Jeudi troisième jour de la conférence, le programme est particulièrement chargé : lipodystrophies, transmission de virus et surcontamination, résistances et nouvelles cibles virales ne sont qu’une partie des sujets traités.
Lipodystrophies, au Sud comme au Nord ?
Peter Reiss de l’Université d’Amsterdam a fait le point des connaissances sur les lipodystrophies. Il a rappelé dans sa présentation que cette complication de l’infection est essentiellement due à l’usage à long terme des traitements et principalement des nucléosides ainsi que des inhibiteurs de protéase. Modifiés par les prédispositions génétiques ou par une éventuelle coinfection avec un virus hépatique, les troubles qui résultent de la prise des antirétroviraux provoquent divers symptômes mesurables par des analyses sanguines (élévation des triglycérides, du cholestérol avec augmentation du LDL-cholestérol) mais aussi une fonte de la masse grasse ou un redistribution des graisses associée à un phénomène d’insulino-résistance.
La principale conséquence de ces troubles est l’augmentation sérieuse du risque cardiovasculaire et de l’athérosclérose, risque encore renforcé par la présence du VIH lui-même qui stimule une inflammation des tissus. Tout en expliquant les mécanismes qui conduisent les médicaments à induire ces troubles, il rappelle que les lipoatrophies sont favorisées par l’âge, le fait d’être une femme, d’être blanc, d’avoir eu un faible niveau de CD4 dans son histoire et d’être co-infecté par le VHC. Si les inhibiteurs de protéases ne sont pas clairement incriminés ici, les inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI), principalement la stavudine et les autres analogues de la thymidine sont en cause. L’autre phénomène, l’accumulation de graisses, est quant à lui plutôt causé par l’exposition aux inhibiteurs de protéases. Il est accentué par l’âge, le fait d’être une femme et d’avoir un niveau élevé de triglycérides.
Parmi les questions qui restent depuis longtemps dans le flou il y avait celle de la redistribution anormale des graisses responsable des gros ventres, des bosses de bison et autres modifications disgrâcieuses bien connues. Les travaux récents permettent de mieux expliquer ce problème même si tout n’est pas encore clair. Il s’agirait de fonctions cervicales contrôlant les équilibres énergétiques au sein de l’hypothalamus qui pourraient permettre de comprendre le problème. Mais il reste là encore beaucoup de travail de recherche à accomplir avant que cette question soit totalement éclaircie.
La question suivante concerne bien évidemment les solutions utiles pour contrecarrer ces effets. Peter Reiss rappelle à ce sujet que le changement de nucléosides afin d’éviter la stavudine ou les autres analogues de la thymidine, principalement remplacés par l’abacavir ou le ténofovir, permettent une régression lente des lipoatrophies. Une récente étude de Jacqueline Capeau a aussi permis de démontrer que l’utilisation d’uridine permettait de réduire la détérioration des mitochondries et l’apoptose des adipocytes responsables de ces lipoatrophies. Par ailleurs, les récentes tentatives d’utilisation de glitazones qui se sont soldées par des résultats pour le moins peu encourageants ont trouvé des explications : cette recette ne semble valable que dans un modèle de cellule saine mais pas sous l’influence des nucléosides.
Enfin, l’orateur a conclu sur une question essentielle, celle de l’extension de ces problèmes d’effets indésirables aux pays en développement où les traitements font une lente apparition. Les données de la cohorte ART-LINK provenant de centres en Inde, en Thaïlande, au Brésil ainsi que d’une douzaine de centres de toute l’Afrique, permettent de constater que tous les traitements utilisés comportent des analogues de le thymidine dont la moitié sont la stavudine. Cela n’est pas étonnant. Les comparaisons de prix sont éloquentes : tous les traitements utilisés comportant la zidovudine ou la stavudine se situent entre 157$ et 300$ par an alors que des traitements où ces molécules sont remplacées par Ténofovir et FTC reviennent à 420$ à 708$ par an. Triste constat que de voir que l’accès aux traitements dans les pays en développement se traduit par le fait que les produits dont on ne veut plus au nord sont recyclés au sud.
Le talon d’Achille
La deuxième plénière de la matinée était une bonne entrée en matière pour la session du soir. Julie Overbaugh de Seattle devait exposer le résultat de ses travaux sur la transmission du virus ainsi que la question de la surinfection. Cet exposé qui explorait essentiellement la question sur un plan biologique, a éclairci un certain nombre de zones d’ombre. Ses recherches l’ont conduit à constater que les protéines de surface du virus, les fameuses GP120 se modifient avec le temps. Elles sont connues pour comporter de nombreuses régions hypervariables du fait de leur glycosylation. C’est d’ailleurs la principale cause d’échappement du virus aux anticorps que génère naturellement le système immunitaire. De même, c’est une des raisons de la difficulté de fabriquer un vaccin efficace. Dans sa démonstration, la chercheuse explique que la protéine augmente la glycosylation, ce qui constitue la raison de son échappement à l’immunité mais affaiblit aussi son affinité avec les récepteurs des cellules infectées, les lymphocytes CD4. Mais le plus important, c’est que les virus transmis sont toujours ceux qui sont faiblement glycosylés. Elle attribue cela au fait qu’il s’agit des virus les plus efficaces. Il s’agit donc là d’une présentation qui vient renforcer une des données importantes de la transmission du VIH, à savoir : la contamination réalise une sorte de sélection naturelle des virus les plus efficaces dans une population qui comporte d’autres souches peut-être plus adaptées à l’hôte mais dont la capacité à se transmettre est plus faible.
Dans un second temps, Julie Overbaugh s’est intéressée à la surinfection. Utilisant les données de cohortes du Kenya, elle a pu mettre en évidence par des analyses fines des populations virales présentes chez quelques personnes que la surinfection est très présente. Mais au-delà, les virus résultant de ces surinfections cohabitent avec les précédents pendant des années et conduit à diverses situations, soit de domination d’une population sur l’autre, soit de coexistence, soit de création de virus recombinants. Cela était particulièrement visible dans une population africaine d’une région où sévissent de nombreux sous-types viraux différents. La démonstration est encore plus claire avec une personne qui, au cours d’un voyage au Brésil a été infecté par le sous-type B non présent dans sa région d’origine. Après avoir eu deux ans de charge virale indétectable sous traitement, cette personne a vu sa charge virale passer à plus de 5log et son compte de CD4 baisser fortement, comme s’il s’agissait d’une primo-infection. Mais tous les cas ne sont pas aussi spectaculaires et il a fallu un travail de recherche bien spécifique pour s’apercevoir que dans des populations qui ne se protègent pas, les surcontaminations se produisent apparemment à la même fréquence que la contamination incidente dans la population générale. Mais les résultats de cette étude, principalement menée au Kenya, sont corroborés par ceux d’autres étude du même type menées aux Etats-Unis sur des groupes d’homosexuels ou en Thaïlande chez des usagers de drogue. La surinfection se produit donc dans tous les cas, que la charge virale soit contrôlée ou non, que le virus initialement présent soit plus ou moins vigoureux. Si ces résultats doivent inciter à renforcer la prévention chez les séropositifs, ils servent également de base à la recherche vaccinale en ceci qu’il permettent de comprendre ce qui fait défaut dans l’arsenal de défense que développe l’immunité mais aussi de déceler le talon d’Achille du virus.
Une pluie de nouveaux médicaments… à venir
La CROI retrouve des couleurs. Les présentations sur les nouveaux antirétroviraux en cours d’étude et sur les nouvelles cibles ont été l’occasion de découvrir toutes sortes de molécules s’attaquant à des cibles de plus en plus diverses. Mais auparavant, la session sur les résistances a aussi permis à certains laboratoires de défendre leurs nouveautés. Le laboratoire Pfizer a ouvert le bal avec un produit déjà baptisé : Maraviroc. Il s’agit ni plus ni moins que du déjà célèbre anti-CCR5 actuellement UK427,857 avec lequel la firme tente de percer devant ses concurrentes. La présentation de ce jour avait surtout pour but d’expliquer que les possibles résistances aux molécules anti-CCR5 concurrentes ne sauraient atteindre leur produit ou, dit plus scientifiquement, que les résistances qui peuvent se développer aux anti-CCR5 ne sont pas des résistances de classe parce que les sites de fixation de ces différentes molécules ne sont pas exactement les mêmes.
La transcriptase inverse est sans conteste la cible la plus intéressante. Protéine du virus indispensable à la réplication virale, la bloquer signifie non seulement rompre la chaîne de réplication mais surtout arrêter le processus avant que le génome viral ne soit intégré dans la cellule infectée. Pas étonnant donc à ce que deux classes de médicaments existent déjà contre cette protéine. Mais sa capacité de mutation pour échapper à tous les traitements est grande. C’est donc avec le plus grand intérêt qu’on a suivi les travaux des équipes ayant caractérisé une cible nouvelle sur cette protéine complexe, un groupe fonctionnel essentiel à son fonctionnement, la ribonucléase H ou plus simplement RNase H. Prendre ce groupe pour cible est d’autant plus intéressant qu’il est essentiel au fonctionnement de la transcriptase inverse et donc que d’éventuelles mutations pour échapper aux antiviraux pourraient bloquer son fonctionnement. Les preuves de l’efficacité de cette méthode ont été apportées par l’équipe de Michael A. Parniak (université de Pittsburg).
L’intégrase est aussi une de ces cibles presque mythiques après laquelle courent autant les laboratoires de recherche que les firmes pharmaceutiques. Il s’agit là aussi d’une protéine virale dont le rôle est de permettre l’intégration de la copie ADN du génome viral dans celui de la cellule infectée. Compte tenu de la complexité de la manœuvre qui se fait en plusieurs étapes incluant la préparation, le transport vers le noyau cellulaire, l’entrée dans ce dernier et enfin l’intégration à un endroit de l’ADN cellulaire de manière à être fonctionnel, les chercheurs espèrent bien arriver à bloquer un élément indispensable de cette chaîne. En fait, ce ne sont pas tant les candidats qui manquent que de trouver le bon, celui qui n’est pas trop toxique, qui peut arriver en quantité suffisante dans les cellules et qui est suffisamment efficace. L’équipe de recherche du laboratoire Merck nous propose ici diverses pistes dont un InSTI : Integrase Strand-Transfer Inhibitor. Mais tout ceci se passe dans les éprouvettes, pour les essais cliniques de ces molécules il faut attendre la session de vendredi.
Troisième idée, s’attaquer à la reformation des virus et à leur libération par la cellule hôte. C’est l’idée présentée par le « HIV Drug resistance program ». Cette équipe propose deux types d’agents. Les premiers permettent de bloquer la phase d’assemblage des nouveaux virus, les seconds empêchent la maturation des virus libérés par la cellule. Le PA457 est ainsi capable de bloquer une protéine virale dont le rôle est de former la capside contenant le génome viral à l’intérieur de l’enveloppe du virus. Il agit donc après libération des nouveaux virus et aboutit à ce que ces derniers soient inactifs. Les essais de cette molécule sont actuellement en phase II d’étude clinique.
La dernière piste est présentée par Dale Kempf qui nous vient du laboratoire de recherche de la firme Abbott. Son objectif apparaît simple dans son énoncé mais nettement mois évident à mettre en œuvre. Il s’agit simplement de trouver de nouveaux inhibiteurs de la protéase capables de ne pas avoir les effets indésirables de ceux qui existent actuellement. Ce n’est pas là une piste nouvelle de traitement mais elle mérite autant d’attention. Le chercheur décrit le travail de son équipe en deux étapes, d’une part la mise au point de tests de laboratoires capables de renseigner sur la toxicité des molécules candidates et surtout sur leur possible induction d’effets secondaires comme l’hyperlipidémie, l’hyperbilirubinémie ou les effets sur le cytochrome P450. D’autre part, l’équipe a recherché des molécules remplissant leur cahier des charges et les a évalué. Ils ont ainsi proposé un premier produit, le A-681799. Mais cette molécule, satisfaisante par ailleurs, induit une très forte bilirubinémie chez le rat. L’expérience a néanmoins permis d’identifier la structure moléculaire responsable de cette fonction et un deuxième candidat est évalué : A-792611. A nouveau les tests mis au point ont permis d’évaluer les possibles effets de ce produit qui se révèle intéressant sur beaucoup de points étudiés mais pourrait induire une très forte interaction médicamenteuse. Pour un futur composant de multithérapie, c’est tout de même gênant. Et l’orateur de conclure que d’autres recherches sont encore nécessaire pour « mieux comprendre la relation qui existe entre médicaments et patients ». De la part d’une firme pharmaceutique, ça laisse sans voix…
En supplément à cette journée déjà riche, une session supplémentaire a été ajoutée par les organisateurs pour répondre à la très forte attente des participants et des médias. Cette session traitera du « cas de New-York » comme tout le monde l’appelle maintenant.