Rien n’est réglé
Même si l’avènement des trithérapies a constitué un progrès indiscutable dans la prise en charge de l’infection par le VIH, force est de constater que, dix ans plus tard, sur le front du sida, rien n’est encore vraiment réglé. L’introduction des trithérapies a considérablement amélioré la situation des personnes vivant avec le VIH, mais à défaut d’offrir la guérison, ces traitements forcent l’inscription de la maladie dans la durée avec, à la clef, la survenue d’effets secondaires parfois très handicapants et d’inévitables problèmes en matières d’observance. De plus, la prescription de mono et bithérapies au début de l’ère des antirétroviraux a conduit à l’apparition de virus résistants, source de difficultés supplémentaires de plus en plus importantes dans la prise en charge des personnes vivant avec le VIH. Il apparaît donc nécessaire de trouver d’autres pistes de traitements. C’est la stratégie choisie par un groupe de chercheurs nord-américains qui considère que : « même si la supression définitive de l’infection par le VIH à l’aide d’une thérapie antirétrovirale est difficile, l’éradication du virus doit être l’objectif à atteindre. Par conséquent les approches thérapeutiques visant à éliminer l’infection latente à l’intérieur des réservoirs du VIH sont nécessaires ».
Réservoir et VIH ou un autre cauchemar pour Darwin
Pour bien comprendre la notion de réservoirs du VIH, il est important de rappeler la physiologie normale des lymphocytes T CD4, principales cibles du virus du sida. À tout moment la majorité des lymphocytes T CD4 est dans un état latent, c’est-à-dire dans une sorte d’hibernation, de sommeil profond. Ils sont alors caractérisés par un métabolisme fortement ralenti. Cependant, en réponse à un antigène, produit par un virus ou une bactérie, ces lymphocytes dormants vont se différencier et se multiplier très rapidement fournissant ainsi à l’organisme un grand nombre de cellules actives contre l’infection en cours. La plupart des cellules ainsi produites vont très vite mourir, mais un petit nombre d’entre elles va retourner à l’état latent. Elles sont alors capables de survivre pendant une période très longue et pourront à nouveau très rapidement s’activer dès qu’elles seront en contact avec l’antigène déjà rencontré. Les lymphocytes T CD4 dormants sont donc la mémoire du système immunitaire et le fondement de la réponse apportée par l’organisme à une infection virale ou bactérienne.
Comme toute infection, la contamination par le VIH a pour conséquence l’activation des lymphocytes T CD4, cellules très sensibles au virus et rapidement détruites soit par celui-ci, soit par le biais de la réponse immunitaire. Malheureusement, certains lymphocytes T CD4 infectés par le VIH peuvent échapper à la destruction et retourner à l’état latent. Il en résulte une forme latente, silencieuse du virus à l’intérieur d’une cellule qui peut ainsi survivre très longtemps. Si ultérieurement cette cellule rencontre l’antigène approprié, son activation conduira à la production de virus. À l’ère des multithérapies antirétrovirales, la latence offre au virus la possibilité de persister très longtemps dans l’organisme. Ainsi, la durée de demi-vie des lymphocytes T CD4 infectés étant de 44 mois, on estime qu’il faudrait environ 70 ans pour éradiquer le virus chez une personne traitée.
L’existence d’un réservoir pour le VIH entraîne plusieurs implications cliniques notables. Premièrement, parce qu’un tel réservoir de virus empêche l’éradication de celui-ci par une thérapie antirétrovirale classique, les médecins ont abandonné la stratégie du « frapper fort très tôt » préconisée à l’arrivée des premières multithérapies. Aujourd’hui la règle est de différer la mise sous traitement au moment où le taux de CD4 atteint 350 cellules/mm3, à cause de la toxicité à long terme des antirétroviraux. La deuxième implication clinique est l’archivage, au niveau des réservoirs, de souches virales résistantes, conséquence d’une suppression virale incomplète ou d’une mauvaise adhérence au traitement prescrit. À la faveur d’un changement de condition – un nouveau traitement par exemple – une souche archivée mieux adaptée peut ré-émerger, un vrai cauchemar pour Charles Darwin, le père de la théorie de l’évolution. Une autre implication clinique concerne le choix du traitement en cas d’échec virologique. On sait que dans ce cas, la poursuite du traitement est préférable à son interruption, probablement parce qu’un virus multirésistant est moins agressif pour le système immunitaire que la souche sauvage. Si le traitement est arrêté, on observe la réversion vers une souche virale sensible aux traitements mais plus virulente. En fait il ne s’agit probablement pas d’une véritable réversion génétique, mais plutôt de l’émergence d’une souche virale sauvage à partir du réservoir que constituent les lymphocytes T CD4 dormants. Il apparaît de plus en plus clair que même chez les personnes présentant une suppression virale prolongée inférieure à la limite de détection, la présence de virus dans le sang est très probable. Il a été montré que cette charge virale résiduelle présente toutes les caractéristiques génétiques de l’ensemble des virus archivés et qu’elle résulte à la fois d’une multiplication à très bas régime du virus, mais aussi de sa libération à partir des réservoirs. Il apparaît donc qu’une faible quantité de virus sauvage – sensible au traitement en cours – peut être libérée dans le sang sans pour autant aboutir au développement de résistances. Par conséquent, même si les réservoirs garantissent au virus la persistance à vie dans l’organisme, une multithérapie peut interrompre durablement la progression de l’infection.
Acide valproïque : petite molécule pour grand mal
Les propriétés thérapeutiques de l’acide valproïque ont été découvertes au début des années soixante à la faculté de médecine et pharmacie de Grenoble par un hasard heureux. En effet, l’acide valproïque, produit liquide, était le solvant utilisé dans le laboratoire pour solubiliser certaines molécules supposées actives. En fait, il s’est avéré que ce solvant était lui-même actif. Effectivement, l’acide valproïque commercialisé en France sous le nom de Depamide® par la firme Sanofi-Aventis est un anticonvulsivant utilisé en association pour traiter certaines épilepsies – notamment grand mal et petit mal – avec manifestations psychiatriques. Il est aussi employé dans le traitement de psychoses maniaco-dépressives ou d’états agressifs. D’un point de vue chimique, l’acide valproïque appartient à la grande famille des acides gras dont font également partie l’acide acétique, composant essentiel du vinaigre, ainsi que les w3 dont l’industrie agroalimentaire n’a de cesse de nous vanter les mérites. L’acide valproïque se prend sous forme de comprimés, de suspension orale, voire dans certains cas par voie parentérale. En matière d’effets secondaires, outre des maux d’estomac et des nausées, la prise d’acide valproïque s’accompagne parfois de manifestations secondaires (chute de cheveux, souvent temporaire et réversible, tremblements, quelques troubles de la coagulation sont rapportés, rares cas de Syndrome de Lyell, de Stevens-Johnson et de Parkinson, d’anémie et de thrombopénie). Le médicament étant déjà ancien, il est tombé dans le domaine public. Il existe un générique de l’acide valproïque, commercialisé par le laboratoire Irex sous le nom de valproate de sodium Irex®.
Acide valproïque : nouvelle approche thérapeutique
Très récemment, des chercheurSEs universitaires américainEs ont peut-être trouvé une autre utilisation thérapeutique de l’acide valproïque. Ces médecins ont réalisé une étude sur quatre personnes vivant avec le VIH, sous trithérapie et dont la charge virale était inférieure à 50 copies/mL depuis au moins 2 ans. Dans un premier temps, chacune de ces personnes a reçu, en plus de son traitement antirétroviral, 90 mg de Fuzéon® deux fois par jour pendant 4-6 semaines afin d’éviter toute production du virus dans l’organisme. Les 4 personnes ont alors été traitées par l’acide valproïque à une dose de 500 à 750 mg deux fois par jour pendant 3 mois. L’efficacité du traitement a été évaluée en déterminant, avant, pendant et après le traitement par l’acide valproïque, la proportion de cellules infectées par le VIH dans la population des lymphocytes CD4 dormants. Alors que cette proportion était stable avant la mise sous traitement par l’acide valproïque, après les 18 semaines de traitement, les chercheurs ont observé, chez 3 des patients traités, une diminution de la proportion de cellules infectées par le VIH dans la population des lymphocytes CD4 dormants de 68, 72 et 84%. Chez la 4ème personne, cette diminution n’était que de 29%. Après l’interruption de traitement par l’acide valproïque, un rebond du nombre de cellules infectées par le VIH dans la population des lymphocytes CD4 dormants a été observé. La charge virale de chacune des personnes traitées n’a pas subi de changement notable au cours de l’étude. Les seuls effets secondaires observés imputables à l’acide valproïque ont été une anémie associée à la prise concomitante de zidovudine. Mais il faut savoir que l’acide valproïque augmente la biodisponibilité de la zidovudine.
Acide valproïque : y aura-t-il une suite ?
Dans un commentaire accompagnant cette étude, un médecin de l’université de Québec, considère que ce travail constitue « le premier pas vers la disparition de l’infection par le VIH en tant que maladie chronique et qu’il est urgent d’entreprendre un essai clinique afin d’étudier plus largement l’impact de l’acide valproïque sur les réservoirs du VIH ». Certes, l’étude ne montre pas que l’acide valproïque permet l’éradication du VIH, mais démontre qu’il s’agit d’une piste thérapeutique qui doit être absolument explorée. Ce qu’il faut donc retenir avant tout de cet article, c’est qu’il y a dans le monde médical, des chercheurs qui pensent que l’éradication du VIH est possible et dont les recherches vont dans ce sens. Cependant, dans la grande course aux antirétroviraux, il faut avoir à l’esprit, qu’en termes de développement, l’acide valproïque pourrait présenter un certain nombre de handicaps. Il s’agit d’une molécule déjà ancienne, et dont la structure chimique est encore plus simple que celle de l’aspirine. Ces deux arguments sont peu susceptibles d’attirer l’industrie pharmaceutique pour assurer son développement. Aucune prouesse technique ne permettrait de justifier un prix élevé. Autre handicap, un essai clinique portant sur l’acide valproïque devra obligatoirement utiliser des techniques très onéreuses telles que l’isolement de lymphocytes CD4 latents, avec une pureté extrêmement élevée, mais aussi l’usage de tests ultra-sensibles capables de détecter une charge virale de 1 copie/mL. Voilà autant d’arguments, qui pourraient bien faire qu’aucun laboratoire pharmaceutique ne se lance dans l’aventure. Voilà autant d’arguments qui doivent conduire les autorités publiques à jouer leur rôle. Voilà autant d’arguments qui doivent conduire les malades et les associations de malades, à être vigilantEs quant à l’avenir de l’acide valproïque comme candidat médicament dans le traitement de l’infection par le VIH.