La XIIème CROI s’est tenue du 22 au 25 février 2005, à Boston. Pour compléter les chroniques de la conférence publiées sur notre site*, voici un ultime compte-rendu d’une des dernières sessions organisées : «questions clés sur les thérapies antirétrovirales». Nous proposons ici le résumé des deux premières présentations de cette session qui sont d’une importance capitale pour comprendre le monde des antirétroviraux aussi bien que la vie avec le VIH.
Rationnel scientifique des thérapies antirétrovirales
C’est Robert Siliciano[[Ce scientifique vient de John Hopkins University School of medecine and Howard Hughes Medical Institute, à Baltimore.]] qui a proposé ce premier un sujet.
La persistance de la présence du virus dans l’organisme d’unE séropositifVE sans traitement est assurée par deux sources de production de virus. La première, ce sont les virus produits par les lymphocytes T CD4+ activés et infectés par le VIH. Ce processus produit d’énormes quantités de virus chaque jour et contamine sans cesse de nouvelles cellules. La seconde source est celle des lymphocytes mémoires infectés qui constituent des réservoirs de virus latent et qui peuvent être activés. Mais cette seconde source est minime en comparaison avec la première et ne représente pas grand-chose chez une personne sans traitement.
La question des réservoirs est pourtant essentielle dans l’infection à VIH car c’est à ce phénomène que l’on doit l’incurabilité de la maladie, il permet d’expliquer ce qui se passe sur le plan virologique chez les personnes en traitement et il permet d’expliquer l’évolution originale de l’infection à VIH.
L’ensemble des lymphocytes CD4 est constitué de cellules naïves et de cellules mémoires. Les naïves sont des cellules qui n’ont jamais rencontré l’antigène pour lequel elles sont faites. Le jour où cela arrive, elles deviennent des cellules actives et se multiplient rapidement, produisant ainsi une réponse immunitaire spécifique dirigée contre l’antigène à l’origine de cette réaction. Lorsqu’il n’y a plus de stimulation, c’est-à-dire lorsque l’antigène a été détruit, la majorité des cellules actives meurent et seules un petit nombre d’entre elles passent dans un stade inactif constituant ainsi la réserve des cellules mémoires. La particularité de ces cellules est de réagir plus vite et plus efficacement contre une éventuelle future attaque du même antigène. Ceci constitue le principe de base de l’immunité cellulaire adaptative de notre système immunitaire. Le VIH est capable d’infecter toutes les cellules CD4, mais seules celles qui sont dans un stade actif sont susceptibles d’intégrer le génome viral et peuvent se mettre à produire de nouveaux virus. Or il est possible au virus de pénétrer dans des cellules avant qu’elles ne soient inactivées. Ces cellules mémoires infectées vont dès lors constituer une réserve de cellules susceptibles de produire du virus en cas de réactivation. C’est ce qui constitue ce que l’on appelle un réservoir. Les études qui ont été faites sur ces réservoirs montrent que la diminution de leur nombre est extrêmement lente en présence d’un traitement actif. C’est la principale raison de la persistance de l’infection chez une personne sous traitement actif efficace. La déclivité mesurée du réservoir indique qu’il faudrait environ 77 ans pour l’éradiquer, avec un traitement qui reste efficace sur toute cette durée.
Ces virus, même s’ils sont en majorité homogènes, comportent aussi toute une population minoritaire de virus mutants soumis à la compétition et à la pression des traitements. Ce qui fait la stabilité de ces réservoirs, c’est aussi que la réplication virale des cellules actives continue d’alimenter le réservoir. Lorsqu’une personne est mise sous traitement actif, cette alimentation du réservoir est fortement réduite parce que la réplication virale est réduite, mais aussi parce que l’activité des cellules immunitaires est fortement ralentie. Mais le réservoir continue à libérer régulièrement des cellules réactivées et contribue ainsi à une alimentation à bas niveau en virus nouveaux. A quoi ressemblent les virus de ces réservoirs ? L’analyse de quelques cas nous montre qu’ils sont constitués d’un mélange de génotypes divers reflétant l’histoire thérapeutique du malade. Autrement dit, les virus résistants dus à l’échappement du virus à certains antirétroviraux auxquels la personne a été soumise s’y retrouvent. On voit ainsi des virus sauvages persister chez certains, plus de 13 ans après le démarrage de traitements antirétroviraux.
On a longtemps cru que la charge virale était capable de décroître au-delà de la limite de détection des tests de charge virale. On sait qu’il n’en est rien et qu’une réplication à bas niveau persiste sous traitement. Mais on ne sait pas exactement si, sous traitement, une réplication de cellules activées persiste. Si l’on imagine que ce n’est pas le cas, la production résiduelle de nouveaux virus est assurée seulement par la libération de cellules du réservoir qui produisent des nouveaux virus et ceci constitue le niveau minimum en dessous duquel on ne peut pas descendre avec les antirétroviraux actuels ou avec des inhibiteurs d’entrée puisqu’il s’agit de virus produits par des cellules déjà infectées. Grâce à des études de cas, il a été montré que les virus produits ont un génotype ne correspondant pas nécessairement à ceux contenus dans les réservoirs, ce qui laisse penser qu’il existe une réplication virale au-delà de ce qui est produit par les réservoirs. L’analyse des faibles rebonds temporaires (blips) de charge virale qui se produisent plus ou moins fréquemment chez la plupart des personnes en succès de traitement montre qu’il s’agit essentiellement de variations de la qualité des mesures plutôt que des rebonds dus à l’apparition de résistances ou des mesures significatives sur le plan clinique. Il est donc vraisemblable que la charge virale résiduelle persistante et la faible déclivité des réservoirs sont dues à l’insuffisance de l’efficacité des traitements. S’ils étaient capables de supprimer toute infection de nouvelles cellules, on devrait voir une diminution du réservoir plus significative. On peut donc ainsi considérer qu’il est constamment réalimenté par la réplication résiduelle. L’analyse d’un cas montre qu’il peut exister dans la circulation une présence à long terme de virus génétiquement distincts de ce qui est présent dans les réservoirs. Ce qui conforte l’idée que les réservoirs sont d’une grande stabilité, conformément à la durée de vie des cellules mémoires qui les composent. Mais cela suggère aussi qu’il doit exister une source de virus distincte des cellules CD4, constituée par une autre lignée cellulaire capable d’être infectée par le VIH qui constitue vraisemblablement un second réservoir non encore identifié. La principale conséquence de cela est que si l’on cible les cellules CD4 mémoires infectées qui constituent un réservoir pour la production de virus, cela ne sera certainement pas suffisant pour éliminer celui-ci.
Questions émergentes sur la résistance aux ARV
C’est François Clavel, de l’hôpital Bichat-Claude Bernard qui a présenté ce sujet. Le VIH apparaît de plus en plus compliqué au fur et à mesure qu’on l’étudie. Chez une personne vivant avec le VIH, la diversité des virus et la complexité des variations sont énormes. Ainsi les variants présents dans le plasma ne sont pas les mêmes que ceux trouvés dans d’autres compartiments. Ces variations sont très difficiles à percevoir car la plupart du temps, ce que les tests génotypiques* standards nous montrent, ce sont les populations majoritaires. C’est pourquoi, il est intéressant d’étudier les populations minoritaires et leur impact sur la réponse aux traitements.
Ainsi, une étude des populations minoritaires menée avec Allan J. Hance et Charlotte Charpentier chez une personne qui a été traitée par de multiples inhibiteurs de protéase mais n’a jamais répondu correctement, a permis de voir l’évolution des variants viraux au fur et à mesure de son histoire. Après plusieurs mois de traitement, la population majoritaire est toujours la même qu’au départ, mais de multiples souches minoritaires avec divers schémas de mutations génétiquement différents, coexistent. Un an plus tard, on constate la présence d’un nouveau virus dominant, mais les autres souches minoritaires, sont toujours présentes. Puis, lors d’un changement de traitement, c’est une des populations minoritaires qui devient majoritaire et réciproquement.
Ainsi, des populations minoritaires de virus aux génotypes variés et distincts coexistent chez une personne sous traitement. Ces populations minoritaires persistent et évoluent constamment. Elles sont à même de remplacer rapidement la précédente population majoritaire en se comportant comme une réserve pour le recrutement de nouveaux génotypes.
Si l’on s’intéresse au gène d’enveloppe, c’est exactement la même chose. Ainsi, le T20, récent inhibiteur de fusion qui se lie avec une portion de la protéine d’enveloppe en empêchant son fonctionnement, permet de disposer d’une pression sélective sur la région du gène d’enveloppe. Chez une personne dont le traitement comporte du T20, on constate déjà une certaine diversité des populations virales à la base. Lorsque le traitement démarre, il se crée rapidement trois souches différentes présentant des résistances dans le gène d’enveloppe. La souche dominante, mise en évidence par un test génotypique, est totalement différente sur ce gène et ne présente pas de résistance majeure. Après 10 semaines, la figure change complètement. Le virus dominant appartient à cette nouvelle famille d’enveloppe qui porte la mutation 38A et sa résistance a augmenté considérablement. A 20 semaines, la situation est confirmée. La souche dominante est non seulement la plus résistante, mais elle a aussi la plus forte vigueur de réplication. La sensibilité du virus aux inhibiteurs nucléosidiques ou aux inhibiteurs de protéase n’est pourtant pas diminuée et serait même légèrement augmentée. Plus tard, ce traitement par T20 est interrompu et l’on voit une des souches qui préexitaient au traitement prendre le dessus sur les autres.
Ainsi les résistances au T20 se manifestent par l’apparition de quasi espèces du gène d’enveloppe qui facilitent la résistance tout en conservant leur capacité réplicative. D’où la question : comment le VIH est-il capable de constituer de nouvelles quasi espèces sans payer le prix d’une réduction de capacité réplicative vis-à-vis des autres médicaments ? La réponse est la recombinaison. La réponse trouvée par Allan J. Hance et Charlotte Charpentier est d’utiliser une technique nouvelle et puissante pour analyser les recombinaisons dans la protéase et la transcriptase inverse. Cette analyse permet de découvrir que les différentes souches du virus chez une même personne sont dues à des recombinaisons de gènes. Les différentes pressions sélectives créées par les médicaments ont fait apparaître différentes mutations sur les gènes ciblés dans différentes populations virales. La population majoritaire soumise à une nouvelle pression trouve dans une population minoritaire existante le gène qui lui permet de s’adapter à la pression et d’échapper ainsi au traitement par recombinaison sans perdre ses caractères déjà acquis. La recombinaison est un mode de vie pour le VIH comme pour tous les rétrovirus. Il n’y a pas de réplication de rétrovirus sans recombinaison. Le génome du virus comprend deux chaînes d’ARN dans leur particule, et la transcriptase inverse doit commuter sans cesse d’un modèle à l’autre, c’est une nécessité mécanique, en dehors de toute recombinaison, pour être capable de reproduire dans toute sa longueur le génome viral. Alors évidemment, si ces deux génomes sont génétiquement différents, il va y avoir nécessairement des recombinaisons qui vont forcément donner des hybrides. Bien entendu, pour combiner deux souches différentes, il faut qu’une cellule ait été infectée par au moins deux virus distincts. Mais on sait qu’une même cellule est fréquemment infectée par une multiplicité de virus et comme la population de virus n’est pas homogène, c’est possible. La recombinaison est un outil très puissant pour le virus. Si l’on quantifie cela, la recombinaison est dix fois plus puissante que la mutagenèse pour produire des variations dans les virus. Ce qui a été montré par les travaux de Raphaël Najera en Espagne.
En résumé
La recombinaison est un mécanisme clé des virus. Elle est rendue possible par le génome diploïde des rétrovirus et par la propriété innée de la transcriptase inverse de recombiner deux génomes. La recombinaison permet le recrutement des segments de génomes les plus efficaces face à une pression sélective discontinue et constamment modifiée. Ainsi, une population minoritaire n’a pas besoin de devenir majoritaire lorsque la pression sélective varie. Il suffit à la population majoritaire d’emprunter à celle qui y est adaptée les segments nécessaires à son adaptation pour les acquérir et être à son tour adaptées au mieux, en termes de vigueur réplicative, à une nouvelle pression sélective.
Mais comment les populations minoritaires influencent-elles la réponse au traitement dans le contexte de résistance ? Les meilleurs exemples sont ceux des mutations aux non-nucléosides. Sarah Palmer a montré cela chez des patients ayant développé une résistance K103N à l’efavirenz. Elle a détecté des virus minoritaires chez des patients traités, avant que les tests génotypiques courants aient pu détecter ces virus. Bien sûr, lorsque ces virus sont devenus dominants, les tests sont devenus positifs et l’efavirenz a été arrêté. Mais plus de deux ans après l’arrêt, il est encore possible de détecter la présence de populations minoritaires résistantes, à hauteur de 10 % des virus circulant, alors que le génotype ne les détecte plus, ce qui est considérable. Et c’est ce que le groupe de John Mellors a montré dans l’essai américain ACTG 398, comparant des patients ayant déjà utilisé des INNTI à des patients n’en ayant jamais pris. La réponse est moins bonne pour les premiers, même si leur test génotypique ne montre aucune résistance à cette classe avant le début du traitement. De même chez des femmes ayant été soumises à des doses uniques de névirapine, on retrouve le même cas de figure. Sarah Palmer a montré que chez ces personnes, même avec un test génotypique négatif, on trouve 80 % de mutations 103 et 45 % de mutation 181. Même chez celles n’ayant pas de mutations détectables, elle a trouvé 50 % de mutations minoritaires. Le même résultat a été montré par le groupe du CDC, Johnson et al, qui a trouvé 40 % de femmes dont les tests étaient négatifs et chez qui l’on a pu détecter un virus résistant. Mais 65 % des femmes ayant reçu une dose de névirapine ont un virus résistant détectable. C’est probablement sous estimé puisque les tests génotypiques ne permettent que de détecter ces résistances à un seuil de 1‰ et probablement que 100 % des femmes sont porteuses d’un virus résistant à la névirapine. Un papier du NEJM de Gonzague Jourdain a bien montré que la réponse des femmes à la névirapine, après qu’elles ont reçu une simple dose de cette molécule, est systématiquement inférieure.
Cela signifie que le test génotypique sous estime les résistances causées par l’existence de populations minoritaires. C’est vrai pour les INNTI, mais aussi pour les autres antirétroviraux bien que ce soit plus compliqué que la simple question des virus minoritaires. C’est particulièrement le cas des inhibiteurs de protéase.
Quand on observe des situations de thérapies de sauvetage, c’est tout aussi difficile de prévoir l’échec lorsqu’on a un virus qui montre des résistances que de prédire le succès si le virus montre une susceptibilité. On a essayé de comprendre cela en reprenant l’étude ANRS 104, Puzzle I. Chez des patients en traitement de sauvetage utilisant des antiprotéases potentialisées par le ritonavir, après deux échecs de traitements précédents, on a recherché des populations minoritaires résistantes avant le démarrage du traitement. Et il y en avait. Même les mutations I47V et I54M conférant une résistance à l’amprénavir, qui n’avaient pas été détectées par le génotype et qui n’avaient pas de raison d’apparaître chez une personne n’ayant jamais été soumise à ce traitement, étaient présentes au point de départ. Quel impact ont ces résistances minoritaires, c’est ce qu’on a recherché en étudiant les phénotypes après 26 semaines. On a ainsi observé que certaines mutations secondaires peuvent avoir un effet cumulé très important, multipliant la résistance par des facteurs de 5 à 20. Dans l’étude ANRS 107, Puzzle II, on a trouvé des résultats similaires avec un facteur de multiplication de résistance de 200 à 1600. Certaines mutations provoquent un élargissement du site actif de la protéase, ce qui se traduit par une surface de contact réduite. Chaque mutation mineure peut ainsi réduire le nombre de points de contacts : c’est exactement comme lorsqu’on grimpe à un arbre, on a besoin d’un certain nombre de points de contact ; lorsqu’on perd trop de ces points, il suffit d’une secousse dans l’arbre et on tombe.
L’évolution des résistances aux inhibiteurs de protéase n’est pas linéaire. De faibles changements génotypiques conduisent à des différences de résistance importantes. Les résistances mineures aux antiprotéases n’existent pas. La résistance croisée aux antiprotéases doit être considérée dans une perspective dynamique : un faible niveau de résistance croisée peut évoluer vers un fort niveau pour un coût d’évolution minimal du virus. Il ne faut pas considérer les mutations sous un aspect statique et absolu mais les évaluer à partir d’un point donné en se demandant combien cela demande d’effort au virus pour atteindre une résistance supplémentaire. Autrement dit, les thérapies de sauvetage doivent avoir l’activité antivirale maximale dès le début du traitement afin de bloquer les faibles mutations qui peuvent avoir un impact énorme sur la résistance. Les stratégies d’induction – entretien sont probablement les meilleures pour protéger les nouveaux inhibiteurs de protéase contre le risque d’évolution des résistances croisées. Autrement dit, dans les thérapies de sauvetage, frapper fort, frapper tôt.
En conclusion, une dernière question : a-t-on besoin de tests de populations minoritaires ? On a vu que ce sont des outils d’un grand intérêt, mais qui ne sont probablement pas utilisables en routine, compte tenu de leur complexité. Ainsi, pour estimer un nouveau médicament dans le traitement d’un patient expérimenté, il faut :
– pour un médicament à faible barrière génétique, se souvenir de l’histoire thérapeutique de la personne,
– pour un médicament à forte barrière génétique, se souvenir que les petites mutations avec un grand impact sur la résistance peuvent émerger rapidement.