Il paraît que la lutte contre le sida est déclarée grande cause nationale. Pour celles et ceux qui sont au cœur de ce combat, cette année commence mal.
Le 17 février dernier, huit militantEs d’Act Up-Paris qui avaient lancé du faux sang sur la façade de l’Elysée pour dénoncer la politique de Jacques Chirac en matière de santé et de lutte contre le sida ont été reconnuEs coupables de «dégradations légères» et condamnéEs individuellement à une amende de 600 euros avec sursis. L’ Allocation Adulte Handicapée que touchent certainEs d’entre elles et eux, d’un montant maximum de 587 euros par mois, n’y suffirait pas.
En 16 ans, c’est la première fois que des militantEs d’Act Up-Paris sont condamnéEs pour ce type d’action. La cible n’y est pas pour rien : visiblement, il ne faut pas interpeller Jacques Chirac sur sa politique sanitaire et sur ses promesses non tenues. Le contexte de criminalisation croissante de la désobéissance civile n’y est pas non plus étranger.
La condamnation «avec sursis» signifie que nous devrions renoncer, sous peine d’une amende plus lourde, à nos modes d’action. Interpeller publiquement, sous forme spectaculaire, l’irresponsabilité des dirigeants face à l’épidémie est devenu un délit. La primauté de l’intérêt collectif a fait long feu. Il est clair aujourd’hui que l’immaculé de vieilles pierres est plus important que les 10000 morts que fait quotidiennement le sida.
La criminalisation de l’activisme ne passe pas seulement par cette condamnation. Le recours inquiétant à des gardes à vue y participe aussi. Les militantEs condamnéEs avaient dû passer 24 heures au poste — procédure que rien ne justifie du point de vue de l’enquête. Plus récemment, suite à une action contre le siège de l’UMP, trois militantEs ont été placéEs en garde à vue et libéréEs après huit heures. Là où, auparavant, nous étions arrêtéEs pour simple vérification d’identité, le Parquet décide de gardes à vue, marquant ainsi sa volonté de museler l’activisme sida.
Au-delà des pratiques de désobéissance civile, le judiciaire s’impose aussi aux campagnes de prévention. Un militant de Techno+ est poursuivi pour avoir diffusé des plaquettes de prévention liées à l’usage de drogues. Deux militantEs d’Aides Toulouse ont été condamnéEs en appel, au mois de janvier, suite à une plainte d’une association d’extrême-droite pour une campagne invoquant la «Sainte Capote». Le procureur dans le premier cas, le juge dans le second donnent là des signes forts. Parler explicitement du sida et des pratiques à risques revient maintenant à prendre un risque juridique. Contre qui ou quoi la société voudrait-elle ainsi se défendre ?
Qui partage notre malaise en considérant la conjonction des dates : Aides Toulouse en janvier, Act Up-Paris en février sont condamnées ? Deux associations de lutte contre le sida sanctionnées parce qu’elles luttent, chacune à leur manière, contre le sida : est-ce vraiment cela que nous voulons ?
On ne pourrait donc plus ni faire de campagne de prévention efficace, ni interpeller l’opinion publique sur les politiques menées. Pèse-t-on réellement l’impact de telles procédures sur la société, dans un contexte de désengagement général de l’Etat vis-à-vis de la lutte contre le sida ? Les financements à la recherche ou aux actions des associations ne cessent de diminuer. Combien de structures ferment leur porte parce qu’elles n’ont plus d’argent ? Combien d’autres doivent mener leur projet dans une précarité contre-productive, dépendant de financements privés pour assurer des missions de service public ?
L’État ne se contente pas de limiter les crédits. Il complique chaque jour un peu plus les activités des acteurs de terrain en adoptant des mesures légales ou réglementaires totalement contradictoires avec les impératifs de santé et la lutte contre le sida. Des exemples ? La loi sur la sécurité intérieure, en s’en prenant aux prostituéEs, les a contraintEs à encore plus de clandestinité, les exposant un peu plus à des risques et rendant quasi-impossibles les actions communautaires de prévention et de prise en charge. Le démantèlement de l’aide médicale d’état qui permet un accès à certains soins gratuits pour les étrangers sans-papiers éloigne des populations entières des structures de prévention, de dépistage et de soins. La réforme de la Sécurité sociale impose le paiement d’un euro par consultation ou acte médical, sanctionnant ainsi ceux et celles qui ont le plus besoin du système de santé, parmi lesquelLes les séropositifVEs et les malades du sida. Ce sont autant de mesures, et la liste est encore longue, qui mettent très concrètement en danger des personnes et qui, par là même, obligent les acteurs de terrain à mettre en place de nouveaux projets pour y faire face.
De quoi faudrait-il donc protéger la société ? De quelques activistes dont les méthodes ont largement porté leurs fruits en matière de lutte contre le sida ? Ou de ces politiques, menées au nom d’impératifs sécuritaires, budgétaires, d’ordre moral ou tout simplement arbitraires, et qui remettent en cause des pans entiers de la lutte contre le sida ?
Le Parquet, en poursuivant ces militantEs et la justice en les condamnant, ont choisi de les désigner comme des dangers. L’un et l’autre feignent d’ignorer les bénéfices réels que les actions d’Act Up-Paris ont apportés à la société. Ils les ont condamnéEs à se taire. Se taire devant des pouvoirs publics qui n’assument que trop rarement leurs responsabilités dans la lutte contre la pandémie. Se taire alors que sont prises des mesures hostiles aux malades, à leur prise en charge ou à la prévention. Renoncer à des zaps alors que les médias, fréquemment, n’évoque pas les problèmes que rencontrent les personnes vivant avec le vih s’ils ne sont pas inscrits dans la dramaturgie d’une action spectaculaire. Renoncer à la désobéissance civile alors que les dispositifs légaux et réglementaires de contestation sont très souvent inadaptés à l’urgence des situations.
Ces militantEs ont été condamnéEs à se taire. Mais l’urgence et le contexte ne leur laissent aucun choix : ils et elles sont condamnéEs à lutter. Nous les soutenons dans ce combat.