La loi pour la sécurité intérieure (LSI) est appliquée depuis deux ans. La semaine du 15 au 20 mars 2005 a été l’occasion pour les prostituéEs, ainsi que les associations d’en dresser un bilan catastrophique et de demander son abrogation.
18 mars 2005 : la loi pour la sécurité intérieure (LSI) est en application depuis deux ans. Sous prétexte de combattre les différentes formes d’exploitation portant atteinte à la dignité humaine, le législateur a introduit des dispositions qui, sans interdire la prostitution, permettent aux forces de l’ordre de pourchasser les travailleurSEs du sexe. En effet, la loi considère le racolage, «même passif», comme un délit (2 mois de prison et 3 750 euros d’amende), mais elle ne le définit pas précisément et offre ainsi aux forces de l’ordre une marge d’interprétation qui laisse toute sa place à l’arbitraire et aux abus : la simple tentative[[C’est nous qui soulignons.]] de racolage peut être sanctionnée. La répression cible en premier lieu les prostituéEs selon une logique déjà appliquée avec les usagerEs de drogues : en sanctionnant les prostituéEs, il s’agirait de priver, par ricochet, le proxénétisme de ses sources de profit. Enfin, la loi est également utilisée comme un outil de répression de l’immigration : elle autorise les forces de l’ordre à appliquer une procédure administrative, et non pas judiciaire, d’éloignement du territoire, quelque soit la régularité du séjour[[C’est nous qui soulignons.]] d’étrangerEs interpelléEs pour racolage. Sous couvert de lutter contre les réseaux de traite internationaux, la LSI autorise une politique discriminatoire et xénophobe. En désignant explicitement comme cible – les prostituéEs en général et les étrangerEs en particulier – et en maintenant volontairement une définition floue du racolage, la loi a institutionnalisé la chasse à la prostitution, notamment de rue, afin de la rendre invisible et d’enfermer ces personnes dans la clandestinité.Harcèlement permanent, abus et violences
15 mars 2005, le collectif Femmes Publiques organise à l’Assemblée nationale une journée d’évaluation des conséquences induites par la LSI. Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur à l’époque, avait promis, sous deux ans, une révision de cette loi en fonction de ses effets. Cette promesse n’étant toujours pas tenue, le collectif souhaitait «mettre le gouvernement devant ses responsabilités». Cette journée a permis de rassembler des associations (Act Up-Paris, Arcat, Aides, le Gisti, la Cimade, Cabiria, Grisélidis, France-Prostitution, Entr’acte) et des prostituéEs autour d’un même mot d’ordre, l’abrogation de la LSI. Le constat est accablant. N. travaille à Vincennes et, en deux ans, elle a été arrêtée 26 fois pour racolage. Les flics lui ont avoué qu’elle est une cible plus facile que d’autres parce qu’elle travaille toujours au même endroit, toujours à la même heure. C. travaille dans un bois de Seine-et-Marne et raconte comment elle a été arrêtée pour racolage alors qu’elle ne faisait rien d’autre que lire un journal dans sa camionnette. Et peu importe s’il n’y avait personne dans les environs, «même pas un ramasseur de champignons». Tous les témoignages recueillis pendant cette journée montrent que la LSI a encouragé et entériné le harcèlement permanent des forces de l’ordre, mais aussi ses abus et ses violences. Ainsi, A. a raconté lors de cette journée à l’Assemblée les humiliations infligées par les policierEs pendant une garde à vue : insultes, crachats, interdiction de s’asseoir pendant une nuit entière… La répression vise également les clients, qui peuvent aussi être condamnés. Mais ce sont encore une fois les prostituéEs qui en subissent directement les conséquences sociales et sanitaires : les clients sont moins nombreux, le climat de peur institutionnalisée favorise parfois des comportements agressifs et contribue à inverser en leur faveur le rapport de force dans la négociation des pratiques, des tarifs et de prévention (un client sur deux environ réclame des rapports non protégés[[La prostitution à Paris, rapport à la Mairie de Paris, sous la direction de Marie-Elisabeth Handman et Janine Mossuz-Lavau, janvier 2004.]]). Lors d’une tournée du bus de prévention d’Arcat dans la forêt de Saint-Germain-en-Laye, nous avions rencontré, en février dernier, M. qui nous expliquait que le tarif d’une fellation avant la LSI était de 45 euros ; depuis, les clients refusent couramment de payer plus de 5 euros. La baisse des tarifs accroît la précarité des prostituéEs et rend encore plus difficile la négociation du préservatif, surtout lorsqu’un rapport non protégé[[La prostitution à Paris, rapport à la Mairie de Paris, sous la direction de Marie-Elisabeth Handman et Janine Mossuz-Lavau, janvier 2004.]] est payé plus cher. La répression entraîne le déplacement de l’activité prostitutionnelle dans des zones éloignées (bois, champs, friches industrielles) et rend le travail de prévention des associations plus difficile ; elle accroît l’insécurité et rompt les réseaux de solidarité entre les personnes. Et la situation est encore plus difficile pour les prostituéEs étrangerEs sur qui pèse le risque permanent de perdre leur titre de séjour. Mardi 15 mars au soir, une vingtaine de militantEs d’Act Up-Paris ont manifesté devant les locaux de l’Unité de soutien aux interventions territoriales (USIT), qui a été créée à la suite du vote de la LSI. Cette unité regroupe touTEs les prostituéEs arrêtéEs pour racolage : elle est, de fait, le véritable «bras armé» du gouvernement dans la mise en application de sa politique de répression de la prostitution.Villepin en veut encore
Mercredi 16 mars, à l’occasion d’une journée de débats organisée au conseil régional de Paris par la Plateforme contre la traite des êtres humains, nous avons entendu Frédéric Dupuch, adjoint à la Direction de la police urbaine de proximité, prétendre que la pénalisation du racolage est un «outil formidable de lutte contre la traite». Il est vrai que la LSI prévoyait des mesures de prise en charge sociale des personnes victimes de la traite, mais ces mesures n’ont jamais fait l’objet d’un décret d’application. «L’outil formidable» se résume donc à des interpellations massives de prostituéEs. En 2004, la police a lancé plus de 5 000 procédures pour racolage (3 752 sur Paris). Ainsi, pour protéger les «victimes» de la traite, la police s’attaque aux «victimes» elles-mêmes ! Mais Frédéric Dupuch n’y voit aucune contradiction et poursuit : «nous voulons casser les réseaux en multipliant les arrestations, les gardes à vue et les reconduites à la frontière. Si l’on empêche les prostituéEs de travailler, la rentabilité financière du proxénétisme baissera»[[Propos cité dans Le Monde du 16 mars 2005.]]. Il s’agit bien là d’une stratégie de harcèlement et de chasse systématiques des travailleurSEs du sexe. Dimanche 20 mars, les médias se font l’écho d’une grande opération «antiproxénètes» sur tout le territoire. Le «hasard» fait parfois bien les choses : deux ans, jour pour jour, après la mise en application de la LSI, Dominique de Villepin, ministère de l’Intérieur, fait valoir l’efficacité de ses troupes pour démanteler des réseaux de proxénètes de « proximité ». Ce terme signifie que la police s’attaque uniquement aux petites mains, qu’il est bien plus facile d’arrêter que les responsables des réseaux. Cette opération a l’avantage d’alimenter à bon compte les statistiques ministérielles, et de contrecarrer les critiques des associations contre la LSI que les médias ont largement relayées quelques jours plus tôt. Et comme le souligne les représentantEs de l’Intérieur, les forces de l’ordre agissent dans l’intérêt des prostituéEs, car ce sont ces «proxénètes de proximité […] qui les surveillent au jour le jour et exercent contre elles les plus grandes violences». La police aurait donc pour mission de les protéger de leurs tortionnaires ? Les deux dernières phrases de la dépêche AFP relatant cette opération nous apportent la réponse : «Pendant ce temps, 142 prostituées, principalement originaires des pays de l’est de l’Europe et d’Afrique, ont été entendues «à titre de témoins». Trente-quatre ont fait l’objet de poursuites pour infraction à la législation sur les étrangers, dont 23 ont fait l’objet d’une reconduite à la frontière.