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La troisième conférence de l’IAS sur la pathogenèse et les traitements de l’infection à VIH s’est ouverte le 24 juillet dernier à Rio de Janeiro. Deux militants d’Act Up étaient présents sur place. Compte rendu en deux volets.

Soirée d’ouverture

Les stands des laboratoires pharmaceutiques nous entourent, la musique, les plumes et les strass des danseuses et danseurs de samba nous étourdissent, nous assourdissent et nous enivrent autant que les verres de caipirinha qui circulent autour du buffet de sushis japonais et de fruits tropicaux. Même les plus rigides esquissent un pas de danse au rythme des tambours brésiliens. L’ambiance surprenante de ce cocktail d’ouverture contraste brutalement avec la cérémonie d’ouverture qui a pris fin quelques minutes auparavant sur les notes chaleureuses et douces de Caetano Veloso, le plus populaire des troubadours brésiliens. Un tour de chant de bienvenue fort apprécié : la grande majorité des Brésiliennes présentes ont repris ses paroles. Cette ambiance de veillée très boy-scout aurait pu nous endormir après les discours assez convenus qui ont inauguré la troisième conférence de l’IAS sur la pathogenèse et les traitements à Rio de Janeiro (Brésil).

La cérémonie d’ouverture de la conférence a commencé quelques heures plus tôt sur les discours de bienvenue et d’encouragement à l’échange de Helene Gayle, la Présidente de l’IAS, suivi de Mauro Schechter, l’hôte de cette conférence et Octavio Valente qui représentait la communauté locale. Ont suivi les discours plus politiques de Stephen Lewis, ambassadeur spécial des Nations Unies pour le sida en Afrique et de Festus Gontebanye Mogae, Président de la République du Botswana.

Rappelant l’impérieuse nécessité que des voix se lèvent pour porter la lutte contre le sida, Stephen Lewis a fait part en sept points de son analyse de la situation. En premier, a-t-il commenté, la récente rencontre du G8 n’a pas été un progrès mais une déconvenue. L’annulation de la dette multilatérale de 18 pays dont 14 en Afrique est un bon début mais c’est oublier que ces pays supportent aussi l’insurmontable charge de plus de deux cent millions de dollars de dettes qui gangrène la bataille contre la pauvreté et la pandémie. En réponse, le G8 n’offre que de belles paroles d’aide à l’agriculture et n’a rien pu offrir parce que tout est dépendant des négociations de l’OMC qui auront lieu en décembre prochain à Hong-Kong.

Dans son deuxième point, il reviennait sur le relatif échec de l’initiative 3X5 de l’OMS. Relatif, parce qu’il souligne bien que si l’objectif n’est pas atteint, loin s’en faut, cette initiative a tout de même réussi à vaincre les inerties qui semblaient paralyser le monde et à créer une dynamique encourageante. Mais il met en garde les congressistes sur le besoin de ténacité pour poursuivre cet effort face aux voix défaitistes et aux détracteurs qui ne manquent pas.

Troisièmement, il a été évidemment question du Fonds mondial contre le sida. Stephen Lewis rappelle à quel point l’argent fait défaut pour couvrir les besoins croissants : 22 milliards de dollars en 2008 seront nécessaires selon l’ONUSIDA.

Dans son quatrième point il a rappelé qu’aujourd’hui les femmes sont les plus vulnérables face à l’épidémie. «Cela a fait de belles phrases dans les journaux, mais quand le monde comprendra-t-il que ce ne sont pas que des mots ? » s’est-il exclamé. Nous avons l’UNICEF, l’UNESCO, les programmes pour l’agriculture, le développement, le travail et la nourriture, nous avons la Banque mondiale et le FMI mais il n’existe aucune agence internationale qui se consacre à plus de la moitié de l’humanité.

Le cinquième point de son intervention s’adressait directement aux chercheurs pour leur rappeler l’impérieuse nécessité de travailler sans relâche à la recherche des solutions techniques de la prévention du sida : le vaccin et les microbicides. Il encourage ainsi les scientifiques à maintenir une pression constante sur les gouvernants jusqu’à ce que le but soit atteint.

Le sixième point concernait les moyens humains de la recherche. Nous manquons de professionnels pour faire le travail, disait-il en s’adressant directement à l’auditoire. Cela demande de votre part à tous d’être les meneurs et de faire en sorte que votre travail et vos découvertes puissent être appliquées ensuite par des gens sur le terrain.

Enfin, le septième point de l’intervention de Stephen Lewis concernait les orphelins. Ce terrible problème submerge un nombre croissant de pays sans que les gouvernements ne sachent comment agir. «Vous vous sentez peut-être éloignés de ce problème des orphelins, disait-il, vous ne l’êtes pas. Rien dans cette pandémie ne reste cloisonné, tout a partie liée. C’est pour tout cela que je fais appel à vous pour être des avocats, c’est une tâche herculéenne qui a besoin de tous sans distinction et sans réserve».

Le discours de son Festus Gontebanye Mogae, Président de la République du Botswana fut moins spectaculaire puisque décrivant par le détail toute la politique de lutte contre le sida accomplie par son pays depuis plusieurs années. Ce petit pays qui est un des plus touchés du continent africain a mis en œuvre une politique de santé volontaire et responsable, aidé par de nombreux pays et ONG et obtient des résultats notables. C’est un des rares pays d’Afrique à avoir mis en place une dispensation des antirétroviraux totalement gratuite pour la population atteinte. Ce programme lui a permis d’atteindre 40228 traitements distribués en juin dernier. Des efforts énormes ont été consentis pour cela ainsi que pour mettre en place les réseaux nécessaires.

La prévention est l’autre souci majeur de cette politique. L’attachement au système ABC («Abstinence, Be faithfull, Condoms» soit en français «abstinence, fidélité, préservatif»)est clairement revendiqué par le président qui précise que c’était «ABC» ou bien « D » pour death (la mort). Il s’empressait de préciser qu’entre l’abstinence et la fidélité ou l’usage des préservatifs, c’est aux personnes de faire le choix pour elles-mêmes lorsqu’elles connaissent leur statut et lorsqu’on a pris la peine de leur expliquer quelles en étaient les conséquences. Mais, ajoutait-il, les idéologies et les convictions religieuses ne doivent pas nous distraire de donner aux hommes et aux femmes l’accès à l’information et aux technologies qui leur permettent de se protéger par le moyen qui leur convient le mieux.

Une conférence différente

La conférence de l’IAS (acronyme de l’International Aids Society) sur la pathogenèse et les traitements est la conférence à caractère purement scientifique qui alterne annuellement avec la conférence mondiale qui rassemble l’ensemble des chercheurs, des institutionnels et des associations impliqués dans la lutte contre le sida. L’IAS est récente et a été conçue comme une réponse aux conférences des pays du Nord et en particuliers à la CROI (Conférence sur les rétrovirus et les maladies opportunistes) qui fait trop la part belle à la recherche occidentale et américaine et manque cruellement d’ouverture et d’esprit de partage. L’orientation de l’IAS était affirmée dans les premières éditions de Buenos Aires et de Paris (2001 et 2003). Cette tendance est encore plus marquée ici à Rio, un pays du sud, certes, mais qui est aussi très en avance sur la question des génériques.

La composition du programme de la conférence témoigne également des particularités de l’IAS avec une large place aux présentations de chercheurs de pays en développement. Les thèmes abordés marquent également la différence : montée en puissance des traitements, prévention de la transmission mère-enfant au niveau mondial, les résistances aux traitement. Autant de sujets qui placent des préoccupations très classiques à une autre échelle. L’IAS laisse aussi une place importante aux débats sur des questions d’actualité : méthodes de prévention initiées par les femmes, défis scientifiques et éthiques des essais de prophylaxie pré-exposition dans les pays à ressources limitées.

Enfin, elle propose des sessions organisées conjointement autour de la science fondamentale, les traitements et la recherche clinique, et la prévention. Diverses sessions transversales complétent ce dispositif.

L’industrie pharmaceutique est bien entendu présente à ce rendez-vous. À la traditionnelle caravane publicitaire des constructions démesurées qui ornent l’immense hall où sont présentés les posters, s’ajoute aussi tous les symposiums des firmes pharmaceutiques qui précèdent l’ouverture officielle. On note malgré tout quelques absences remarquables comme celle d’Abott et de Gilead. Les rumeurs prétendent que ces labos craignaient de se faire démolir leur stand par les activistes.

Enfin, les représentants communautaires brésiliens ont organisé une session destinée à donner aux conférenciers des outils de compréhension et de réflexion sur la place des associations dans la lutte en général et sur les thèmes de la conférence en particulier. Des rendez-vous quotidiens sont proposés aux activistes locaux afin de faire connaissance avec le monde de la recherche et de comprendre mieux les thèmes en discussion lors des sessions.

Le décor est planté, nous rentrerons dans le vif du sujet lors de notre second volet de ce compte-rendu de l’IAS 2005.