La toxicomanie est un sujet complexe et délicat qui demande beaucoup de pragmatisme. C’est ce qu’ont bien compris ces députéEs de l’UMP qui ont organisé un débat à l’Assemblée nationale le 14 avril dernier. Emmenée par les plus réactionnaires, l’hystérie toxiphobe n’avait pas de contradicteurRICEs : aucunE VertE, un seul député PS, Gérard Bapt, et une PC, Muguette Jacquaint. Rarement on aura entendu une telle accumulation de bêtises et de mensonges en une seule séance de l’Assemblée nationale. Rarement également, on aura vu ces mensonges englués dans tant de bons sentiments et de paternalisme mielleux : l’expression «nos enfants» aura été utilisé 8 fois, «notre jeunesse» 5 fois, «nos jeunes» (un must) 2 fois.
– Richard Dell’Agnola
«Toutes les études scientifiques françaises et étrangères publiées depuis vingt ans ont démontré l’extrême dangerosité du cannabis pour la santé».
«C’est en tenant un langage de vérité que nous vaincrons ce fléau».
Richard Dell’Agnola avait déjà déposé une proposition de loi visant à réformer la loi de 1970 sur l’usage de stupéfiants, fondée sur le rapport de la commission sénatoriale «Drogue : l’autre cancer».
– Rodolphe Thomas
«Progressivement désocialisés, les consommateurs de drogues connaissent l’échec scolaire et présentent des troubles psychiques».
D’où ? Comment peut-on utiliser l’indicatif du présent en ces termes pour parler de nous, usagerEs de drogues ? Ce n’est rien moins que de la pure diffamation : combien d’entre nous ont parfaitement réussi leur cursus scolaire, universitaire, professionnel, social et n’ont jamais connu de troubles psychiques notables ?
– Françoise Branget
C’est bien malgré elle que Françoise Branget nous livre un des meilleurs arguments anti-prohibitionniste au beau milieu d’une tirade : «Arrêtons de banaliser ! On peut lire sur nos paquets de cigarettes que fumer tue, sur nos bouteilles d’alcool qu’il faut consommer avec modération, mais que dire de tous ces poisons qui circulent sans avertissement !».
Hé oui, si les psychotropes sortaient des circuits clandestins, on pourrait aussi délivrer plus facilement des messages de prévention.
– Josiane Boyce
«Le cannabis, c’est la clé dans la serrure de la maladie, du monde de la folie – dont on ne sort que rarement – et du suicide. Hallucinations et peurs paniques peuvent rendre dangereux pour soi-même, mais aussi pour les autres. Libéraliser le cannabis, c’est donc accepter que l’asile soit « dans la rue», comme le disaient récemment des infirmiers psychiatriques. Drôle de monde !»
«La réponse est peut-être dans le modèle suédois, qui allie politique de répression, tests de dépistage à l’école et promotion de l’abstinence, notamment par l’ouverture de centres de sevrage volontaire.» On n’ose imaginer ce qu’elle entend par «volontaire», mais estimons-nous heureuxSES, elle ne semble pas connaître les intéressants dispositifs chinois de camps de rééducation.
«La démonstration est faite d’une certaine incohérence et de la mise en danger de notre jeunesse. A quand un audit d’associations comme Asud et Techno Plus, financées par la MILDT, qui tiennent des propos plus qu’incitatifs ?»
Diffamation : trois jours après ce débat, un jugement de la cour d’appel de Paris relaxait Jean-Marc Priez (Techno+) dans le procès qui lui avait été intenté pour incitation.
– Jean Leonetti
Jean Leonetti est médecin hospitalier et cultive un sens aigu des questions sociétales. A Gérard Bapt qui disait «On sait toutefois que certains jeunes, pour des raisons sociales, sont plus en danger que d’autres», il a répondu dans un grand élan de finesse intellectuelle : «Toujours la faute à la société : on connaît le thème !»
– Olivier Dosne
«Les progrès enregistrés dans la prise de conscience du problème ne doivent pas masquer l’échec de la politique de réduction des risques, laquelle s’attache, hélas, plus aux effets qu’aux causes. Afin de limiter la propagation du sida et de l’hépatite C, on distribue des seringues, pour, dit-on, «se shooter propre». Afin de réduire les trafics, on prescrit sur ordonnance des produits de substitution aux opiacés, intégralement remboursés par la sécurité sociale.»
Cet homme est pharmacien, 36 rue de Paris à Joinville Le Pont. N’hésitez pas, contactez-le pour lui demander quel bénéfice il tire de la vente du Subutex ou pour savoir s’il distribue des Stéribox.
– Christian Decocq
Christian Decocq est membre suppléant du conseil d’administration du Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres. Ce qui n’est déjà pas rien, mais c’est en plus un grand démocrate qui sait s’insurger : «On nous parle déjà, sur le site d’une association, des droits de l’homme du toxicomane !»
Mon dieu, quelle horreur !
– Jean-Paul Garraud
Sans doute la plus belle phrase de cette session : «Une politique efficace de lutte contre les toxicomanies doit donc viser à la réduction du nombre de toxicomanes.»
Dans cette logique, effectivement, la politique de réduction des risques (qui a réduit de 80 % les overdoses et qui a ramené de 30 à 3, le pourcentage des infections à VIH liées à l’usage de drogues par voie intraveineuse) n’est pas une politique efficace, elle maintient en vie les usagerEs de drogue !
– Christine Boutin
«Distribuer des seringues ne protège pas l’élève de troisième contre l’achat d’une barrette de haschich.»
Le meilleur pour la fin.
La grande humaniste, qui est notamment membre du Groupe d’études à vocation internationale sur les relations avec le Saint-Siège, a quant à elle, montré de quelle manière elle voulait lire la réalité scientifique sur les drogues. Elle a donc répondu à Muguette Jacquaint qui rappelait que l’usage de drogues (hors cannabis) ne représente que quelques centaines de milliers de personnes et quelques centaines de morts par an alors que l’alcool est consommé par 50 millions de personnes et qu’il est responsable de 10 % des décès en France. «Allons, c’est encore trop ! C’est la vie de nos enfants qui est en jeu ! Ces propos ne sont pas acceptables !» («Tout à fait !» sur les bancs du groupe UMP). Si la vérité est inacceptable, comment organiser le débat public ?
Elle apporte sa réponse plus loin en assénant des contre vérités patentes : «Soyons clairs : le débat sur la dépénalisation des drogues «douces» tombe de lui-même, ainsi que l’amalgame avec le tabac ou l’alcool. Pour ces derniers produits, c’est l’abus qui introduit le facteur de dangerosité. Pour la drogue, il est inhérent à chaque prise, dès la première».
Christine Boutin ne veut pas d’un débat : «Notre objectif ? Il est simple : nous voulons une France sans drogue». Et gare à ceux et celles qui voudrait exprimer une autre voix : «La répression ? Elle doit traquer les réseaux, mais également ceux qui ont une attitude ambiguë». Un rien de Wagner, un fond de bruit de bottes…