Ce contenu a 19 ans. Merci de lire cette page en gardant son âge et son contexte en tête.

Du 16 au 23 avril, deux militants d’Act Up-Paris sont partis à Saint-Petersbourg et Moscou (Russie) pour une mission. Ce voyage fait suite à une rencontre avec des militants de FrontAids à Paris en mars dernier et l’objectif de cette mission est de collecter des informations et de les relayer en France où la situation russe est méconnue. Il s’agit aussi de médiatiser les revendications des activistes russes.

La situation sanitaire et sociale des séropositifVEs est catastrophique. Les informations publiées dans notre article résultent de données tirées du rapport de l’ONG Human Rights Watch (juin 2004), de divers rapports de l’ONUSIDA et de l’UNDP (United Nations Development Program). Mais aussi de nos premières rencontres sur place avec les activistes russes.

Pratiques de dépistage

La loi russe impose le dépistage aux donneurSEs de sang, aux professionnelLEs de santé que les pratiques exposeraient particulièrement à un risque d’exposition et aux personnes atteintes de maladies « marquantes » parce qu’elles présentent les mêmes modes de transmission que le VIH (hépatites, IST, etc.).

Dans la pratique, cela s’étend à de nombreuses catégories, comme les femmes enceintes. Les personnes sont rarement averties qu’un test sera effectué, leur avis étant rarement sollicité. Daniel nous raconte qu’il s’est aperçu après son hospitalisation pour une hépatite B que son bilan sanguin comportait un test VIH.

Le dépistage est obligatoire à l’entrée de prison. En l’absence de suivi, cet unique test crée souvent des « faux négatifs » [[compte tenu de la fenêtre de séroconversion]]. Les tests étant peu fiables, il y a aussi des «faux positifs». L’association IMENA+ nous cite le cas d’un détenu testé séropositif à chacune de ses entrées en prison, mais dès qu’il sortait un nouveau test se révélait à chaque fois négatif.

Épidémiologie

Les données épidémiologiques en Russie ne peuvent être considérées en valeur absolue, mais en fonction des pratiques de dépistage. Aucun dépistage volontaire et réellement anonyme n’a jamais été encouragé par les autorités. Mais des structures associatives le proposent avec la disparité et les lacunes que cela peut supposer : Saint-Petersbourg et l’ensemble de sa périphérie ne compte que deux lieux de dépistage anonyme et gratuit. Ce type de dépistage est possible grâce aux structures associatives. Il y a deux lieux de dépistage anonyme et gratuit pour Saint-Petersbourg et toute sa périphérie.

Un rapport de l’ONUSIDA confirme qu’en Russie, comme tous les pays d’Europe Centrale et de l’Est, la propagation de l’épidémie est fulgurante. Entre 1995 et 2001, le taux de nouvelles infections a doublé tous les 6 à 12 mois.

D’après Vladim Pokrovsky, chef du service fédéral sida, interrogé en février 2004 par Human Rights Watch (HRW), l’estimation officielle du nombre de personnes séropositives en Russie varie entre 800 000 à 1,2 million de personnes. Ces données sous-estiment l’impact réel de la pandémie. Le rapport annuel d’ONUSIDA fait état, en décembre 2003, de 1,5 millions de séropositifVEs. En 2002, une enquête de la CIA estime que 2 millions de Russes pourraient être séropositifVEs, et que 8 millions le seront en 2010. Au niveau fédéral, l’administration sida à Moscou avance le chiffre de 5 millions de séropos en 2007.

Quels que soient les chiffres considérés, la Russie doit faire face à une explosion des contaminations qui concerne principalement les usagers de drogue. Et la politique ultra-répressive à leur encontre ne fera qu’aggraver la situation. Ainsi, en 1999 les associations Svetcha et Action Humanitaire enregistraient quotidiennement 100 usagers de drogues séropositifs.

En 2002, selon le registre fédéral, 93 % des séropositifs avaient été contaminées par injection. La même année, 12 % des nouveaux diagnostics étaient liés à une transmission par voie sexuelle ; en 2003, le chiffre était de 17,5 %. Les données disponibles semblent indiquer que les contaminations par injection ont atteint un « seuil de saturation» et la transmission par voie sexuelle va devenir prépondérante. Compte tenu du niveau d’information très bas, voire inexistant, sur les modes de contamination, le sida a encore de beaux jours en Russie.

L’espérance de vie de la population russe est tombée en dessous de 60 ans. Cette information donne une indication de l’état du système de santé russe aujourd’hui. Les statistiques officielles ne prennent pas en compte la mortalité liée au sida. Les causes de décès sont attribuées à une maladie opportuniste, sans lien avec le VIH : on peut faire des recoupements à un niveau très local, mais au niveau d’une ville comme Saint-Petersbourg ou du pays tout entier, c’est impossible.

Parmi les affections opportunistes, la tuberculose est la maladie la plus prégnante. On estime que cette maladie tue chaque année 30 000 personnes sans que l’on sache si la tuberculose est liée au VIH. 10 % des détenus ont la tuberculose, et pour beaucoup, le bacille est multi-résistant aux thérapies distribuées à la sortie de prison. La coordination des soins entre services tuberculose et sida est nulle. Ainsi, un malade tuberculeux sera placé dans un service spécifique (le «second city TB hospital», en russe dans le texte) où il n’aura… rien, pas même un brancard. Inutile de rêver à des médicaments anti-VIH ou à des soins palliatifs. Quant aux antibiotiques, ils ne sont pas adaptés aux multi-résistances.

Situation en prison

En prison, la séroprévalence est passée de 1 pour 1000 détenuEs en 1996 à 42,1 pour mille en 2003. 34 000 personnes seraient séropositives et incarcérées, ce qui représente, selon les chiffres officiels, plus de 15 % des personnes vivant avec le VIH en Russie. Les détenus séropositifs sont des hommes, dans une très grande majorité. Aucun traitement, aucun suivi médical ne sont disponibles en prison. Le dépistage obligatoire pratiqué à l’entrée repose sur des tests de mauvaise qualité.

En 2001, une directive fédérale a levé l’obligation de séparer les détenus séropositifs et séronégatifs. Mais d’après deux anciens détenus que nous avons rencontrés et qui travaillent aujourd’hui dans l’association IMENA+, cela reste une pratique courante dans de nombreux centres russes comme le centre de détention n°7 ou la prison Kristen à Saint-Petersbourg. Quand la ségrégation n’est pas le fait de l’administration, les prisonniers l’applique volontiers entre eux.

Discrimination des séropositifs

Le niveau de connaissance sur le VIH/sida et de ses modes de transmission est extrêmement bas. La première action de Delo, une association de lutte contre le sida, le 1er décembre 2003, a permis de le rendre public à Saint-Petersbourg. Deux militantEs sont partis filmer des gens dans la rue, leur demandant s’ils accepteraient de serrer la main d’un séropo, de boire dans son verre… Les réponses sont éloquentes. Rendus publics par une télévision russe, ce reportage a embarrassé la mairesse, Valentina Matrienka, au point qu’elle a attribué des fonds supplémentaires, 230 000 euros, à la lutte contre le sida pour ne plus avoir à entendre parler de Delo et d’une telle polémique.

En 2001, une enquête menée par téléphone à Saint-Petersbourg montre qu’un tiers des répondants pensent que le préservatif n’est pas une mesure de protection fiable ; 48 % croient que le VIH se transmet par un baiser, 30 % en partageant une cigarette et 56 % par des piqûres d’insecte.

Toujours en 2001, un sondage fait par l’agence américaine pour le développement international indique que 40 % des répondants pensent qu’un professeur infecté ne devrait plus enseigner ; moins de 10 % irait dans un magasin tenu par un séropositif.

De nombreux experts nationaux ou internationaux critiquent le manque de financements qui empêche de diffuser des campagnes d’information et de prévention. En 2004, le budget alloué à la prévention par le gouvernement fédéral était inférieur à 1 million d’euros.

La méconnaissance générale du virus, y compris par la majorité des médecins, est un terrain favorable à toutes les discriminations. Celles-ci se produisent à tous les niveaux de la société. Un sondage auprès de 470 personnes séropositives révélait en 2003 que 30% des répondants avaient été exclus de soins à cause de leur statut sérologique. 10 % ont été renvoyés de leur travail après la révélation de leur séropositivité. Près de la moitié ont été contraints par la police de signer des documents où ils/elles reconnaissaient qu’ils/elles étaient séropos. 44 % affirment avoir reçu des pressions de la part de scientifiques pour qu’ils/elles donnent le maximum d’information sur leurs partenaires sexuelLEs ou sur les usagErEs de drogues qu’ils/elles connaissaient.

Pour avoir une chance d’obtenir des traitements, il faut s’inscrire sur le fichier du service sida de la ville. Cette mention apparaît clairement sur votre dossier médical. Les médecins non spécialistes, et peu au fait de la réalité du VIH, refusent systématiquement de soigner un séropositif. Et ces discriminations sont encore plus fortes quand il s’agit d’un usager de drogues.

Autre exemple de discrimination très révélateur : les nouveaux-nés, dont la mère est séropositive, ont un ruban rouge qui indique le statut sérologique de leur maman. Et cette mention est également indiquée dans leur dossier médical que les crèches demandent systématiquement à voir avant d’accepter un enfant. Tout enfant né d’une mère séropositive sera immanquablement refusé par une crèche. La mère devra donc garder son enfant et sera dans l’impossibilité de travailler.

Accès aux traitements

Pour espérer avoir un jour des médicaments contre le VIH, il faut se faire enregistrer auprès des services de la ville, avec toutes les conséquences que cela implique en matière de confidentialité. À Saint-Petersbourg, l’accès aux traitements est extrêmement limité. En 2004, les fonds distribués ont permis la mise sous traitement de 500 personnes seulement. Cette année, le Fonds mondial de lutte contre le sida a soutenu financièrement la mise sous traitements de 400 personnes supplémentaires, soit un total de 900 malades.

Un comité de sélection où dominent les institutionnels choisit les malades « dignes » d’accéder aux traitements. D’après Nicolaï Panchenko, héros de la lutte contre le sida, directeur de la Société des personnes vivant avec le VIH, qui a le triste privilège de siéger à ce comité, les standards d’intitiation d’un traitement rédigés à l’OMS sont respectés. Le problème est, qu’avant d’appliquer ces standards, une sélection est faite, qui écarte tousTEs ceux et celles jugéEs indignes : usagers de drogues, alcooliques, personnes vivant dans la rue, etc. Les enfants ont cependant tous accès aux traitements quand ils en ont besoin. Pour les autres, entre le financement insuffisant et les pratiques discriminatoires, il n’y a aucune place pour un accès aux ARV.

La seule solution pour ces personnes est d’acheter elles-mêmes leurs traitements. Mais à 12 000 dollars par an, une trithérapie est inabordable. Et c’est là, à nouveau, que l’on mesure l’enjeu que représente l’accès aux génériques. Depuis quatre ans, les autorités russes ne cessent de promettre aux activistes l’enregistrement de médicaments comme généricables. L’industrie locale est évidemment très intéressée, et certains labos sur les starting-blocks. Mais il n’existe aucune volonté politique pour faire baisser le prix des médicaments à 700 dollars par an. Depuis quatre ans, combien de personnes sont mortes en Russie ?