Cette septième chronique est la dernière d’une série qui a débuté en avril lors de notre mission en Russie. Elle a été rédigée au lendemain de notre rencontre avec le docteur Vladimir Musatov (photo ci-dessous), mais nous lui avons demandé de relire cet article. Ce qui explique en partie sa publication tardive, mais il est toujours d’actualité.
La semaine a passé trop vite. Il aurait fallu plus de temps pour mieux comprendre les engagements ou les responsabilités des uns et des autres, bref, comprendre ce qui marche et ce qui coince. Il nous manquait un élément clé. Nous rencontrons ce matin, à quelques heures de notre départ, Vladimir Musatov, le responsable des maladies infectieuses à l’Hôpital Botkine. Ce rendez-vous est important car il nous est présenté depuis notre arrivée comme quelqu’un d’essentiel et sa réputation de « monsieur sida » au-delà des frontières de la Russie nous intrigue. Après une semaine passée en Russie, nous avons réussi à nous rendre en métro à l’hôpital et de trouver notre interlocuteur sans aucune aide. Cela nous donne de l’assurance. Vladimir Musatov nous accueille chaleureusement dans son bureau. Il se dit honoré de recevoir des membres d’Act Up-Paris ; quant à nous, nous sommes ravi de pouvoir discuter avec lui. L’ambiance est donc tout de suite amicale. Il se sent comme « un enfant de deux parents ». En effet, il a étudié la médecine en Russie mais il a aussi travaillé 6 ans pour Médecins du Monde (MDM). C’est pourquoi il tente du mieux qu’il peut d’instaurer la pratique des standards de soins et les principes appris à MDM. Et ce n’est pas facile. Les brochures d’information, les préservatifs, les programmes d’échange de seringue, cela lui semble évident, mais le niveau de compétence est très faible. Un travailleur social gagne 100$ par mois et ils ne sont pas nombreux. « L’hôpital n°30, dit hôpital Botkine, est spécialisé dans les maladies infectieuses et comprend de nombreux services où sont suivis et soignés les séropositifs. La philosophie pratiquée ici est celle de l’approche compréhensive du VIH puisqu’on y pratique notamment le councelling accompagnant les tests et l’échange de seringues. Les services comprennent deux laboratoires pour les tests et le suivi, deux services où sont suivis et traités entre 150 et 200 séropositifs, un troisième service VIH unique en Russie où sont suivis des usagers de drogues et dans lequel œuvrent aussi des narcologistes, un service d’obstétrique spécialisé pour la prise en charge des femmes séropositives. Nous avons eu environ 480 nouveau-nés dans ce service. Il y a aussi un service pour les autres maladies infectieuses dans lequel sont aussi suivis des malades co-infectés ou atteints de maladies opportunistes et un service qui s’occupe des maladies sexuellement transmissibles. En tout, en un an on a vu passer 35000 malades dans l’hôpital dont 2000 séropositifs. « Les finances de l’hôpital sont assurées par l’administration locale. Le budget de prise en charge des maladies couvertes par le système d’assurance sociale est distinct de celui du « champ sida » qui comprend aussi la tuberculose et les maladies sexuellement transmissibles. Il existe aussi une aide fédérale pour le dépistage essentiellement en moyens techniques et humains mais, à vrai dire, nous ne nous sentons pas vraiment soutenus par le système fédéral. « Nous suivons actuellement 70 patients sous traitement et 50 autres sont dans un protocole d’étude clinique. Mais j’ai peu d’infromation sur les essais cliniques. Il est assez difficile d’évaluer les besoins parce que nous ne suivons pas tous les malades ici. Sur les 25000 séropositifs enregistrés, seulement 8000 sont suivis au centre sida. Pour connaitre le besoin en traitements, il faudrait tenir compte des 25000 alors que nous avons l’information seulement sur un tiers d’eux. Nous mettons les personnes suivies chez nous sur une liste d’attente. Il y a environ 150 patients qui devraient démarrer un traitement demain, si nous en disposions. Nous comptons bien recevoir des antirétroviraux cet été grâce au programme du Fonds mondial. Cela devrait représenter 300 traitements par an. Mais ce programme est toujours en négociation. La semaine dernière, il y a encore eu des discussions franches avec l’industrie pharmaceutique à propos des prix. « Le traitement de l’hépatite C n’est pas remboursé par l’assurance. J’ai demandé un devis pour un patient et j’ai eu une proposition d’un traitement par interféron associé à la ribavirine à 375 000 roubles (plus de 10 000 euros), alors vous pensez… Les trois quart des séropositifs sont co-infectés VIH et hépatite C. « La mortalité est assez difficile à évaluer globalement. Ici, nous avons eu 35 décès de patients à un stade avancé et 25 avec des hépatites ou d’autres infections, en tout environ 70 à 80 morts. La plupart des personnes qui sont atteint de tuberculose ne restent pas chez nous. Lorsqu’elles sont à un stade contagieux elles sont transférées à l’hôpital spécialisé sur la tuberculose. « Les essais cliniques sont sous la responsabilité du responsable de la recherche. Pour ma part, je n’ai pas beaucoup d’informations à ce sujet. Ce sont tous des essais de l’industrie pharmaceutique. Les conditions de ces essais sont contrôlées par les instances gouvernementales et font partie d’un programme spécial. Le promoteur est tenu de fournir un traitement pour un à deux ans à la suite de l’essai. À part ça, il n’y a pas de recherche clinique publique. C’est un concept nouveau ici. Il existe bien un recueil des effets indésirables graves. Les notifications sont transmises à un centre qui organise la surveillance. Mais ce système ne fonctionne pas très bien, il est trop jeune et sans expérience, il n’y a pas de contrôle de la qualité des notifications. Le concept d’essai clinique est nouveau pour nos médecins. Ils ne comprennent pas ce qu’ils peuvent en tirer, ils manquent de connaissances. Nous allons nous quitter sur ces notes qui sonnent à la fois le tragique et l’espoir. Voir tant de maladresses, de lourdeur et d’incompréhension face à cet homme lucide qui se bat avec compétence et conviction. Une dernière question encore sur le pas de la porte. Comment évolue l’épidémie ? On a l’impression au vu de certaines données que les contaminations chez les usagers de drogue stagnent, mais qu’en est-il des autres ? Réponse : « c’est l’erreur de notre système de prévention. On voit de plus en plus de gens dans les nouvelles contaminations qui l’ont été par voie sexuelle. Cela représente 30% des nouveaux cas ». Soudain une boule dans la gorge. La poignée de main est chaleureuse. Bon courage docteur Musatov, nous ne sommes pas près de vous oublier.