La journée de jeudi se clôt par une entrevue avec des permanents de Aids Foundation Est West (AFEW). Cette structure est mieux lotie que toutes celles que nous avons rencontrées jusqu’à présent. Les bureaux, spacieux, se trouvent dans les locaux de la deuxième université moscovite. Il faut montrer patte blanche — une invitation — pour pouvoir entrer dans l’immeuble.
Si AFEW a autant de moyens, c’est qu’elle est une émanation de Médecins Sans Frontières. À la fin des années 90, la branche hollandaise de MSF avait commencé des opérations de récolte de fonds auprès de bailleurs pour créer une fondation qui s’occuperait de réduction des risques pour les usagers de drogues, du sida en prison et de campagnes de sensibilisation et de prévention. Avec l’augmentation des fonds, l’activité s’est aussi accrue, et MSF s’est progressivement désengagé pour laisser la place à une structure autonome, Aids Foundation East West.
Mais la structure est accréditée auprès du gouvernement hollandais, et non auprès des autorités russes. Cela permet ainsi d’obtenir plus de fonds d’ONG ou des autorités hollandaises. Car bien sûr, la structure ne reçoit aucune aide des pouvoirs publics russes fédéraux ou régionaux. L’antenne moscovite d’AFEW est petite. Elle sert essentiellement de centre de formation. L’essentiel des forces est constitué de groupes de support qui travaillent dans les régions. Plus de 100 personnes sont sur le terrain ; ce sont surtout des activistes qui travaillent sur l’accompagnement au traitement. Mais l’action d’AFEW s’étend d’ailleurs au-delà de la fédération de Russie puisqu’elle possède des bureaux en Ukraine, au Kasakstan et, depuis peu, en Mongolie.
D’autres activités se sont ajoutées aux premières du début : un suivi social individuel, le councelling, le soutien pour la mise sous traitement. Ce soutien concerne uniquement les personnes soignées dans le cadre de prévention de la transmission mère-enfant. Nous savions que l’accès aux traitement est difficile, mais pour les rares personnes qui y ont droit il reste précaire. En effet, on nous explique que l’approvisionnement régulier des traitements est très mal assuré. Ce sont les responsables des centres sida régionaux qui en ont la charge. Or, sans recommandations précises, ils sont livrés à eux-mêmes et ne savent pas forcément sélectionner les produits nécessaires ni gérer leurs stocks. Cela conduit à des interruptions forcées de tout ou partie des traitements ou des changements en fonction des approvisionnements. La prise en charge médicale est aussi incertaine : les recommandations officielles ne sont pas suffisamment mises à jour par certaines administrations locales. Cette désorganisation est certainement en grande partie responsable du prix des traitements excessivement élevé. C’est pour cela que AFEW milite activement pour une réduction des prix en réseau avec d’autres organisations.
AFEW assure également un travail de prévention qui, en principe, incomberait aux pouvoirs publics : la structure élabore des campagnes dans les médias grand public. Les militantEs ont commencé par de l’affichage dans le métro, ce qui a attiré l’attention de médias plus importants comme la télévision et la radio. Une forme d’auto-censure gouverne ces campagnes : il est impossible d’être trop direct et trop explicite sur les modes de transmission, sous peine de se voir interdit de diffusion. AFEW n’a pas reçu de financement — notamment du Fonds mondial — pour faire de la prévention chez les gays. C’est une fondation américaine qui s’en occupe, ce qui donne des résultats pour le moins bizarre, et déconnectés de la réalité de terrain : ce sont par exemple des jeunes filles qui vont faire de la prévention dans les backrooms. Il y a bien quelques assoc homos qui font du travail de prévention à Moscou, mais elles ne recoivent aucun financement du Fonds mondial.