement les pédales. J’ai pris la décision de l’amener à l’hôpital de jour de Saint-Louis, car c’est dans cette structure de soins que notre médecin avait à l’époque une consultation hospitalière. Après une discussion ardue et pénible, durant laquelle j’ai dû faire à plusieurs reprises état de mon appartenance à Act Up en gueulant pour me faire entendre, le médecin a accepté d’hospitaliser Christine. Toutefois comme il n’y avait pas immédiatement de place disponible dans le service à cause des fermetures de lits, il m’a proposé comme solution intermédiaire, en attendant, de faire «la garde-malade à domicile». J’ai catégoriquement refusé cette proposition en précisant aussi qu’il était hors de question que Christine passe une seule nuit aux urgences. Ils ont fini par trouver une solution, et Christine est restée hospitalisée pendant trois mois jusque fin octobre. Peu après son hospitalisation, elle est tombée dans un coma qui s’est poursuivi durant tout le mois de septembre. À ce moment son pronostic vital était très incertain. Pendant tout ce temps, malgré un grand nombre d’examens, l’agent pathogène responsable de cette attaque du cerveau est resté inconnu. Personne n’a compris comment Christine en était arrivée à cet état.
À sa sortie du coma, Christine avait de sérieuses séquelles : elle avait du mal à parler et elle ne savait plus comment marcher. Son état ne lui permettait pas de rentrer directement chez elle. C’est alors qu’a commencé une autre galère : trouver une place dans une maison de rééducation. J’ai fini par obtenir, seul, sans l’aide de Saint-Louis, un lit dans le service du professeur Gasnaut à l’hôpital de Bicêtre. Ce service est spécialisé dans la prise en charge des encéphalites, depuis l’état de crise jusqu’à la rééducation des fonctions cognitives, rendue nécessaire par les séquelles neurologiques qui suivent le plus souvent la phase aiguë des attaques. Christine a récupéré très lentement après de nombreuses séances de kiné. A sa sortie en janvier 2002, elle avait toujours des pertes de mémoire et des difficultés à marcher. D’ailleurs, après cet épisode, elle n’a plus jamais marché comme avant et sa mémoire est toujours restée défaillante par moment. Par exemple, certains jours, alors que c’était son outil de travail, elle ne savait plus comment faire pour envoyer des e-mails. Dans le cas des encéphalites, on est à la limite des connaissances et du savoir faire de la médecine. Tant que les médicaments qui contrôlent la réplication du VIH n’atteindront pas le cerveau, on ne pourra que subir les atteintes cérébrales, constater les dégradations et essayer de gérer au mieux la situation. Ce qui est difficile, non seulement pour le malade, mais aussi pour l’entourage.
Début 2003, je suis allé voir un psychiatre afin d’apprendre à faire face à cette situation, notamment vis-à-vis des pertes de mémoire de Christine, mais cela ne m’a pas beaucoup aidé. Ensuite nous avons géré les problèmes et repris le cours de la vie. À partir du mois d’avril 2004, j’ai recommencé à beaucoup m’inquiéter. Je trouvais que Christine n’allait vraiment pas bien. Nous sommes partis nous reposer en Bretagne, mais cela n’a pas arrangé les choses, elle n’est pas revenue comme je l’aurais souhaité. À notre retour de vacances, Christine est allée consulter notre médecin VIH, mais celle-ci n’avait pas de solution à proposer. Fin mai, j’ai constaté que nous nous trouvions dans la même situation qu’en 2001 : quand on a vécu les choses une fois, on les sent revenir. Christine est allée voir le professeur Molina pour avoir un deuxième avis, c’est le chef du service dans lequel elle avait été hospitalisée en 2002 à Saint Louis. Après examens, il lui a proposé une hospitalisation parce qu’elle était complètement déshydratée. Elle est restée 3 jours, après quoi elle a complètement « pété les plombs ». À quoi bon passer trois jours dans un hôpital, sans réelle solution de prise en charge à la clef.
La dernière crise, celle dont elle ne s’est pas remise, a débuté 3 ou 4 jours après son retour chez elle. Je m’étais absenté 2 heures pour aller récupérer des affaires chez moi, ce qui m’arrivait assez rarement à ce moment-là. J’ai essayé de l’appeler une fois pendant mon absence, mais elle ne répondait pas. Compte tenu de son état, elle ne pouvait pas être sortie. Quand je suis rentré, je l’ai retrouvé à terre, elle était tombée et ne pouvait pas se relever.
D’emblée, l’hospitalisation dans le service du professeur Molina s’est mal passée. Christine s’est presque immédiatement cassé le bassin en tombant de son lit, parce qu’ils avaient oublié de mettre les barrières de sécurité. Elle a alors été dirigée vers un service d’orthopédie pour y subir une opération avec une anesthésie générale afin de réduire la fracture. Début juillet, elle est retournée dans le service des maladies infectieuses à Saint-Louis. Les médecins souhaitaient à tout prix prendre en charge la rééducation fonctionnelle de Christine, mais je n’avais pas confiance en eux. Ils n’avaient pas, de mon point de vue, les compétences pour cela. Je pensais attendre qu’elle soit en état pour la faire transférer dans un centre de rééducation. Mi-juillet, elle allait mieux et recommençait à marcher un peu, elle arrivait à lire et à manger par elle-même. Début août, elle a pu rentrer chez elle deux dimanches de suite. Nous avons retrouvé un peu espoir. Les médecins du service ont alors modifié son traitement en y incluant notamment du T20 en espérant que cette molécule passe dans le cerveau pour y contenir la réplication du VIH. Christine était enfin en état pour séjourner dans une maison de rééducation, mais comme deux ans auparavant, nous étions en plein été : beaucoup de lits étaient fermés et nous n’avons pas trouvé de place. Début septembre, Christine est à nouveau tombée, se cognant la tête alors qu’elle essayait de se tenir debout. Le scanner qui a suivi la chute n’a montré aucune séquelle, mais Christine a très rapidement cessé de manger, elle tenait des propos incohérents. Le 5 septembre, elle est tombée dans le coma pour ne plus se réveiller. Elle est morte le 21 septembre 2004.
Je suis persuadé que si Christine, qui allait mieux, avait trouvé une place dans une maison de rééducation dans laquelle le personnel est formé pour prendre en charge les problèmes de mobilité après une fracture, elle ne serait pas retombée en septembre et qui sait…